Denis Villeneuve est un chouette type. Déjà, c’est un francophone. Ensuite, c’est un vrai passionné de science-fiction – génération Métal Hurlant, la meilleure. Au milieu d’un imaginaire hollywoodien vampirisé par les franchises régressives, de Star Wars à Marvel, sa proposition reste unique et on a envie de la suivre : bâtir une science-fiction exigeante, adulte, loin des feuilletons bariolés et imbéciles qui monopolisent l’attention depuis 20 ans. Car oui, au final Hollywood ne sait pas quoi faire du « space opera », ce genre qui a fait florès au détour des années 60 et qui a donné des chefs d’œuvre tels que Fondation, Hypérion et bien sûr Dune. Star Wars, justement, a contribué à maintenir la SF dans une sorte de stade prépubère, dans la mesure où il ne s’agit pas à proprement parler de space opera, mais plutôt de fantasy matinée de rayons lasers.
Le space opera se doit certes d’incorporer paysages grandioses et nefs spatiales, mais il se doit aussi d’interroger l’humanité sur son futur, sur ses choix, et sur sa condition profonde. C’est pourquoi l’œuvre d’Herbert est réputée inadaptable, car elle se paye le luxe de spéculer sur tous les niveaux : écologique, anthropologique, métaphysique…Son univers technoféodal a marqué durablement les consciences, parce qu’en se propulsant dix mille ans dans le futur, il balaye d’un revers tous nos dogmes contemporains : démocratie, scientisme, capitalisme, etc.
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Le défi était donc énorme pour Villeneuve, et on peut dire qu’il s’en tire avec les honneurs. Son adaptation classieuse rend hommage à la complexité de l’œuvre d’Herbert en n’omettant jamais d’être divertissante. Le scénario rigoureux n’omet aucun dialogue, place ses enjeux avec habileté et un art de la ligne claire qui permettra même aux néophytes de se situer dans la géopolitique complexe, quasi-florentine, de l’univers herbertien. Le casting quatre étoiles donne une solide assise à l’Imperium, et il se dégage de l’ensemble une solennité qui fait plaisir à voir en ces temps de blockbusters cyniques et décérébrés.
Mais voilà : Denis Villeneuve manque de vision. C’est un habile artisan, qui a su tirer d’un budget réduit des images intéressantes, mais son esthétique à la limite du « brutalisme » n’est pas vraiment adaptée à la grandiloquence nécessaire au space opera, à ce que les Anglais appellent le sense of wonder. À ce titre l’adaptation de Lynch, pourtant en partie ratée, lui fait encore de l’ombre. Mine de rien, le Dune de 1984 était parvenu à construire quelque chose de démesurément pop, avec la complicité de Toto et d’une famille de producteurs italiens rompus aux exercices de styles bigger than life.
Ce Dune 2021 n’échappe pas aux ambiances monochromes des séries télé à la mode, quand il ne lorgne pas carrément vers le minimalisme de certaines scénographies d’opéra
Villeneuve lui a opté pour une esthétique minimaliste, comme il l’avait déjà fait pour ses incursions précédentes dans la SF. Si cette austérité visuelle sied bien à la hard science de Premier Contact ou au cyberpunk post-mortem de Blade Runner 2049, elle est beaucoup moins adaptée à l’univers de Frank Herbert. Sans aller jusqu’aux délires psychédéliques de Jodorowski, on aurait aimé un peu plus de spectacle, de folie, d’ampleur graphique.
Au final, ce Dune 2021 n’échappe pas aux ambiances monochromes des séries télé à la mode, quand il ne lorgne pas carrément vers le minimalisme de certaines scénographies d’opéra (les scènes de batailles, dénuées de décor, semblent tout droit sorties d’une mise en scène récente de Wagner à l’opéra de Paris). Un parti pris intéressant, efficace, mais dont on doute au final qu’il passera les années. Adapter Herbert demandait certainement une plastique plus visionnaire que ces chromos bien sages servis pas une mise en scène policée, et Villeneuve s’impose ici davantage comme un concepteur d’images doué que comme un réel metteur en scène habité par un univers. Sans compter l’habituelle bande-son tout en infrabasses d’Hans Zimmer, tout à fait insupportable et dénuée de mélodies. On saluera tout de même l’effort, et on espère qu’en cas de succès, ce Dune permettra à d’autres projets plus ambitieux de se lancer, tant la SF regorge encore de monuments littéraires à adapter.
Dune (2h36) par Denis Villeneuve avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, en salle le 15 septembre