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Comment je me suis aperçu que j’étais devenu fasciste – et pire, ringard

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22 février 2021

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À l’écoute de deux émissions Répliques d’Alain Finkielkraut avec le journaliste américain James McAuley, j’ai dû me rendre à l’évidence. Considérant Trump et les événements du Capitole comme éminemment moins dangereux que Black Lives Matter, la cancel culture et l’islamo-gauchisme, j’avais basculé du côté des fascistes.
BLM

Ça s’est passé en écoutant il y a un mois l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut intitulée Regards croisés sur l’Amérique et sur la France. Les deux invités étaient le journaliste américain James McAuley, correspondant du Washington Post à Paris et auteur d’un article récent dans Le Monde dans lequel il « s’inquiétait » des dérives d’un universalisme français jugé de plus en plus antimusulman sinon raciste et Pascal Bruckner, vieux complice de Finkie, s’inquiétant au contraire de la volonté acharnée du politiquement correct américain à faire de l’homme blanc le Coupable presque parfait de la post-modernité, dominant parce que blanc, sexiste parce qu’homme, transphobe parce que cisgenre.

Comme toujours dans cette émission, la conversation commença sous les meilleures auspices, exquise, nuancée, intéressante, chacun, si l’on peut dire, tombant d’accord dans son désaccord avec l’autre, MacAuley défendant le particularisme au nom de l’universel et se méfiant d’une laïcité trop rigide, « à la française », Bruckner arguant que la laïcité relevait précisément de notre génie national en plus de constituer la méthode universaliste par excellence « protégeant les religions et nous protégeant des religions ». L’échange se tendit quelque peu lorsque le premier évoqua « la très belle et très ancienne foi musulmane installée en France depuis toujours » et se dit consterné par cette notion d’islamo-gauchisme sévissant de plus en plus parmi certains intellectuels français  –  à quoi le second répondit que du fait de sa proximité géographique avec l’Afrique du nord, la France, mieux que l’Amérique, connaissait l’islam et sa mouvance islamiste et que l’on ne pouvait pas totalement distinguer l’une de l’autre – comme le prouvaient d’ailleurs avec brio des intellectuels musulmans tels que Kamel Daoud, Boualem Sansal, Amine El Khatmi, Abdennour Bidar (et sans même parler de Zineb el Rhazoui, notre Marianne et de nos résistantes Lydia Guirous, Sonia Mabrouk, Fatiha Agag-Boudjahlat), toutes et tous  bien plus sévères que nous à l’endroit de leur religion.

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Mais c’est surtout à partir de la situation américaine qu’il apparut clairement que ces trois-là n’étaient pas du tout sur la même longueur d’onde et parlaient en fait toujours d’autre chose. L’Américain causait démocratie, élections américaines, terreur trumpiste. Les Français répondaient idéologie, campus américains, terrorisme culturel. Le premier s’émouvait de l’épisode de l’attaque du Capitole par un type déguisé en bison, les seconds cristallisaient sur le triomphe de la génération woke et de la cancel culture.

Et c’est à ce moment où Finkielkraut voulut faire réagir son interlocuteur sur cette volonté de certains professeurs américains de ne plus enseigner l’histoire de l’art que sous l’angle racialiste, féministe et genriste que celui-ci éclata d’un rire effrayant (27’30’’) – ce qui interloqua son modérateur : « qu’est-ce qui se passe ? ». Le journaliste du Washington post expliqua alors qu’il trouvait sidérante cette « obsession française » à stigmatiser la Cancel culture alors que son pays venait d’échapper il y a trois jours à un coup d’état fasciste ordonné par le président Trump lui-même. Comment pouvait-on s’en prendre à quelques excès universitaires de gauche alors que c’est la démocratie qui avait été mise en péril par un suprématisme de droite ? Et d’ailleurs, ces excès idéologiques, peut-être illégitimes dans la forme, n’étaient-ils pas légitimes sur le fond ? La lutte pour la défense des minorités ne méritait-elle pas quelques salubres outrances ? Entre la paille du politiquement correct et la poutre du politiquement facho, comment pouvait-on hésiter une seconde ?

L’épisode tragicomique du Capitole me semblait bien moins grave que l’arrivée au pouvoir de ce même Biden, de sa Rokhaya Diallo de Kamala Harris et avec eux de toute cette génération woke assoiffée de censure et de révisionnisme culturel et artistique

Et c’est là que je m’aperçus qu’en effet, oui, j’étais « fasciste ». L’épisode tragicomique du Capitole (qui ne remettait pas une minute en question l’élection de Joe Biden) me semblait bien moins grave que l’arrivée au pouvoir de ce même Biden, de sa Rokhaya Diallo de Kamala Harris et avec eux de toute cette génération woke assoiffée de censure et de révisionnisme culturel et artistique. Je trouvais plus insupportable et ô combien plus dangereux pour l’humanité le triomphe de la Cancel culture, avec ses « trigger warnings » (« traumavertissements »), ses « sensitivity readers » (« lecteurs sensibles »), son « public shaming » (« honte publique »), son « male gaze » (« regard masculin »,  forcément voyeur et violeur, et que Bruckner appela plaisamment « merguez »), ses « disrupttexts » (« défions les textes », Homère et Shakespeare compris) que les tweets drolatiques de Donald Trump qui au fond se révélait, lui, l’inculte vulgaire et matamore, le dernier rempart à la déculturation inclusive du monde.

