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Emmanuelle Ménard : « On ne se met jamais à la place de l’enfant »

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Publié le

6 octobre 2019

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Emmanuelle Ménard 3

Présente à la manifestation contre l’extension de la PMA organisée aujourd’hui par le collectif Marchons enfants, Emmanuelle Ménard, députée non inscrite, estime que le gouvernement commet l’irréparable s’il va jusqu’au bout de sa logique en légalisant la filiation d’intention. Elle en appelle à un sursaut des consciences et rappelle qu’il n’existe pas de droit à l’enfant.

 

Concernant le projet de loi de bioéthique, vous avez déposé un rappel au règlement, estimant que le temps de parole incombant aux non-inscrits était ridiculement court. Pourquoi ?

 

Richard Ferrand a fait adopter, contre l’avis de tous les groupes politiques d’opposition, un nouveau règlement intérieur qui bride encore un peu plus la liberté de parole dans l’hémicycle. Et pourtant, il refuse de l’appliquer ! En effet, les règles de fonctionnement prévoient qu’en cas de temps législatif programmé (dispositif permettant de fixer à l’avance la durée consacrée à l’examen en séance d’un texte de loi), le temps de parole global des députés non-inscrits doit être proportionnel à leur nombre. En pratique, cette règle n’est pas respectée car le groupe des communistes, composé de seize députés, a obtenu 4h25 de temps de parole alors que les non-inscrits, au nombre de 14, n’ont eu droit qu’à une heure ! J’ai protesté à plusieurs reprises, malheureusement sans succès, et surtout sans réponse, ce qui me conduit à saisir le Conseil constitutionnel de ce déni de démocratie.

 

L’article 1er ouvrant la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules a été voté dans une Assemblée clairsemée, composée de 80 personnes au plus. Pourquoi n’y a-t-il pas une franche opposition comme en 2012 ?

 

Nous étions 75 députés présents. Beaucoup ont peur d’aller à rebours de ce qu’on présente à tort comme « le sens de l’histoire », qui irait mécaniquement vers plus de progressisme, comme si c’était cela qui épanouirait la société. Nos adversaires n’hésitent d’ailleurs pas à utiliser le registre de la diabolisation, un député communiste m’ayant même traitée d’« incarnation du patriarcat » après que j’ai défendu une motion de rejet du texte. Certains sont courageux, comme Agnès Thill, non-inscrite, Xavier Breton, Marc Le Fur, Annie Genevard, Thibault Bazin ou Patrick Hetzel (LR), ou encore Blandine Brocard au sein de LREM. Mais cela reste une petite minorité au regard des enjeux.

 

Vous vous êtes beaucoup battue sur l’article 4 qui révolutionne l’organisation de la filiation…

 

Pas autant que je l’aurais souhaité à cause du temps de parole dérisoire qui nous reste ! Mais j’ai essayé de défendre le principe fondamental de notre droit de la filiation selon lequel la mère de l’enfant est celle qui en accouche (hors adoption cela va de soi). C’est un principe de bon sens, accessible à tous, qui a structuré nos sociétés depuis la nuit des temps. Dans le projet de loi, on nie les conséquences juridiques de l’accouchement : dans le cas d’une PMA réalisée au sein d’un couple de femmes, celles-ci deviendront mères à égalité par reconnaissance anticipée chez le notaire. Le fait que l’une des deux ait accouché de l’enfant n’aura donc aucun effet juridique puisque la compagne de la mère sera mère au même titre qu’elle. On nage en plein délire ! Ce basculement vers une filiation d’intention ouvre la porte à la GPA – d’ailleurs encouragée par le vote de l’amendement de Jean-Louis Touraine sur la reconnaissance des GPA réalisées à l’étranger – et débouchera logiquement sur la multiparentalité. Si être parent ne dépend que de la volonté, alors rien ne s’oppose à ce qu’il y ait des « trouples », comme ils disent ! C’est d’ailleurs ce qu’a reconnu le député Bastien Lachaud de la France insoumise, lui-même plaidant pour une évolution en ce sens.

J’ai essayé de défendre le principe fondamental de notre droit de la filiation selon lequel la mère de l’enfant est celle qui en accouche.

En commission, vous avez aussi surpris Agnès Buzyn proférer des propos effrayants avant de se raviser ensuite en séance plénière…

 

Avec cette réforme, il existera deux régimes juridiques d’embryons conçus par PMA : ceux nés d’un donneur anonyme et ceux qui seront conçus après la réforme et dont l’identité du tiers donneur sera connue. Le personnel des CECOS, les centres qui conservent ces embryons, devra gérer, du moins pendant un temps, ces deux régimes. La ministre de la Santé nous a tranquillement asséné en Commission que la gestion de ces deux régimes juridiques distincts étant « anxyogène » pour le personnel des CECOS, ils allaient procéder à la destruction de pas moins de… 12 000 embryons ! Tous ceux qui relèvent aujourd’hui du régime de l’anonymat seront purement et simplement supprimés !

 

Lire aussi : Emmanuelle Ménard : “nous avons besoin d’un parti plus européen et libéral que le Rassemblement national”

 

Êtes-vous inquiète des conséquences d’un tel bouleversement anthropologique ?

 

Bien sûr ! On n’examine que les conséquences immédiates d’une telle loi : donner la possibilité à des couples de femmes ou à des femmes seules de faire un enfant. Bref, le droit au bonheur… Mais comment empêcher l’enfant né « sans père » de vouloir un jour le retrouver ? Avec la levée de l’anonymat – ce qui est à mon avis une bonne chose -, il pourra le faire. Mais comment l’empêcherez-vous de vouloir trouver plus qu’un géniteur ? Comment lui interdire de chercher auprès de lui affection, reconnaissance et soutien ? Les donneurs, qui peuvent être potentiellement « géniteurs » d’une dizaine d’enfants, en sont-ils conscients ? Et comment empêcherez-vous l’enfant devenu majeur de se porter devant la Cour européenne des droits de l’homme afin de réclamer l’établissement de sa filiation à l’égard de son géniteur. Je vois mal au nom de quoi la CEDH pourrait le lui refuser…

 

En réalité, cette loi est une mauvaise loi car elle se place systématiquement du point de vue de l’adulte. On ne parle que « projet parental », « droit à », « désir de », mais on ne se met jamais à la place de l’enfant. Celui qui, dans certains cas, naîtra sans père. Je ne comprends d’ailleurs pas que les pères – réduits à des « géniteurs » ou des « donneurs de gamètes » – ne fassent pas davantage entendre leur voix ! C’est pour préserver les droits de l’enfant que nous avons manifesté aujourd’hui !

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