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Bertrand Saint-Germain : de la légitimité du droit aux armes

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Publié le

8 juillet 2025

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Bertrand Saint-Germain est professeur de droit, élu local et essayiste. Il écrit il y a un an un ouvrage appelé (P)rendre les armes où il analyse juridiquement les raisons plaidant pour une permission plus large de posséder des armes. À l’heure où l’impunité des délinquants est de plus en plus inquiétante, la question de la possession des armes par ces mêmes citoyen mérite d’être posée avec clarté. Entretien.
© Le Polémarque

Pourquoi vous êtes-vous intéressé au sujet du port d’arme citoyen ?

C’est d’abord le constat que pratiquement personne ne s’est intéressé à cette question en France. On ne peut trouver en France qu’un seul ouvrage consacré au sujet – d’ailleurs ancien, mais écrit par un Québécois ! Et moins de cinq articles s’y rapportant – dont deux d’histoire du droit (relatifs à la Corse !). On trouve encore quelques ouvrages purement technique relatifs au port d’armes ou à la légitime-défense, mais rien sur le fondement théorique du droit d’avoir des armes, de les posséder ou de les porter. Comparativement, on a, outre atlantique, une littérature abondante de milliers d’ouvrage, d’articles, de billets, de notes de blog etc. C’est surprenant car, même en étant hostile à ce droit, il devrait y avoir une curiosité intellectuelle. Curiosité qui m’a donc poussé à écrire sur le sujet.

Pourquoi ce désintérêt ?

D’abord et de manière générale, force est de constater que les études ne forment pas à la curiosité, que ce soit à l’école et à l’université, le processus de formation est un processus de formatage et dans une large mesure, on met des œillères aux gens. Ensuite, dans notre monde devenu citadin, la familiarité d’avec les armes a disparu : on ne chasse plus guère, même dans les campagnes, tandis que la disparition du service militaire rend les armes étrangères à la vie ordinaire des individus. Par ailleurs, lorsque l’on voit l’histoire de France, on se rend compte que le ministère de l’intérieur n’a eu de cesse – et continue – de toujours de limiter l’accès des particuliers aux armes. Nous avons des débats au XIXe siècle où l’on utilisait déjà les mêmes arguments.

Il y a donc eu un vrai débat sur la question au XIXe siècle ?

Il n’y a jamais eu de vrai débat sur les armes. Et c’est en absence de tout débat public que se sont produits les deux grands moments dans la libéralisation de l’accès aux armes : la Révolution et 1885. Sous la Révolution, à l’été 1789, Mirabeau demande qu’on inscrive la possession des armes parmi les droits naturels proclamés par la Déclaration : cela est refusé par l’Assemblée mais uniquement en raison de l’évidence de sa requête : on ne saurait proclamer un droit qui est évident par nature ! Il n’y a donc pas à inscrire le droit d’avoir des armes dans la Déclaration. Ce droit fut donc reconnu indirectement, comme conséquence du droit de chasse, lequel supposait nécessairement le droit de posséder des armes. Avec l’Empire et les différentes restaurations, on restreint l’accès aux armes par peur des révoltes de tous genres.

Lire aussi : [Enquête] Armes en banlieues : sur un baril de poudre

La question va revenir en 1885 ; indirectement là encore. Une loi libéralise le commerce des armes et, par voie de conséquence la possession. C’est la grande époque des sociétés de tir, on apprend à tirer à l’école ! Quelques années plus tard Jaurès lui-même évoque la nécessité que les Français « au moins ceux des régions de l’Est » dit-il, aient chez eux leur arme de guerre, comme en Suisse. Mais ce n’est pas le droit de posséder des armes qui est officiellement reconnu, c’est la liberté de leur commerce (après le droit de chasse). Déjà le ministère de l’intérieur était contre.

Entre 1905 et 1935, plusieurs projets de loi sont déposés qui visent à encadrer et restreindre l’accès aux armes. Mais on a la chance, sous la troisième République, que la valse des ministères fasse qu’aucun de ces projets n’est mené à bien. Jusqu’à ce que Pierre Laval devienne chef du gouvernement. Lui décide de passer par la voie règlementaire en gouvernant par décret. Il fait adopter les premiers textes comme de tenir un registre acheteurs et en 1939, les décrets lois Daladier interdisent la possession des armes. En 1958, les articles transitoires permettent d’adopter plus de 300 ordonnances. Or, la quatrième ordonnance adoptée valide les lois Daladier. La législation sur les armes figure ainsi parmi les tout premiers textes de la Ve république.

Pour résumer : tout le monde s’en contrefiche dans notre pays, sauf le ministère de l’intérieur pour qui c’est une obsession.

Voilà ; c’est exactement cela.

Quelle nécessité revêt ce sujet aujourd’hui ?

