[vc_row][vc_column][vc_column_text css=”.vc_custom_1519772151963{margin-right: 25px !important;margin-left: 25px !important;}”]
Cela pourrait faire sourire mais ce type de théories fumeuses fait désormais florès sur le web. Des centaines de sites internet en anglais et en français, relayés plusieurs dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, propagent un discours savamment rodé : l’Homme blanc aurait manipulé l’historiographie, en masquant l’apport inestimable des Africains dans les sciences et les arts, notamment durant l’Égypte antique.
Le Grand Palais à Paris organise régulièrement des cours d’histoire de l’art. Souhaitant combler mes lacunes en la matière, je me rends régulièrement les samedis matin aux abords des Champs-Élysées pour suivre pendant deux heures et demi l’enseignement de maîtres de conférence ou de professionnels travaillant au Louvre. L’occasion aussi de goûter à nouveau au statut d’étudiant. En octobre dernier, en pleine séance sur l’art des hiéroglyphes, un jeune homme au style savamment négligé prend la parole : «les Égyptiens étaient noirs, pourquoi ne le dites-vous pas?». L’égyptologue, après un regard ahuri derrière ses lunettes rondes, finira, entre deux rires nerveux, par conseiller à cet étudiant de relire l’ensemble des travaux effectués par ses confrères français et américains en la matière et conclura ironiquement «il faut arrêter de lire Cheikh Anta Diop».
L’épisode pourrait faire sourire mais ce type de théories fumeuses fait désormais florès sur le web. Des centaines de sites internet en anglais et en français, relayés plusieurs dizaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, propagent un discours savamment rodé : l’Homme blanc aurait manipulé l’historiographie, en masquant l’apport inestimable des Africains dans les sciences et les arts, notamment durant l’Égypte antique. Des histoires plus fantasmagoriques les unes que les autres sont diffusées auprès d’un auditoire souvent jeune : les Africains auraient «découvert l’Amérique» avant Christophe Colomb, donnant naissance aux civilisations précolombiennes (ne riez pas), les Africains auraient inventé les grands théorèmes mathématiques, la médecine moderne, l’architecture (volés par les grecs évidemment)…
Universitaires et historiens, prisonniers de leur propre «?champ?» professionnel (pour reprendre Bourdieu), ignorent souvent l’existence de ces théories farfelues. Un ami, professeur d’Histoire, me racontait pourtant cet été que même parmi ses élèves les plus médiocres cette «version de l’Histoire» triomphe. Une conception erronée, simpliste et absolument complotiste qui s’insère parfaitement dans des esprits biberonnés au web, aux «illuminatis», au «complot sioniste» et à Dieudonné.
D’où viennent ces théories??
Cheikh Anta Diop, inspirateur de cet «?Afrocentrisme?» publie à partir de 1952 une série d’articles et d’ouvrages s’évertuant à démontrer que les Égyptiens antiques étaient ethniquement «noirs» et à l’origine de toutes les civilisations. Même s’il n’est ni historien, et encore moins égyptologue, ses thèses ont eu un petit succès dans certains milieux politiques africains. Battues en brèche par des chercheurs reconnus (comme Alain Froment ou François-Xavier Fauvelle-Aymar), ces théories reviennent aujourd’hui en force même si l’ensemble des savoirs, des recherches et des analyses ridiculisent ces théories sur différents points :
– L’étude des groupes linguistiques : alors que les Nubiens (les populations noires présentes durant l’antiquité dans la région de l’actuel Soudan, et dont Cheikh Anta Diop estimait qu’ils étaient les «véritables» Égyptiens) appartiennent au groupe linguistique nilo-saharien, la langue égyptienne d’alors se rattachait au groupe dit «afrasien». Deux groupes distincts, donc deux peuples différents.
– l’étude des momies et des squelettes prouve à chaque nouvelle fouille archéologique que les Égyptiens n’étaient pas «mélanodermes». En effet, l’étude des cheveux, de la peau, mais aussi des os et de la forme du crâne permet de classifier les corps selon des appartenances ethniques. Il apparaît clairement que les Égyptiens antiques, le peuple comme les dirigeants, n’étaient pas de type «africain».
– Enfin, l’étude de la génétique : en comparant la présence de telles ou telles caractéristiques chromosomiques, elle permet d’affirmer avec certitude que les populations qui peuplaient l’Égypte antique n’avaient pas grand-chose à voir avec les populations noires africaines. Une donnée encore confirmée cet été par une nouvelle étude de l’ADN de momies, qui prouve que les Égyptiens d’alors étaient plus proches physiquement des autres populations du Proche-Orient, voire des Européens, que des autres peuples africains.
Lire aussi : Reportage : la charia est dans le pré
Conclusion, les Égyptiens n’étaient pas «noirs». À l’exception d’une seule dynastie mal connue (la 25e dynastie, au huitième siècle avant Jésus-Christ), les pharaons étaient donc ethniquement proches des populations phéniciennes, comme l’ensemble de la région avant les grandes migrations arabes. Ramsès II était roux, Toutankhamon avait un patrimoine génétique similaire à celui à 70 % à celui d’un Européen, et Cléopâtre, fille d’une lignée de Macédoniens endogames, ressemblait probablement plus à Maria Callas qu’à Michelle Obama.
Comme l’écrit Bernard Lugan, dans «?mythes et manipulations de l’Histoire africaine?», «placées au confluent de la magie et de la méthode Coué, les thèses de C.A Diop sont donc celles d’un conteur narrant une histoire destinée à faire rêver ses auditeurs et non le produit d’une véritable recherche scientifique». Un exemple : Diop voyait dans les cheveux crépus des jolies Égyptiennes la preuve de leur «africanité». Manque de chance, il ne s’agissait tout simplement que de perruques, courantes dans l’aristocratie d’Alexandrie ou de Thèbes. Ce type d’erreurs (ou de manipulations) se retrouve des centaines de fois dans toute l’œuvre de l’auteur africain.
Lire aussi : l’affaire Mennel Ibtissem, symbole de la crise identitaire française
Un manque de rigueur et de sérieux qui n’a pas empêché Cheikh Anta Diop d’affirmer que ces «Égyptiens» imaginaires étaient à l’origine des mathématiques, des arts, de l’agriculture, de l’architecture… bref, de la civilisation. Une conception fantasque de l’Histoire des sciences qui vise simplement à éclipser l’héritage occidental, et plus particulièrement, grec. À la fin des années 80, un historien américain Martin Bernal reprendra cette thèse en l’amplifiant : la Grèce antique aurait tout simplement été colonisée par les Égyptiens. Tout l’apport scientifique et philosophique des Grecs, sur lesquels la civilisation occidentale repose, n’aurait été qu’un ersatz de la culture égyptienne noire. Voyant rapidement ses travaux démontés point par point par ses confrères, Bernal avait alors brandi… le complot raciste du monde universitaire. Une bonne blague qui n’a heureusement pas duré, mais qui perdure encore aujourd’hui sur le web.
Que les jeunes populations immigrées d’origine africaines présentes en France s’inventent un passé imaginaire est un problème finalement assez secondaire et il faudrait plutôt en rire. Là où le bât blesse, c’est que ces théories ont désormais aussi un écho chez les «petits blancs». Un discours qui s’inscrit dans la repentance et la haine de soi pour ces jeunes Européens, culpabilisés et dépossédés des grandes inventions et des grandes découvertes de leur passé, au profit d’une Histoire afrocentrée mythifiée.
[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]