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En 1848, Lacordaire s’exclamait: « Quoi? On ose écrire que l’homme est un tube digestif percé aux deux bouts, et je n’aurais pas le droit, usant de toute la hauteur de la vérité contre l’imposture, de me retourner avec mépris, et d’écraser du talon cette canaille de doctrine! » En 2020, cette « canaille de doctrine » a bien des illustrations, et la peur de perdre ses poumons à la suite d’une épidémie a encore davantage ravalé l’homme à son tube.
Tube immobile, confiné, avide, connecté à plusieurs réservoirs, à autant de déversoirs – infantilisé, paniqué, rassuré, informé, désinformé, réinformé, branché sur BFM, postillonnant sur Touiteur, ventilé par Netflix, sans prendre conscience du fait qu’infecté ou non il était déjà en coma artificiel, intubé, sondé, sale petit tas de chair inquiet de son pronostic vital.
Je ne dis pas qu’il n’aurait pas fallu nous confiner, mais que l’une des conséquences de cette politique, et donc de cette épidémie, c’est notre abaissement ; notre réduction au tube, si bien que nous avons tous été contaminés d’une manière ou d’une autre. On aurait au moins pu nous confiner à la Suisse, à l’Allemande, à la Scandinave, en nous laissant un cerveau et la responsabilité de nos déplacements.
Mais non. Soudain, le sans-frontièrisme, l’ouverture à tout prix, le partouzisme psychique qui fait office d’élévation morale à cette époque au rabais n’était plus du tout dans le vent.
Mais non. Soudain, le sans-frontièrisme, l’ouverture à tout prix, le partouzisme psychique qui fait office d’élévation morale à cette époque au rabais n’était plus du tout dans le vent. Très bien, mais ce n’était pas une raison pour élever des murs partout, bénis par le Pape François, et nous obliger à présenter des mots d’excuse aux pions au cas où l’on aurait voulu fouler un sol dont la propriété avait pourtant été assurée par le sang de nos ancêtres.
Les tubes individuels vont être bientôt affranchis au nom du grand tube économique, parce que celui-ci a faim, qu’il est congestionné de dettes. En revanche, nul ne s’étonne qu’à Paris, ces deux derniers mois, les librairies furent fermées quand elles étaient ouvertes à Berlin, où l’on assumait donc, même minime, une sauvegarde de l’esprit.
Nous aurons demain à nouveau le droit de circuler à condition que ce qui circule soit de la matière produite, consommée, digérée, expulsée.
Le seul papier auquel le tube accorde de l’importance est celui qui lui nettoie l’une de ses extrémités et dont il épuisa absurdement les stocks. Dis-moi où est ton trésor, je te dirai où est ton cœur. Nous aurons demain à nouveau le droit de circuler à condition que ce qui circule soit de la matière produite, consommée, digérée, expulsée.
En attendant, la culture a été considérée, dans ce pays, comme une part négligeable. Il n’y eut plus que des tubes intacts ou des tubes intubés; les nombreux « moi » isolés se répandant sur la toile en coliques anxieuses ne constituant pas à proprement parler un moment de création culturelle. Dans un tel contexte, nos amis des chaps, en Angleterre, qui faisaient profession de dandysme, de désinvolture, d’élégance et d’humour flegmatique maintenaient en éveil « l’esprit du Blitz » par lequel les Londoniens soutinrent dignement les bombardements allemands durant la dernière guerre mondiale (taux de létalité légèrement supérieur à celui du Covid).
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Quand toute une société se contracte sur son tube en appelant ça l’essentiel, et sans que personne ne songe à interroger une telle évidence (et pourtant, Dieu sait que tous les pseudo-intellectuels de notre temps ne parlent que d’interroger des évidences), il y a tout de même de quoi s’inquiéter et c’est pourquoi nous saluons comme si précieuse, donc, l’attitude de nos voisins dandies d’Outre-Manche et que nous avons décidé, plutôt qu’à Nekfeu ou à Franck Riester, de donner ce mois-ci la parole à l’inimitable Gustav Temple.
Nous flânerons, demain, et cela pour répondre à une urgence, pas à un caprice – ou alors, pas plus un caprice que la création de l’homme – nous flânerons et nous accomplirons des choses inutiles, beaucoup de choses inutiles. Mais également des actes vitaux, plus vitaux qu’aucun autre, comme écraser du talon cette canaille de doctrine.
Romaric Sangars
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