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Flannery O’Connor dans L’Atelier du Roman

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Publié le

29 janvier 2021

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Tandis que les nouveaux inquisiteurs américains vont jusqu’à s’en prendre à l’un des plus grands écrivains de cette nation, la belle revue de Lakis Proguidis lui consacre un numéro passionnant.
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En juin dernier, un certain Paul Elie appelait dans le New Yorker au procès de Flannery O’Connor, accusée de ne s’être pas suffisamment purgée des préjugés racistes de son Sud natal et d’élection durant sa courte existence, puisque ce génie des lettres rendit l’âme à juste trente-neuf ans. Les meutes numériques excitées par l’odeur du lynchage et du déboulonnage de tout ce qui les dépasse se déchaînèrent alors sur Twitter et, après pétition des élèves, on finit par débaptiser une résidence, exécutant les décrets de la « cancel culture », cette nouvelle table rase suscitée par de très vieux démons et qui fait toujours aussi bien jouir les médiocres (qui sont légion).

De l’autre côté de l’Atlantique, une revue littéraire résistant encore à l’asphyxie spirituelle ambiante lui consacre son cent-troisième numéro. Promesse tenue par son directeur, Lakis Proguidis : « Je m’acquitte maintenant de la promesse faite à Philippe Muray de consacrer un numéro de L’Atelier du roman à Colette et un autre à Flannery OConnor », la revue est sous-titrée « Le réalisme des lointains », en référence à une réflexion de la célèbre nouvelliste et romancière : « La qualité prophétique du romancier est liée à ce qu’il est capable de voir dans les choses proches les prolongements de leur signification, et capable de voir les choses lointaines de très près. Le prophète est un réaliste des lointains ».

Contre les gnostiques

Précoce et se sachant condamnée dès ses vingt-six ans par le lupus, cette jeune bigote en sursis retourna dans sa ferme géorgienne écrire parmi ses paons. Héritière de Faulkner et de Dostoïevski, elle donna à l’Amérique des années 50 et 60 des pages vertigineuses de justesse psychologique et de profondeur métaphysique qui la firent rapidement reconnaître comme un classique du XXe siècle. Un classique catholique qui réunit saint Thomas d’Aquin et Flaubert dans un même mouvement créateur, ainsi que le montre Trevor Cribben Merrill, associant le réalisme littéraire à une nécessité de l’incarnation opposée à l’œuvre à message ou moralisatrice, condamnée comme hérétique tant sur le plan religieux que littéraire car relative au dualisme gnostique.

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Nunzio Casalaspro évoque aussi avec brio cette esthétique de l’incarnation que la romancière oppose aux intellectuels dualistes (progressistes ?) comme elle oppose des personnages ignorants possiblement touchés par la grâce aux vérités abstraites et optimistes. C’est parce qu’elle s’inscrit dans la lignée de Hawthorne, Gogol ou Bernanos, explique Cécilia Dutter, qu’O’Connor n’épargne rien du réel concret, parce qu’elle « entend faire apparaître le sacré au sein du réel rugueux qui s’étale sous ses yeux ». Le romancier Jean Berthier éclaire certains de ses paradoxes en reliant l’œuvre d’O’Connor à quelques souvenirs personnels. Lambros Kampéridis décrypte la romancière visionnaire et Romain Debluë la dimension scandaleuse de récits où la sainteté ne peut plus se montrer que sous un aspect grotesque, à l’aune de la perception contemporaine.

La prophétesse du sud

Myrto Petsota relie l’univers et la sensibilité d’O’Connor à la poésie anglaise du Moyen-Âge, car son Sud est peut-être une survivance médiévale, mais une survivance qui agonise, comme le montre notre collaboratrice Sylvie Perez (« L’Art de la Chute ») décrivant O’Connor comme une observatrice d’un monde en transition qu’elle projette dans l’universel alors qu’il disparaît. Pascale Privey, Emmanuel Dubois de Prisque, Jérôme Couillerot y vont aussi de leur plume et de leur esprit pour compléter cette fascinante exégèse que conclut Lakis Proguidis, lequel évoque les prophètes sans prophéties des romans de Flannery O’Connor. « Selon l’anthropologie romanesque de Flannery O’Connor, la horde primitive n’est pas enfouie dans la nuit des temps. Elle est devant nous », affirme-t-il. Comme le prouvent en effet ceux qui s’en prirent à sa mémoire cet été. Pour résister à la horde, procurez-vous ce magnifique numéro de L’Atelier du roman et découvrez ou relisez Flannery.

L’Atelier du Roman n°103. Flannery O’Connor, le réalisme des lointains de Collectif. Buchet Chastel, 208 p. – 20€

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