Nous ne pourrons pas dire que nous n’avions pas été prévenus… À la suite de sa réélection, l’une des promesses les plus emblématiques d’Emmanuel Macron est en passe d’être respectée : la légalisation de l’euthanasie. Pour un homme d’État qui nous a constamment habitués à enfreindre ses engagements, on en serait presque agréablement surpris s’il ne s’agissait à terme de mettre en place cette loi macabre.
C’est le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui a lancé officiellement les hostilités, en contredisant sans honte, l’avis qu’il avait rendu en 2016 et qui excluait, à l’époque, la possibilité d’une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Il faut rappeler qu’entre-temps la composition de ce Comité consultatif a été opportunément changée. En effet, le poste de président est occupé depuis 2017 par le professeur Jean-François Delfraissy dont on connaît les positions variables sur les questions éthiques. Ce dernier, interrogé en 2018 sur les changements d’avis du CCNE sur la PMA à six ans d’intervalle, justifiait ce revirement éthique par « l’évolution de la société et de ses valeurs ». Aujourd’hui, c’est au tour de la fin de vie de faire l’objet d’une révision par ce même Comité. Par ailleurs, le 22 avril dernier, vingt nouvelles personnalités représentant diverses associations y ont été intégrées par décret du gouvernement. Malgré quelques opposants à l’euthanasie auxquels il faut rendre hommage, un avis favorable a hélas été rendu par le CCNE. Cette légalisation supposerait toutefois « certaines conditions strictes avec lesquelles il apparaît inacceptable de transiger ». Gageons que ces conditions sauteront dans les dix ans à venir si le Comité considère à nouveau que les « valeurs de la société ont changé ».
Sous l’apparence de la sagesse, cette loi sera la première pierre de l’édifice qui permettra ensuite aux forces progressistes de réclamer moins de restrictions, plus d’euthanasies
Voici donc venir d’invraisemblables débats sur la nécessité ou non de favoriser l’interruption de la vie de nos anciens ou de nos grands malades avec, comme argument massue, le sempiternel sondage de l’IFOP du 8 avril dernier brandit à chaque occasion : « 93% des Français considèrent que la loi française devrait autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent ». 93%, voilà un chiffre qui pèse dans le débat ! C’est d’ailleurs probablement ce chiffre qui pousse Emmanuel Macron à envisager le risque du référendum, lui qui est si frileux à employer cet outil sur d’autres sujets. La vérité, c’est que, bien souvent, ces 93% de Français ne connaissent pas la loi qui existe et qui admet déjà la mise en place d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès lorsque le pronostic vital de la personne est engagé à court terme. Sur le long terme, il est possible de mettre en place des traitements pour soulager les symptômes du patient et l’accompagner humainement. Et il s’avère justement qu’une grande majorité de malades cessent de demander la mort lorsque les hôpitaux mettent en place un accompagnement adapté. Voilà peut-être surtout le domaine dans lequel l’État devrait investir si la dignité de nos concitoyens était réellement sa priorité. Car il s’agit bien d’avoir le sens des priorités : le moment est-il vraiment opportun d’opposer les Français les uns contre les autres sur un sujet qui concerne chaque individu intimement, qui déchaîne les passions dans un camp comme dans l’autre, et cela à un moment où les feux de la guerre se rapprochent et où la crise économique semble à son paroxysme ?
Par ailleurs, lorsque l’avortement a été légalisé initialement, il était seulement question de légaliser l’interruption de grossesse pour les cas particuliers afin d’éviter des situations dramatiques, avec comme ligne rouge d’éviter la systématisation des IVG en France. Le discours de Simone Veil devant l’Assemblée nationale le 26 novembre 1974 en témoigne. Aujourd’hui, l’IVG est tellement « peu systématique » que 200 000 avortements sont pratiqués chaque année en France. De la même manière, la loi sur l’euthanasie qui sera proposée sera une loi restrictive, qui ne permettra la mort du patient que dans des cas extrêmes et avec des conditions particulièrement difficiles à remplir. Mais nous ne devons pas être dupes : sous l’apparence de la sagesse, cette loi sera la première pierre de l’édifice qui permettra ensuite aux forces progressistes de réclamer moins de restrictions, plus d’euthanasies. D’ailleurs, dès lors qu’une loi sur la fin de vie, même restrictive, est mise en place dans un pays comme cela a été le cas en Suisse, on remarque que les médecins s’affranchissent rapidement de cette loi et font s’effondrer les digues que l’on pensait avoir introduites dans le texte législatif.
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Car si l’euthanasie est une question importante et douloureuse pour de nombreux Français, c’est également un sujet idéologique pour une minorité de progressistes. Ceux-ci voient dans cette loi la possibilité de s’opposer à l’ancien ordre social considéré comme absolument néfaste alors qu’il était fondé sur des lois naturelles, et de continuer à fouetter les chevaux fous du progrès « vers l’infini et l’au-delà ». Ainsi, nous ne devons pas seulement nous opposer à ce projet progressiste. Nous devons aussi lui opposer le nôtre : un projet qui ne se borne pas à dénoncer l’immoralité des propositions de loi sur l’euthanasie, mais qui avance des solutions pour permettre aux malades et aux anciens de vivre leurs derniers jours dignement à une époque où la plupart des Français vivent au moins jusqu’à 80 ans. C’est sur ce sujet que devrait se concentrer le gouvernement. En particulier, sur le développement des soins et de la culture palliative qui doivent être considérés comme des priorités de santé publique.
Nous devons également réaffirmer la nécessité de promouvoir les liens familiaux qui constituent l’un des palliatifs les plus efficaces et une raison de continuer de vivre pour la plupart des personnes âgées et des grands malades. Ces liens sont hélas l’un des grands oubliés de la politique des vingt dernières années qui n’a eu de cesse de les attaquer par l’hyper-individualisation de notre société. Dans ce cadre, la notion de service doit être replacée au cœur de nos sociétés et remplacer la notion d’individualisme qui consume ces liens naturels : si nous sommes capables de prendre soin des nourrissons, d’éduquer nos enfants sans attendre de récompense à titre individuel, nous pouvons également prendre soin de nos anciens et de nos malades, quels qu’en soient les coûts et quelle que soit la situation économique de notre pays. C’est à ce prix-là que nous conserverons notre humanité.