Et puisqu’on parlait de racisme, je soussignais aux propos de Bruckner affirmant que le vrai racisme, aujourd’hui, c’était justement cet antiracisme racialiste, identitaire, bien décidé à en finir avec les « DWEM » Dead White European Male ») autant qu’avec les Noirs refusant de se définir comme tels et fuyant les États-Unis comme cela avait déjà été le cas pour l’écrivain noir et homosexuel, James Baldwin, venue s’installer en France dans les années 70 pour la bonne raison que dans notre pays il n’était pas assigné à sa négritude et à son homosexualité – objection à laquelle MacAuley n’eut rien à répondre et comme si au fond le débat ne l’intéressait plus et que ses Français d’un autre monde pouvaient dire ce qu’ils voulaient, c’était son monde à lui qui triomphait. Il reprit tout de même la parole à la fin pour dire que la Cancel culture n’était absolument pas une « menace » à ses yeux contrairement au « capitalisme néo-libéral » (et comme si le Cancel n’était pas l’aboutissement de ce néo-libéralisme) et qu’il était désolé pour ses interlocuteurs de n’être plus dans le coup, façon d’envoyer à ces derniers, ce que releva tout de suite Finkie, un de ses « ok boomers » typique du négationnisme du nouveau monde.

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Samedi 6 février, rebelote. L’intellectuel de tous les dialogues et de toutes les nuances (viré de LCI sans doute pour cette raison) recevait pour une émission consacrée à La fracture américaine un autre américain, éditorialiste au New York times, Roger Cohen et qui, lui aussi, lorsqu’on l’interrogea sur les dangers patents que représentaient la Cancel culture, révolution culturelle s’il en est, et la génération woke (au fond mille fois plus identitaire et vindicative que notre propre « Génération identitaire » de gentils blondinets quoique désormais menacée d’être dissoute par le Ministre de l’Intérieur « pour faire genre »), eut la même réaction que MacAuley, répondant tranquillement que « ce n’était pas la fin du monde », qu’il y avait des choses autrement plus graves comme, encore une fois, l’affaire du Capitole ou l’assassinat de George Floyd et que lui se reconnaissait de ce point de vue plutôt du côté des woke contre les racistes (et même si les woke n’étaient pas sa tasse de thé et d’ailleurs plus de son âge.) Là aussi, mon mauvais sang ne fit qu’un tour. Comment pouvait-on prendre avec autant de légèreté, sinon de bienveillance, un mouvement, pour le coup vraiment totalitaire, menaçant ce qu’il y a de plus intime, de plus noble, et peut-être de plus divin dans l’humanité, à savoir sa langue, ses lettres, ses arts (César !) ? Comment pouvait-on se prétendre défenseur de la démocratie et accepter que nos enfants détruisent la tradition qui n’a jamais été autre chose que « la démocratie des morts » selon le beau mot de Chesterton ?

Oui, je l’avoue : un déboulonnage de statue, un changement de titre de livre ou de nom de lycée, une interdiction de film (ou une prévention ridicule à celui-ci), un massacre volontaire (inclusif) de la langue, un boycott contre Beethoven parce que sa musique est l’incarnation du mâle blanc dominant m’émeut plus qu’une très sale bavure policière ou un pu-putsch de la famille Pierrafeu. Comme la plupart des gens de droite, je suis plus sensible à la racaille intersectionnelle des clercs, des tartuffes et des femmes savantes qu’aux abus du monarque – qui du reste aujourd’hui, et ce qu’il faut comprendre, n’a presque plus de pouvoir. Chaque jour, le national perd un plus pied devant le tribal ; le social devant le sociétal ; l’institutionnel devant le juridique ; l’universel (pour ne pas dire le catholique) devant le sectaire. En vérité, ce n’est pas le « militaire » qui menace aujourd’hui mais bien l’universitaire. Et puisqu’il faut choisir, je préfère, quant à moi, l’autorité légitimiste au progressisme orwellien, la Neuvième Symphonie dans sa grandeur à son traitement Ludovico[1] (ce qu’est fondamentalement la méthode woke et cancel : nous dégoûter par tous les moyens du beau, du vrai  et du grand), la Rachel du livre de la Genèse à Rachel Levine. La créature non-binaire peut pisser comme elle veut, c’est l’homme et la femme éternels qui comptent.


[1] Le fameux traitement de désensibilisation au sexe et à la violence infligée à Alex dans Orange mécanique et à cause duquel il perd aussi le goût de la Neuvième de Beethoven.

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