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[Cinéma] Challengers : jeu, set et match

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Publié le

5 mai 2024

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Romance sportive à la fois, sexy, contemporaine et hors d’âge, Challengers confirme que Luca Guadagnino est l’un des plus grands stylistes cinématographiques en activité.
© DR

Superficiel, vain, clinquant, le cinéma de Luca Guadagnino – et tout particulièrement Challengers – attire à lui le courroux de la critique majoritaire, la même prompte à s’extasier sur les non-mystères pompeux de Ryusuke Hamaguchi (Le Mal n’existe pas, pitié…) ou sur l’œuvre globale que Bécassine Triet consacre à la charge mentale, cette anatomie d’une Tuche petite-bourgeoise. Pas de grand sujet écologique ou de féminisme à la mords-moi le nœud dans Challengers, un simple triangle amoureux à la Jules et Jim, en moins bidon et compassé, sur fond de match de tennis.

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L’unité de temps et d’action – une finale de tournoi annexe entre l’un des meilleurs joueurs du monde en crise et son ancien ami d’adolescence barbotant dans les profondeurs de l’ATP – est siphonnée par un réseau proliférant de flash-backs gigognes. La rencontre originelle entre les deux jeunes hommes et Tashi, apprentie-championne surdouée qui va rapidement les affoler aboutit à plusieurs partenariats formels et informels. Loin d’un Top Gun dans le monde du tennis, Challengers est taraudé par l’échec. Les corps-machines de la première partie sont couturés par les blessures, comme celle aux ligaments croisés qui brise la carrière de l’héroïne devenue par force épouse et coach. La brillance de l’image n’est qu’un leurre. « Ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau », affirmait déjà Paul Valéry. Et aucun metteur en scène en 2024 ne filme les corps comme Guadagnino, exception faite de Marco Berger, le maître incontesté de la tension sexuelle, à qui il a beaucoup emprunté.

Le scénario de Justin Kuritzkes évoque parfois Pinter, et surtout Trahisons, pour sa mise sens dessus dessous d’un triangle amoureux. Les ellipses ménagées par les flash-backs créent un monde parallèle où les personnages s’accomplissent ou se défont, sans qu’il soit possible d’assister à leur gloire ou leur déchéance. Le pur présent renvoie à l’idée que Chabrol avait du cinéma de Fritz Lang, un monde enclos dans le cadre où tout ce qui en sort est renvoyé au néant. On trouvait déjà dans Suspiria, le chef-d’œuvre incompris de Guadagnino, d’après le giallo avec sorcières d’Argento, une culpabilité langienne collée à l’unique personnage masculin, qui n’en était même pas un. La fracture et le démembrement zèbrent ce qui semble prétendument lisse, à l’image des bouffées de musique surgissant à l’improviste (l’une des meilleures B.O. de Trent Reznor et Atticus Ross), comme si elle épousait les battements de cœur des personnages.

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L’homosexualité latente semble plus mimée qu’autre chose ; le personnage-pivot est bien Zendaya, parfaite comme ses compères. Guadagnino, en bon maniériste, cite et fragmente à tout va. L’ébouriffé et difficilement résistible Josh O’Connor fait penser à Ninetto Davoli chez Pasolini. Mike Faist, blond et forcément sage, laisse parfois transparaître une douleur qui dénote. Les Challengers de Guadagnino ont déjà tout perdu, comme Achille qui ne sait pas que la tortue va le rattraper (la tempête dans le très beau avant-dernier mouvement). Plus le film avance, plus il se recentre sur les visages, presque aussi exaltés que dans le final du Narcisse noir de Powell et Pressburger, l’un des plus beaux films au monde. Guadagnino a l’extrême bon goût de n’accoler aucune morale à son triangle tout sauf équilatéral et de figer dans l’extase d’un moment véritablement suspendu le sens qu’on n’y trouvera pas. Il laisse au spectateur balloté entre les deux joueurs comme la balle de l’ultime échange le choix du dernier cri, la stase d’un encouragement qui est à la fois défaite et victoire.

Challengers (2h11) de Luca Guadagnino, avec Zendaya, Josh O’Connor, Mike Faist

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