Skip to content

Michel, qu’est-ce qu’Onfray sans toi ?

Par

Publié le

28 mai 2020

Partage

[vc_row][vc_column][vc_column_text css=”.vc_custom_1590667714902{margin-right: 25px !important;margin-left: 25px !important;}”]

Depuis quelques semaines, une initiative déchaîne la curiosité médiatique. Tandis que le souverainisme n’est plus, aux yeux de nos gouvernants, le spectre de la Bête Immonde mais la planche de salut d’une France qui découvre, stupéfaite, son état de déliquescence industrielle, un homme sort de l’ombre.

 

Il n’y a pas dix ans, la simple évocation de son nom déclenchait l’hilarité dans les amphithéâtres universitaires. Aujourd’hui, c’est le nom d’un sauveur : s’alignant comme toujours sur la mode intellectuelle du moment, Michel Onfray lance la revue « Front Populaire ». Le site du futur trimestriel donne le ton, grandiloquent : « Les uns sont de gauche, les autres sont de droite. Les uns croient au Ciel, les autres n’y croient pas. Mais tous sont convaincus qu’il faut plus que jamais mener le combat des idées pour retrouver notre souveraineté. »

Entendons-nous bien : on ne peut que se réjouir de voir le concept de souveraineté revenir sur le devant de la scène, après avoir tant été piétiné dans la boue. Et l’on ne peut qu’espérer que l’attrait nouveau de ce vocable n’entraînera pas son avilissement – avec le cocasse oxymore de « souveraineté européenne », le saboteur Macron a commencé le travail de sape. Il n’y a rien d’infamant à aimer son pays et à vouloir qu’il soit libre ; l’on pourrait dès lors se féliciter du ralliement d’un penseur médiatique à une juste cause. Et si d’aucuns ont formulé des réserves, en insistant notamment sur l’opportunisme d’un intellectuel dont les opinions tendent à fluctuer au gré des vents, bon nombre de sceptiques demeurent cependant prêts à se lancer dans l’aventure du Zarathoustra bas-normand : qu’importe la sincérité du bonhomme, il faut utiliser son aura médiatique pour faire progresser les idées souverainistes.

 

Lire aussi : Anice Majnef : “En favorisant les actionnaires, les dirigeants de Renault ont fragilisé l’entreprise bien avant la crise”

 

C’est vite oublier que la réciproque est tout aussi plausible, sinon davantage. De même que l’entrisme gauchiste au PS transforma jadis une kyrielle de trotskistes en parfaits sociaux-démocrates, la stratégie de conquête de l’espace politico-médiatique par le truchement d’Onfray pourrait se retourner contre les souverainistes eux-mêmes, susceptibles d’être réduits à la figure tutélaire du philosophe-combattant de la dernière heure. Si le présocratique du Calvados s’avère aussi tyrannique qu’inconsistant, peut-être faudra-t-il même passer sous les fourches caudines de son ersatz de pensée pour être publié dans Front Populaire : quand on fraie avec Onfray, il faut s’attendre à tout, même à devoir composer avec son « girondisme » et son « proudhonisme » – pourtant peu compatibles, a priori, avec la notion d’État stratège chère à la plupart des souverainistes.

De la part d’une figure médiatique, il y a deux façons de défendre une ligne politique émergente : servir la cause ou se servir de la cause. Si Onfray a aujourd’hui l’occasion de mener le premier combat honnête de sa vie d’homme, un détail nous permet de douter qu’il le fera. Un détail qui semble jusqu’ici passer relativement inaperçu, et qui pourtant se voit – littéralement – comme le nez au milieu de la figure : ses lunettes. Le logo de Front Populaire n’est pas un symbole patriotique. Nous aurions pu attendre une bannière, un monument, un personnage représentant la quintessence de la Nation française. En lieu et place, nous avons eu une paire de binocles rectangulaires, qui rappellent étrangement celles du grand penseur. Le premier numéro de la publication n’est pas encore mis sous presse, mais le ton est d’ores et déjà donné : Front Populaire n’est pas la revue des souverainistes, c’est la revue de Michel Onfray.

 

Or cette revue n’est pas un acte fondateur : elle relève plutôt du mauvais greffon. Les souverainistes n’avaient pas attendu Onfray pour se remettre à discuter entre eux.

