
IDÉES


LA PROFONDEUR DU PRÉSENT, RÉMI BRAGUE AVEC CHARLES-HENRI D'ANDIGNÉ, Hermann, 274 p., 15 €
Membre de l’Institut et professeur émérite à l’université Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la pensée médiévale et auteur d’une trentaine d’ouvrages touchant à des thèmes très divers, Rémi Brague est de la race de ces grands érudits qui ont fait la gloire de l’Europe. Le lecteur potentiel pourrait s’en trouver intimidé ; un livre d’entretien vient heureusement y remédier et offrir une porte d’entrée idéale dans son œuvre. Conduite avec intelligence par Charles-Henri d'Andigné, journaliste à Famille chrétienne, la discussion est très bien structurée : entre une ouverture sur ses jeunes années, et une conclusion consacrée à ses appétences culturelles, Brague passe en revue, dans l’ordre chronologique, les grandes étapes de la pensée occidentale, avec ce sens de l’éclairage, de la nuance et de la précision qui ont fait son renom. Il est aussi question de souvenirs, d’amitiés et de lectures ; et l’on y découvre la relation organique qu’entretient un édifice intellectuel, que l’on imagine à tort froidement bâti depuis une tour d’ivoire, avec la vie vécue de son auteur, au hasard des occasions et des rencontres. Pour ceux qui ne connaissent que l’écrivain, c’est aussi l’occasion de découvrir l’homme qu’il cache, sa culture monumentale avec une appétence particulière pour les langues, la pente nostalgique de celui qui fut privé trop tôt de présence paternelle, le tintinophile de premier ordre et l’insatiable amateur de calembours aussi – le tout servi par une bonhomie communicative. Rémi Carlu [...]


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Dans son nouvel essai, Les Deux Occidents – de la contre-révolution trumpiste à la dérive néosoviétique de l’Europe occidentale, Mathieu Bock-Côté poursuit son œuvre aussi indispensable que salutaire d’étude de l’ingénierie progressiste à l’œuvre en Occident. Les peuples grondent, alors l’oligarchie version soviet du XXIè siècle panique. Les libertés se réduisent à peau de chagrin et la nomenklatura surveille. Les goulags n’ont pas été remis au goût du jour, mais comme le Québécois l’avait merveilleusement bien disséqué dans son essai précédent (Le Totalitarisme sans le goulag, Presse de la Cité), la dérive totalitaire s’en passe très bien. Le cercle de la raison a expulsé tous ses opposants de l’autre côté de la frontière de la légitimité (ce qui fait quand même un sacré paquet de monde) et s’ils grognent un peu trop, on les assèche financièrement et socialement. Mais voilà, un drôle de caillou s’est glissé sous leurs arpions.…

Mardi 7 octobre 2025, alors que la deuxième liste de sélection du Goncourt maintenait l’ennuyeuse Natacha Appanah et le pathétique Paul Gasnier dans la course au pompon suprême, le jury du prix de L’Incorrect se réunissait bouillant de passion et fumant d’arguments implacables. Formé de l’intrépide Emma Becker, romancière de style et de choc, du féroce et magique Olivier Maulin, de Bernard Quiriny, tout de flegme caustique et de goût pour les marges hautes, de Marc Obregon, subtil, apocalyptique et radieux, mais condamné à l’eau pour quelques semaines encore, et Romaric Sangars, partisan des avant-gardes fulminantes et garant de l’intransigeance de tous, le jury aura su établir en deux heures à peine la meilleure liste de candidats de tout Saint-Germain-des-Prés. Son secret pour un tel résultat ? Une absence totale de pressions politiques, amicales, sexuelles et financières – climat rarissime en ces territoires ; une atmosphère de camaraderie dans la pureté sauvage ; un talent inné et commun pour la justice expéditive.
« Nous voulions monter un prix libre, déclare Emma Becker, c’est-à-dire dégagé de toute manœuvre ou manigance extérieure à la littérature pure, et couronner un livre qui, par l’exigence de style et la liberté de son propos (ou l’inverse), fédère les lecteurs d’horizons très différents que nous sommes.…

Le sociologue Norbert Elias définissait la civilisation comme un consensus social fondé sur l’autocontrainte des pulsions individuelles pour vivre ensemble de manière apaisée. Je postule quant à moi qu’une dynamique d’anti-civilisation est le mouvement inverse, soit l’exaltation des comportements antisociaux et des particularismes, qui entraîne l’effritement de la cohésion sociale et le conflit. Depuis la seconde moitié du xxe siècle, la pensée progressiste a fait de l’idée de déconstruction le cœur de sa doctrine, que ce soit par l’exaltation de la « diversité » ou par son incapacité croissante à tolérer les interdits. Cela est d’autant plus vrai aujourd’hui, alors que le moment « woke » a marqué une radicalisation de cette intolérance envers les structures héritées du passé. Néanmoins, cette déconstruction n’est pas sans conséquence pour des institutions fondamentales comme la famille et la nation, qui exigent de chacun une part d’abnégation en échange des bénéfices et du sens qu’elles procurent. [...]
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