En philosophie, la tension entre ces deux pulsions de mort se traduit par un double prisme de la pensée : le systématisme d’une part, la déconstruction et ses multiples avatars de l’autre. Or puisque le jeu universitaire veut qu’il n’y ait qu’un champion – ou plusieurs champions d’une même école de pensée – les modes se succèdent au rythme des générations. Ainsi donc, au tournant des années 70, usée par une hégémonie datant de l’immédiat après-guerre, l’orthodoxie marxiste a laissé place à la French Theory. En se réappropriant la dialectique de leurs aînés, les nouveaux pontes ont subverti la téléologie prolétarienne en la remplaçant par un messianisme des marges sociales. Ce fut alors le temps de la bizarrerie, de l’extravagance, des abécédaires abscons et des bestiaires ubuesques.
Mais l’heure est aujourd’hui au syncrétisme, à la résorption des conflits. Rejailli du fin fond des catacombes, le vieux Spinoza est remis au goût du jour. Dans les facs comme sur France Inter, on le brandit tel un totem. Le paria d’Amsterdam est sans conteste du côté des penseurs systématiques. L’Éthique, son chef-d’œuvre, est bâti sur le schéma déductif des démonstrations géométriques : les principes de la logique viennent féconder sept axiomes fondamentaux et huit définitions, les conclusions se font elles-mêmes hypothèses et s’enchevêtrent en de nouvelles ramifications de l’esprit. Chaque démonstration se conclut par un laconique et définitif « CQFD », sorte de signature d’un auteur attaché aux vérités éternelles et éthérées de la mathématique universelle.
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