Philippe Martel est partisan de l’annulation du concert de Médine au Bataclan en octobre. Il représente le CNRE, duquel sont membres Renaud Camus, Karim Ouchikh ou le général Piquemal. Il a bien voulu répondre à nos questions.
Médine est toujours programmé au Bataclan les 19 et 20 octobre prochains. Quel est votre sentiment ?
Un sentiment d’horreur et d’incrédulité : le même que celui qu’inspirerait l’annonce d’une soirée choucroute des anciens de la division “Das Reich” et de leurs familles à Oradour-sur-Glane.
Considérez-vous que Médine soit un « islamiste » ? Un provocateur comme le sont généralement les rappeurs ?
“Islamiste”, je ne saurais dire, je ne suis pas un spécialiste de son art. Tout son folklore, son accoutrement, son imagerie, ses références, ses amitiés, beaucoup des paroles de ses morceaux relèvent en tout cas de l’islam le plus spectaculaire et conquérant.
C’est naturellement le Bataclan qu’il désire, ce qui souligne bien le caractère de provocation du projet, sa teneur hautement emblématique
Faut-il interdire le concert au risque d’en faire un martyr ?
Mais nous ne souhaitons nullement interdire le concert ! En ce qui nous concerne M. Médine peut se produire où il veut, sauf au Bataclan. Il a des dizaines, voire des centaines d’autres salles à sa disposition. Mais non, c’est naturellement le Bataclan qu’il désire, ce qui souligne bien le caractère de provocation du projet, sa teneur hautement emblématique — sur ce point nous sommes d’accord, lui et nous. S’il se produit là, et pas ailleurs, c’est une victoire formidable pour le conquérant, qui montrera à ses troupes et à leurs alliés qu’il est capable d’infliger les pires humiliations au peuple conquis, soumis, remplacé, avec le concours sans état d’âme des autorités de collaboration. S’il se produit là, et pas ailleurs, si les Français acceptent sans regimber cette gifle, cette profanation, ce sacrilège délibéré à l’égard des morts, alors ils accepteront tout, et c’en sera définitivement fini d’eux.
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Dans nos colonnes, le journaliste rock Patrick Eudeline a eu ces mots : « Je n’ai jamais pu supporter Bertrand Cantat, quant à Médine, je vous laisse supposer. Mais tout cela laisse un arrière-goût amer, un mauvais goût dans la bouche. Un goût de censure et d’interdit ». Qu’en pensez-vous ?
Il n’y a aucun rapport entre Medine et Cantat qui a commis un meurtre dans un cadre privé, sans connotation politique. Et cette affaire n’a strictement rien à voir avec la censure et la liberté d’expression. Dieu sait que les espaces ne manquent pas, en France, pour ce genre de son et de paroles, ni le public. Si l’on voulait empêcher Dieudonné de faire un sketch à Treblinka, personne ne songerait à invoquer la liberté d’expression.
Si l’on voulait empêcher Dieudonné de faire un sketch à Treblinka, personne ne songerait à invoquer la liberté d’expression
Monsieur Jardin, père d’une victime, a demandé l’annulation du spectacle. Pourquoi le rappeur Médine, s’il est sincère dans ses déclarations empathiques pour les victimes du terrorisme, ne s’est-il pas dit que son concert au Bataclan serait immanquablement perçu, à juste titre, comme une provocation, et n’a-t-il pas renoncé de lui-même à se produire sur cette scène ?
Permettez. Le rappeur Médine a organisé son concert au Bataclan parce que cela serait immanquablement perçu comme une provocation. La provocation est d’ailleurs l’essence du rap, elle est l’essence du marketing, mais surtout, surtout, elle est l’essence de la conquête, de la colonisation, de la démoralisation systématique du peuple colonisé. Frantz Fanon est très éloquent sur ce point. Il s’agit toujours, pour le colonisateur, de voir jusqu’où il peut aller trop loin. Et ensuite d’aller un peu plus loin.
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Qu’avez-vous prévu pour empêcher ces deux concerts ? Êtes-vous en contact avec des familles de victimes ?
Tout ce qui sera en notre pouvoir dans le respect de la loi. Il ne faut pas que ce sacrilège laïque soit commis : tout sera bon pour l’empêcher. Nous sommes en contact avec Patrick Jardin, le père d’une des victimes du Bataclan, que nous soutenons de toutes nos forces dans son combat. Mais cette affaire ne concerne pas seulement les “familles des victimes”. Ce sont tous les Français et même tous les Européens qu’elle invite à réfléchir sur le destin de leur peuple, de leur patrie et de leur civilisation. À cet égard, elle est une ligne de partage des eaux idéale. On ne peut qu’être avec nous ou contre nous. Il n’y a plus de tergiversations possibles, plus de je serais bien venu mais pas avec celui-ci ou avec celle-là, plus de je suis avec vous de tout cœur mais je ne viendrai pas et je ne veux pas que ça se sache à cause de la troisième phrase de votre troisième paragraphe. Il y a d’un côté un grand refus, de la France humiliée, souillée, bafouée jusque dans sa chair et dans la mémoire de ses morts, et de l’autre il y a une lâche acceptation, un consentement tacite au déshonneur et à l’effacement, un intenable “on verra la prochaine fois”. Je ne suis pas sûr qu’il y ait de prochaine fois.