 

Or cette revue n’est pas un acte fondateur : elle relève plutôt du mauvais greffon. Les souverainistes n’avaient pas attendu Onfray pour se remettre à discuter entre eux. D’abord au niveau des intellectuels et des sympathisants, à travers des structures telles que le Cercle Aristote et ses éditions Perspectives Libres, ou encore l’association « Critique de la raison européenne ». Sur le plan politique ensuite : la concrétisation du Brexit et la crise du coronavirus ont été depuis plusieurs mois l’occasion d’un rapprochement, certes progressif, entre différents mouvements désireux de mettre fin aux querelles de clocher. Cette réouverture du dialogue avait été d’autant plus facilitée que le vieux chevènementisme, fondé sur la seule exaltation des principes républicains, semblait définitivement frappé de caducité : sa dernière réminiscence édulcorée, le très laïcard et pas si souverainiste Printemps Républicain, avait totalement disparu des radars. Par ailleurs, l’aile sociale et patriotique de la France Insoumise avait été purgée sous l’influence des indigénistes, permettant ainsi à certains de ses représentants – au premier rang desquels l’ancien para Djordje Kuzmanovic – de franchir le Rubicon en s’affichant ponctuellement avec les tenants d’un souverainisme identitaire.

Le paysage souverainiste, longtemps hétéroclite et traversé de courants inconciliables, semblait peu à peu s’éclaircir : il s’agissait pour tous de faire en sorte que la France perdure dans sa singularité et son identité, à rebours des principes de « gouvernance » européenne ou mondiale. Une France enracinée dans sa terre et son histoire, une France ayant vocation à perdurer dans son être, bien au-delà des « valeurs » abstraites auxquelles certains patriotes de gauche la résumaient souvent. Des divergences persistaient bien sûr, tant sur la question sociale que sur celle des institutions, mais il semblait enfin que tous ou presque pouvaient se rejoindre autour d’une certaine idée de la France : une idée incarnée.

 

Lire aussi : Le vieux-rose est-il de droite ?

 

C’était avant que cette ébauche de cohérence ne soit balayée par Onfray. Après avoir ressorti la momie de Chevènement de son placard présidentiel, le Diogène du bocage veut maintenant réunir sous sa bannière Henri Peña-Ruiz et Philippe de Villiers. Après le vieux renégat néo-macronien, le philosophe marxo-laïcard et le catholique vendéen, on attend avec impatience les noms des prochains auteurs. Peut-être un néopaïen de la Nouvelle Droite – un spécialiste en langues hyperboréennes ou un archéologue versé dans la culture yamnaya –, histoire de compléter le tableau avec un représentant du « souverainisme européen » si cher à Jupiter ? Nous verrons. En tout cas, Marine Le Pen et Florian Philippot ne seront pas de la partie : dans une vidéo réalisée le 14 mai avec Natacha Polony, Onfray s’est en effet exclamé : « Moi je n’ai rien à faire avec les hommes politiques, avec les Philippot ou les Marine Le Pen, qui arrivent en disant : “Ah ! la soupe est intéressante, on y goûterait bien !” Non, non, non, ils n’y goûteront pas ! C’est fait pour le peuple ! »

La soupe est intéressante ? Oui, mais pour qui ? Pour celle qui – quoi que l’on pense d’elle – a osé s’exposer au suffrage populaire à plusieurs reprises, sous les avanies d’éditocrates hurlant aux sempiternelles « heures les plus sombres » ? Pour celui qui – quoi que l’on pense de lui – a osé faire un seppuku politique au nom de ses idées après la campagne de 2017 ? Ou plutôt pour celui qui surfe sur la vague idéologique du moment afin de conserver son rond de serviette médiatique ? Dans le registre de l’inversion accusatoire, le bougre n’en est pas à son coup d’essai, comme en témoigne l’extrait de son ouvrage Décadence mis en exergue par Rémi Lélian dans Michel Onfray, la raison du vide : « L’homme d’affaires qui invente à sa manière les objets dérivés vendus aujourd’hui dans les musées commémorait tous les ans la mort de Louis XVI par un banquet où l’on mangeait de la tête de porc farcie. Il était surnommé le Patriote. Devenu royaliste sous la Restauration, il reçut la décoration de l’ordre du Lys des mains du futur Charles X en 1814. Sic transit… Certains hommes sont aussi des ruines. »

 

Intronisé messie des souverainistes par un coup d’État journalistique, Onfray ne laissera sans doute que des ruines sur son passage. Déjà il réveille des cadavres, il marie carpes et lapins, il excommunie à loisir. Omniprésent et ultra-clivant, il scinde de facto un camp qu’il devait réunir, et dont une large partie des débats internes se focalisent désormais autour de sa personne.

 

Des ruines. Intronisé messie des souverainistes par un coup d’État journalistique, Onfray ne laissera sans doute que des ruines sur son passage. Déjà il réveille des cadavres, il marie carpes et lapins, il excommunie à loisir. Omniprésent et ultra-clivant, il scinde de facto un camp qu’il devait réunir, et dont une large partie des débats internes se focalisent désormais autour de sa personne. Et il y a fort à parier qu’il laisse ce petit monde exsangue à la première déculottée électorale, pour courir se réfugier dans son bocage normand aux airs de jardin d’Épicure. Bocage d’où il professera à qui veut l’entendre son éternel et nietzschéen dégoût de la politique.

 

Étienne Auderville

 
 
 
 
 

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest