« Une personne déracinée est très facile à dominer », écrit fort justement le pape dans son dernier ouvrage que nous ne conseillons cependant pas au lecteur de se procurer, pour ce qu’il est, hélas, aussi contradictoire qu’ennuyeux de nombrilisme. Ce triste constat établi par François dans un éclair paraclétique ne l’empêche pas de prêcher partout ailleurs la grandeur de la migration, dont on peut inférer sans faire trop d’efforts intellectuels qu’elle produit du déracinement, donc de la domination. Étrange aveuglement.
La grande histoire de ces peuples jetés les uns contre les autres, dont les individus finissent broyés, qu’ils soient des nomades ou des sédentaires, et jetés ainsi parce que des gouvernements auront été rendus impuissants par des idéologues au nombre desquels il faut bien compter le pape, cette grande histoire de notre temps, qui nous obsède peut-être plus que de mesure, avouons-le, reste à faire.
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En effet nous obsède ce phénomène inouï de la modernité qui aura érigé la désaffiliation, le déracinement, la délocalisation, la déshabitation en norme, voire en injonction. Et que des athées, des agnostiques, des païens, rejetons aveugles et oublieux du christianisme s’y laissent prendre, passe encore, quoique la saine raison dût les avertir ; mais qu’un pape, que des cardinaux, des évêques, des curés se fassent les fourriers de cet arrachement, cela passe l’entendement. Certes, l’Église catholique, et c’est sa grandeur, a toujours cru en l’existence d’une humanité une et uniment sauvée ; elle a toujours souhaité qu’advienne l’oikuménè, soit la connaissance de toute la terre habitée, et qu’y lève la semence de l’évangile. Mais il est inédit qu’elle ait cru que cette dissémination de la vérité pût passer par la ronde et l’entrechoquement infinis de petites fourmis courant sur le globe.
Elle a toujours su que s’il fallait choisir le Père contre son père, c’était personnellement et par grâce, et non comme une théorie générale de table rase du passé. Enfin, avec saint Thomas qu’apparemment on lit de moins en moins dans la Ville éternelle, elle savait que si la grâce surélève la nature, elle ne l’abolit pas. Qu’ainsi famille, communauté, village, patrie, nation, civilisation n’étaient pas d’accessoires impedimenta qu’on pouvait jeter par-dessus bord sans souffrir en retour. Le pape prétend dans son livre qu’est venu le temps de nous passer au crible : téméraire prophétie qui imagine que le bon sera séparé du méchant, le bon étant évidemment le pauvre du Sud, élevé contre le méchant du Nord. Pour sauver les bidonvilles de Buenos Aires et la grande forêt primordiale, il faut selon toute probabilité franciscaine abattre nos douces chaumières de l’Europe tempérée, où dans une bourgeoise torpeur nos âmes s’abîment et se perdent. Court et infatué raisonnement. Nous ne sommes pas le jaloux frère aîné de l’enfant prodigue, et nous sommes prêts à partager avec les pauvres. Mais partager n’est pas détruire, contrairement à ce que croit le Pape.
Car à quoi sert de sauver l’Amazonie si c’est pour perdre la France ? À quoi sert d’entasser du migrant si c’est pour abattre les fondations de la maison ? À quoi sert de vanter l’homme si c’est pour promouvoir la fin de la civilisation ?
Quand tout s’écroule, il s’agit de devenir fondamentaliste. Nous sommes fondamentalistes. Et sur ce fondamentalisme, nous rebâtirons notre pays
« Je sais, écrit François, que certains catholiques blêmissent quand je parle comme cela, en particulier ceux qui, fuyant une société où la vérité est considérée comme inconnaissable, « personnelle » dans un sens individuel, cherchent dans l’Église catholique une forteresse de certitude, semblable à un rocher, imperméable au changement ». En effet, salauds et hérétiques que nous sommes, nous avons mis notre foi dans une Église, épouse du Christ, forteresse de certitude. Et il ferait beau voir qu’on nous fît changer d’avis.
Sinon quoi ? À qui ira notre allégeance ? Aux chefs populistes, au cours de la Bourse, aux amis de la Terre Mère, à Greta Thunberg, à Elon Musk et à ses fusées pour Mars, au grand imam d’Al Azhar, au Bouddha vivant, à Marc Lévy, aux vaccins à 94,5 %, à la grand-mère de Bergoglio et à sa morale de concierge ?
Le pape lutte contre tout, contre tout ce qui existe, contre tous les fondamentalismes, dit-il. Et en effet, quand tout s’écroule, il s’agit de devenir fondamentaliste. Nous sommes fondamentalistes. Et sur ce fondamentalisme, nous rebâtirons notre pays.