Il est éternel. Il est au cœur du statut d’homme et de citoyen. Tous les grands auteurs de l’antiquité à nos jours y sont d’ailleurs favorables ; ils se sont tous exprimés en faveur d’un principe d’autorisation du port d’arme : Aristote, Cicéron, Hobbes etc.

Comment ces illustres justifient-ils le port d’arme citoyen ?

La première justification, est la défense personnelle, la légitime défense. Cicéron, dans son « Pour Milon » a magistralement exposé comme la puissance publique ne pouvait pas entraver le droit naturel – pour ne pas dire vital – à défendre sa vie.

La seconde raison, qui en contient deux, c’est la défense de la patrie. Défense contre l’ennemi, qu’il soit extérieur ou intérieur. L’ennemi extérieur, c’est évidemment l’envahisseur : la levée en masse de 1792 en donne un bon exemple. L’ennemi intérieur dans le sens classique, c’est la tyrannie -et non une « 5e colonne » comme on pourrait l’entendre aujourd’hui. Le tyran qui profite de sa situation au cœur des institutions pour les corrompre et les détourner à son profit, doit pouvoir trouver en face de lui des citoyens armés. Il y a d’ailleurs chez beaucoup d’auteurs l’idée qu’une troupe professionnelle permanente est avant tout une arme contre la population et le bien commun. Par exemple, dans le bill of rights anglais de 1689, le droit de porter des armes est reconnu aux protestants contre ce qui est conçu comme un risque de tyrannie des catholiques après Charles Ier (à tort ou à raison, là n’est pas le sujet). À l’inverse, à la cour de Versailles, un visiteur ne pouvait être en présence du Roi de France sans avoir une épée à son côté : il fallait être prêt à servir le souverain. Souverain d’ailleurs qui était si peu un tyran qu’il ne craignait pas d’être entourés d’hommes armés.

La France a-t-elle un droit restrictif ?

Bien sûr. Il serait long d’exposer tout le droit français en la matière que je détaille abondamment dans mon ouvrage. Je vais simplement vous donner un exemple. En théorie, on peut être autorisé à porter une arme de poing pour la défense personnelle. En pratique, toutes les autorisations sont refusées. Pour la petite histoire, Charb, le dessinateur de Charlie Hebdo, était tireur sportif et avait demandé cette autorisation… qui lui avait été refusée. Je crois que ça se passe de commentaires.

La récente fusillade de Graz en Autriche est vue par beaucoup comme l’illustration d’un risque inhérents à la possession d’armes par les citoyens. La mort d’une surveillante d’un lycée par un élève l’ayant poignardé a fait dire au Premier ministre qu’il allait interdire la vente de couteaux aux mineurs. Le problème est-il dans l’arme ?

Le problème n’est évidemment pas dans l’arme. Il n’est pas non plus dans le port ou la possession d’arme. D’abord la France est un des pays les plus régulé en matière de possession d’armes, ce qui n’empêche nullement les fusillades de se produire. Qui se souvient de la tuerie du conseil municipal de Nanterre en 2002 où un militant écologiste a tué huit personnes et blessé plus d’une vingtaine d’autres ? Depuis 30 ans on a eu une vingtaine de tuerie de masse. À l’inverse, dans certaines contrées comme au Svalbard, archipel norvégien situé au Nord du cercle polaire, le port d’arme y est obligatoire en dehors des zones urbaines pour se protéger des ours : il n’y a aucune tuerie de masse.

« Il n’y a aucun lien direct de cause à effet entre une libéralisation du port d’arme et la tuerie de masse. »

Bertrand Saint-Germain

Dans les années 30, la France possède un régime de la détention des armes presque identique au régime des États-Unis. La sécurité était exemplaire. La Californie est l’État américain le plus restrictif, c’est aussi celui où il y a le plus de tueries. Depuis 1980, on a plus de morts en Europe dans des tueries de masse qu’aux États-Unis : Angleterre, Allemagne, France, Ex-Yougoslavie. J’ajouterais que les tueries (non crapuleuses ou terroristes, s’entend) sont rarissimes en Amérique latine ou dans le tiers monde, où les armes circulent pourtant. Je ne dis pas que l’arme est étrangère à la tuerie, mais il n’y a aucun lien direct de cause à effet entre une libéralisation du port d’arme et la tuerie de masse.

Quelles sont les causes de ces tueries alors ?

