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Alors que nous attendons avec impatience la publication du tome 3 de sa correspondance avec Paul Morand, il nous faut confesser notre admiration pour ce maître de la prose française que fut Jacques Chardonne, né à Barbezieux (Charente) le 2 janvier 1884, mort à La Frette (Val d’Oise) le 30 mai 1968.
Épistolier prodigue, des milliers de lettres furent adressées à ses contemporains, sur du papier blanc (le papier à mensonges) ou sur du papier quadrillé (le papier à vérités) : Roger Nimier, Marcel Arland, Jean Paulhan et, bien sûr, Paul Morand, furent quelques-uns de ses prestigieux correspondants. L’art épistolaire ne fut cependant qu’un registre littéraire parmi tous ceux qui lui permirent de déployer son talent : romans, nouvelles, chroniques et essais, maximes, lui permirent aussi de servir une langue superbe, au style musical et limpide.
Car Chardonne, c’est d’abord un style, admiré par de très nombreux critiques littéraires et écrivains : Marcel Arland, Jean-Louis Bory, Jacques Brenner, Michel Déon, Bernard Frank, Jean Freustié, Matthieu Galey, Kléber Haedens, Stephen Hecquet, Edmond Jaloux, Simon Leys, Renaud Matignon, Francois Mauriac, Francois Nourissier, Jean-Claude Pirotte, ou Alexandre Vialatte sont quelques-uns de la tribu.
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Edmond Jaloux, dans son Avant-propos à « Chimériques » (1948) : « Jamais M. Jacques Chardonne n’a mieux écrit. Dans ce moment où la majorité des écrivains, sous des prétextes divers, jargonnent ou bafouillent, c’est une joie que de lire cette prose limpide et comme argentée, d’une cadence si subtile et que traverse une fine lumière spirituelle. C’est que le vrai style est un art qui ne s’apprend dans aucune école ; il n’y a point de technique du style ; le vrai style, c’est l’essence d’une manière de vivre, de souffrir et d’aimer, l’expression de ce que l’on peut à peine ressentir, c’est une prière et une incantation ».
Jean-Claude Pirotte, dans sa préface à une réédition de « Romanesques » (éditions de la Table ronde, collection La petite vermillon, 2011): « Mais il n’a rien écrit, et ne pouvait se réduire à cette extrême indigence que le style exige » : sans cette phrase et sa chute admirable, ma vie n’aurait été qu’une suite d’égarements et de déviations du goût. Depuis bientôt quarante ans, je me récite à mi-voix, dans la lumière étouffée du soir, la même leçon d’humilité : « cette extrême indigence que le style exige ».
De quoi nous parle Jacques Chardonne ? De la femme dans « Catherine », « Eva », « Claire » et « Femmes » ; du couple, dans « l’Epithalame » et « Romanesques » ; de la fin d’une civilisation dans « Les destinées sentimentales » ; de la France, de ses paysages et de ses amitiés provinciales dans « Le bonheur de Barbezieux », « Matinales » ou « Le Ciel dans la fenêtre »… Jacques Chardonne descendait par son père d’une lignée de producteurs de cognac et, par sa mère (une demoiselle Haviland), de fabricants de porcelaine, à Limoges.
« Si cette jeunesse veut, un jour, brûler la Bibliothèque nationale, je lui demande de ne pas oublier que l’œuvre de Chardonne est incombustible. » Paul Morand
Nul, mieux que lui, n’a chanté la province et cette France profonde venue du fond des âges : « Dans cette société, toute fondée sur des intérêts très âpres, car chacun pouvait perdre pied et la sagesse obligeait d’être avare, je suis frappé du peu de place que tenait, en somme, l’argent ou la fraude. La vraie passion de ces gens était pour leur travail, pour la vigne, pour ce cognac dont ils buvaient très peu mais qu’ils respiraient volontiers, et qui demande pour s’accomplir sans artifices en sa lente maturation, beaucoup de mérites à tout un peuple. L’amour pour les choses bien faites ou de bonne substance, et le discernement que cet amour implique, et la patience, le courage qu’il veut, c’était la seule religion du Français dans ma province, et pour moi c’est encore une philosophie » (Le bonheur de Barbezieux, 1938).
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Dans une œuvre marquée de bout en bout par l’harmonie et la délicatesse, deux coups de feu pétaradants : ses deux visites à Weimar, dans l’Allemagne nazie, en 1941 et 1942, toutes deux au mois d’octobre, avec plusieurs écrivains français dont Drieu la Rochelle, Ramon Fernandez et Robert Brasillach en 1941 et le même Drieu la Rochelle, André Thérive et André Fraigneau, en 1942. A la différence d’écrivains qui, dès l’avant-guerre, avaient eu des engagements et convictions politiques bien établies, Jacques Chardonne n’avait pas « la tête politique » : durant l’Occupation, il s’aventura sur un terrain, la politique, qu’il ne connaissait pas, ne maîtrisait pas.
Faut-il donc brûler Chardonne ?
L’ancien président de la République, Francois Mitterrand ne le souhaitait pas, lui qui écrivit, dans La paille et le grain (1975) : « de sa génération, il reste pour moi le modèle ». Et il faut avoir assisté, en octobre 2018, à la vente aux enchères d’une partie de sa bibliothèque, pour comprendre la passion littéraire qu’éprouvait l’ancien Président de la République pour l’œuvre de Jacques Chardonne.
Le général de Gaulle lui-même, en 1966, adressa une lettre autographe à Jacques Chardonne, le remerciant pour l’envoi de ses « Propos comme ça » :
« Mon cher Maître,
Vos propos comme ça m’enchantent. J’admire l’ampleur et la désinvolture de votre pensée. Je goûte votre style pur et sans accessoires. Vous écrivez : « Quand un écrivain a du style, ce qu’il dit a peu d’importance. » Mais, vous ayant lu, une fois de plus, je ne partage pas sur ce point votre avis. En vous remerciant bien vivement, mon cher Maître, je vous demande de croire à mes sentiments les plus dévoués. Charles de Gaulle. »
Paul Morand a le mot de la fin, dans son Avant-propos à un recueil de lettres de Jacques Chardonne, « Ce que je voulais vous dire aujourd’hui », paru après sa mort, en 1970: « Jacques Chardonne a disparu en ce mois de mai 1968, où des adolescents, croyant dénoncer pour la première fois une société de consommation, ne faisaient que suivre un Chardonne qui avait écrit bien avant qu’ils fussent nés : « Les Français qui poussent leur pays vers cette mort morale, ce sont des Français qui ne connaissent pas la France, deux fois égarés par l’ignorance et par la culture. Si cette jeunesse veut, un jour, brûler la Bibliothèque nationale, je lui demande de ne pas oublier que l’œuvre de Chardonne est incombustible. »
Jean-Philippe Mallé
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