Trump est un génie. Voilà pour l’essentiel de l’article, vous pouvez désormais tourner la page et reprendre une activité normale. Puisque je vous sens un tantinet désarçonné, voire vaguement inquiet – je reprends mon propos et le développe.
Que l’on ne se méprenne nullement sur le personnage, Trump est roi de la même manière que Triboulet est bouffon. En pleine conscience. C’est un bateleur à couronne qui brandit tout à la fois le sceptre royal et la marotte de l’histrion. Si le monarque a dans ses manches les cartes du royaume, il est toutefois contraint de se restreindre et d’adopter une posture d’être hiératique, il est désossé pour mieux endosser un costume de responsabilité, de respectabilité, qui l’empêtre et l’empêche de manifester pleinement ses attributs humains. Alors que le baladin, d’une nonchalance feinte, a le stylet du rire en poche. Il peut brocarder à tour de bras et épingler son adversaire mais – parce qu’il y a toujours un mais – il n’a pour armes que la carcasse fugitive du verbe. Les saillies drolatiques se répercutent certes en écho dans les couloirs du palais mais vous n’êtes jamais à l’abri de la cognée qui, en coup de vent, vient vous raccourcir la nuque.
Non là où Donald Trump est une sorte de mage new generation, c’est qu’il parvient tout à la fois à être roi et bouffon et qu’il se sait roi ET bouffon. L’articulation est singulière, il manie aussi bien la parole souveraine que le rire gras du comique troupier. On ne rigole jamais mieux qu’entre deux tranchés ! Et puisque le peuple est de sortie, il peut tout tranquillement relayer une vidéo où on voit son double (encore un !) adouber Nancy Pelosi et publier un segment le montrant en train de lâcher des hectolitres de matière fécale sur la tête des manifestants qui n’en demandaient tant. Car ce n’est ni le roi, ni le bouffon qui fait cela, c’est là l’œuvre de l’entité chimérique. Le monstre, c’est aussi cette dissonance entre ce qui doit être et ce qui est réellement. Les médias ne comprennent pas Trump parce qu’ils font l’impasse sur cette double nature. Il n’est lui-même que parce qu’il est deux en un.
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Lancé initialement en février 2025, le mouvement « No Kings on President’s Day » reprend son souffle le 14 juin (jour du défilé militaire coïncidant – étrangement – avec l’anniversaire de Donald) avant la déflagration d’octobre. D’ailleurs le pluriel est intéressant, pourquoi mettre un « s » au mot « king » tant Trump semble se suffire à lui-même. Ceci dit, maintenant que le « s » est là, JD Vance aurait tort de se priver et de ne pas entrer dans la danse ! Qu’il entre avec ses habits de dauphin, il ne fera pas d’ombre au vieux roi, il n’en est même pas le prolongement puisqu’il ne saurait y avoir de descendance à Trump. Les fous peuvent faire d’eux-mêmes ce qu’ils veulent, le sens commun glisse entre leurs doigts comme une savonnette mouillée. Ils n’ont ni ascendant, ni hériter. Ils sont leur propre démiurge.
En juin pourtant, il avait eu ces quelques paroles : « Je ne me sens pas comme un roi. Je dois passer par l’enfer pour faire approuver les choses. » Mais on sent bien, qu’au fond, ces accusation lui plaisent. Elles le réhaussent en dignité, mieux vaut être tyran que victime. Du moins dans la conception trumpienne du pouvoir, qui est, il faut bien l’avouer, pas plus bête qu’une autre.
Et si les manifestations anti-Trump sont d’ores et déjà parmi les plus massives de l’histoire des États-Unis, il faudrait, selon Erica Chenoweth, une participation approchant des 3,5 % de la population totale (soit 11 millions de manifestants) pour que quelque chose quelque part commence à bouger. Pour l’instant, un embryon de revendication étend mollement une nageoire dans l’ombre. Pas assez pour effrayant le géant jaune.
Alors que conclure si ce n’est que Donald Trump a compris l’essence même de son époque quand tous les autres lui courent après. Roosevelt avait anticipé l’influence de la radio, Reagan celle de la télévision, Trump a su saisir les désirs cachés de notre époque. Et la tendance est au rire décomplexé et aux lazzi. Le roi est mort, vive le roi, vive le bouffon, vive Trump !