Elles sont multiples. D’ailleurs la littérature de notre côté de l’atlantique est aussi anémique que celle sur les armes : quatre ou cinq thèses en psychiatrie et quelques articles notamment de Xavier Rauffer. Ce qu’il en ressort à grand trait, c’est que les auteurs de fusillades sont des hommes assez jeunes, entre 25 et 40 ans (loin d’être toujours des blancs, contrairement à une idée reçue) et qu’ils agissent avec des armes illégalement détenues pour un tiers des cas. Ils sont par ailleurs consommateurs de stupéfiants pour plus de 80%, atteints de troubles psychiatriques (2/3 d’entre-eux) et vivent en ville. Quant aux lieux de ces tueries, elles interviennent pour plus de la moitié d’entre-elles sur le lieu de travail ! Les écoles (moins de 10 % de ces tueries) peuvent d’ailleurs apparaître comme le « lieu de travail » des écoliers meurtriers…

Nous avons donc un profil très précis. L’arme n’est qu’un moyen, pas la cause. D’ailleurs on a aussi des tueries de masses avec des armes blanches ou d’armes par destination : en Chine, en novembre 2024, un homme a écrasé 35 personnes avec sa voiture et plusieurs attaques au couteau ont eu lieu.

Toute de même, les armes à feu, du fait de leur simplicité d’utilisation et leur puissance, ne sont-elles pas intrinsèquement trop dangereuses pour être laissée dans les mains de tout un chacun ?

C’est l’objection que l’on peut aujourd’hui évidemment apporter à Aristote, Cicéron, Hobbes, Mirabeau etc. Les armes dont ils parlaient étaient des épées, des lances, des flèches pour les uns, des pistolets ou fusils ne tirant que quelques coups avant un très long rechargement, pour les autres. Aujourd’hui la capacité à tuer et à blesser des fusils d’assaut avec chargeur de grande capacité rendent légitime une interrogation sur le type d’arme que l’on peut se procurer.

Lire aussi : Georges Bensoussan : « On peut craindre une “villepinisation” des esprits »

Mais il ne s’agit là d’une objection sur la pratique et les modalités de la détention d’armes, pas sur le principe lui-même. Un principe de liberté d’acquisition s’agrémenterait très bien de restrictions dont les praticiens sont plus à même que moi de déterminer les contours exacts. On pense évidemment aux propositions faites par l’ARPAC (association pour le rétablissement du port d’armes citoyen ; https://www.arpac.eu/) : examen médical et psychiatrique, capacité au tir, apprentissage du maniement des armes et de la sécurité, absence de condamnations judiciaires. Je dirais que le fusil ou carabine de chasse et l’arme de poing (pistolet ou revolver) me semblent un arsenal suffisant pour un citoyen ordinaire.

L’anarchie qui a suivi la victoire du club de football Paris-Saint-Germain en Ligue des champions a souligné une fois de plus la perte de contrôle progressive de la rue (et du boulevard périphérique de la capitale) par la puissance publique. Le port d’arme citoyen ne serait-il de nature à aggraver la situation en facilitant l’acquisition des armes par les délinquants ?

On ne va rien dire de plus que ce que disait Beccaria il y a bientôt 300 ans : les seuls qui respecteront l’interdiction de posséder des armes, ce sont les honnêtes citoyens. Aujourd’hui, de simples malfrats s’entretuent à Marseille à coups de fusils d’assaut pour des points de deal. Récemment encore, une femme a été tuée au beau milieu de son mariage par des tirs. Manifestement ils n’ont pas attendu qu’on autorise le pharmacien ou le notaire du coin à avoir un revolver six coups dans sa chambre. Ce serait donc plutôt un rééquilibrage en faveur du bon citoyen. D’ailleurs, jusque dans les années 1990, on achetait son fusil à pompe librement chez Décathlon.

Il n’y donc a aucun argument théorique ou pratique pour le refuser le principe d’une autorisation de porter des armes ?

Absolument aucun.

Que faudrait-il changer dans la France d’aujourd’hui sur la question des armes ?

D’abord d’état d’esprit général : ne pas regarder tout personne voulant posséder une arme comme un criminel potentiel. Il faut connaître l’intelligence du citoyen. Certes, elle n’est pas toujours époustouflante, mais celle de l’État non plus. Sur le plan strictement légal, il faudrait tout simplement reconnaître le principe d’un droit à posséder et, surtout, ne pas chercher à savoir pourquoi une personne souhaite avoir une arme. On pourra évidemment y mettre des conditions légales : que la personne soit psychiatriquement stable, physiquement capable, non-soumise à des addictions. Mais l’État ne doit se mêler que de nos actes, pas des motifs que nous avons d’user de nos droits lorsqu’ils ne font de mal à personne.

Quel serait le meilleur modèle étranger à suivre ?

La Suisse, incontestablement ou la République tchèque. Ces pays offrent la possibilité à leurs citoyens d’avoir des armes mais s’assurent efficacement de leur compétence et de leur équilibre mental.

L’Union européenne influe-t-elle sur le droit aux armes ? 

L’UE n’est pas à blâmer cette fois. Certes, il y a une règlementation commune pour qu’on puisse se coordonner du fait de la libre-circulation des biens et des personnes, mais les conditions de possession de l’arme sont du ressort de chaque État. La preuve : la République tchèque a inscrit la légitime défense par arme à feu dans sa déclaration des droits de l’homme sans que cela pose de problème.


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