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Le weekend du 21 mars, les ministres au gouvernement s’amusaient dans une conversation Telegram de l’explosion du nombre de visiteurs sur les sites pornographiques en raison du confinement. Derrière ce ton léger se traduit la banalisation de la culture porno généralisée dans la société française jusqu’aux plus hautes sphères de l’État.
Pourtant, la pornographie constitue bien un autre virus qui s’est propagé massivement dans les foyers depuis l’avènement d’internet : addiction, évolution de l’orientation sexuelle, altération de la structure cérébrale, dysfonctionnements érectiles, dépression, anxiété… Si la pornographie s’est développée, la littérature scientifique dans ce domaine s’est elle aussi étoffée et elle est formelle : la consommation de X entraine de graves répercussions neurologiques.
Une industrie métamorphosée
L’avènement de l’internet à haut débit a révolutionné le marché de la pornographie. Au cours du 20e siècle, cette industrie s’axait essentiellement autour de la commercialisation de magazines, de cassettes VHS ou de DVDs, et de la diffusion de vidéos pornos via les réseaux de télévision câblé, les cinémas X ou les services vidéo à la demande des chaines hôtelières.
Cependant, dans les années 2000, l’industrie du X a amorcé sa métamorphose : le porno est devenu gratuit. Dès 2007, l’apparition des « Tubes » sur internet a remis à plat les règles du jeu. Sur le modèle de YouTube, ces Tubes représentent des milliards de vidéos, accessibles en illimité et gratuitement, même aux mineurs. Inutile de s’inscrire ou de justifier son âge. En captant 90% de l’audience de la planète, les sites pornographiques qui hébergent ces Tubes ont naturellement balayé les traditionnels acteurs de ce marché dont les revenus dépendaient de la commercialisation de leurs productions.
Les sites pornographiques qui hébergent ces Tubes ont naturellement balayé les traditionnels acteurs de ce marché.
Les ventes de films et de magazines ont coulé, les cinémas pornographiques ont fermé, les chaines d’hôtel comme le Hilton, le Hyatt ou l’Intercontinental se sont délestés de leurs catalogues de vidéos pour adultes, puisque l’activité n’était plus profitable, et les grands groupes industriels comme Comcast, Time Warner ou AT&T (propriétaire de Direct TV), qui diffusent des films pornos via le câble, ont subi des baisses d’audience massives.
Le marché de la pornographie représenterait un revenu massif situé aux alentours des 100 milliards. L’essayiste et auteur du livre la Société Pornographique, Jean-Paul Brighelli, rapportait en 2012 que l’industrie du X pourrait même générer plus de 200 milliards avec les revenus indirects. D’autres tempèrent l’estimant plutôt à 15 milliards. Quoi qu’il en soit, ce qui caractérise ce revenu, c’est qu’il est principalement capté par un seul acteur : Mindgeek, qui détient environ 70% des parts du marché et la majorité des sites porno.
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Mindgeek, une société opaque et tentaculaire
Mindgeek est devenu le premier diffuseur de porno au monde et son premier producteur. Rusé celui qui devinera son activité en consultant son site internet. Sur sa page d’accueil, elle explique être une simple société technologique. De fait, en cherchant à garder la discrétion, peu de monde en a entendu parler.
Le lancement obscur et tortueux de Mindgeek frise l’illégalité. Tout commença avec le lancement des sites Youporn en 2005 puis Pornhub, qui décideront d’agréger et de diffuser ces fameux Tubes sur leur plateforme. Pour ce faire, les fondateurs de ces sites s’appuyèrent sur une loi américaine créée à une époque où on ne pouvait imaginer l’évolution du web : le Digital Millenium Copyright Act.
Pornhub et Youporn pouvaient “voler“ n’importe quelle vidéo puis la publier sur leur site jusqu’à ce que l’ayant-droit se manifeste.
Grâce à ce stratagème qui coulera les studios de production, Pornhub et Youporn pouvaient “voler“ n’importe quelle vidéo puis la publier sur leur site jusqu’à ce que l’ayant-droit se manifeste. Étant hébergeur et non éditeur, ils n’étaient, en effet, pas tenus responsables du contenu mis en ligne. L’affaire fonctionne à merveille et des sites porno similaires seront créés. Mais entre 2009 et 2015, ils seront presque tous rachetés, dont Youporn, par les fondateurs de Pornhub et regroupés sous la société baptisée aujourd’hui Mindgeek.
La métamorphose de ce marché a conduit à un nouveau modèle économique : de la vente de productions, l’objectif est désormais de générer du trafic pour attirer des visiteurs sur les sites de X. En effet, MindGeek génère ses revenus principalement via l’affichage publicitaire.
En Amérique et en Europe, faire de la publicité sur les sites porno est une pratique qui se démocratise. Par exemple, le directeur artistique de la marque de mode Diesel expliquait : « Nous allons tous sur des sites comme Pornhub. Donc avant de commencer à vous branler, vous pouvez jeter un œil à notre dernier pantalon ». Une stratégie qualifiée de « gagnante » par le magazine Konbini, également employée par d’autres grands groupes tels que Kraft-Heinz ou Unilever, dont les nombreuses marques emblématiques se trouvent en supermarchés. Ne plus limiter la diffusion de spots publicitaires à la télévision ou sur les réseaux sociaux est un phénomène qui attrait jusqu’aux politiques. L’année dernière, un député danois du parti Alliance Libérale franchissait une frontière du marketing politique en étendant sa campagne des législatives jusque sur Pornhub.
Toutefois, divers revirements de publicitaires se sont produits de peur d’être éclaboussés par l’explosion de contenus sexuels impliquant des mineurs et des viols. En revanche, une enquête de Vice révélait que Pornhub ne semblait avoir tout bonnement rien à faire d’héberger du contenu illégal de cet ordre.
La stratégie de Pornhub est désormais de normaliser le porno dans la société pour attirer plus d’audience. À cet effet, ils multiplient les campagnes publicitaires : pubs de Noël à la télé, panneau publicitaire géant sur la place publique de Times Square à New York, lancement d’une ligne de vêtement, ouverture de boutiques éphémères à Milan et New York, défilés de mode avec des célébrités du porno, création de gadgets comme un « cul connecté » et d’un blog qui dispense des conseils… Même des célébrités se vantent de leur abonnement premium à Pornhub. Dernièrement, l’entreprise se targuait d’une donation de 50 000 masques au corps médical new-yorkais contre le Covid-19.
Mindgeek est aussi actif sur le versant politique. La société a illégalement investi plusieurs dizaines de milliers de dollars pour soutenir le vote non lors d’un referendum en Californie, qui visait à rendre obligatoire le port du préservatif durant les tournages de films. Le non l’a emporté. De la même façon, Mindgeek a récemment suscité une polémique au Royaume-Uni en s’investissant dans le cadre d’un projet de loi d’encadrement de la pornographie.
Sur le plan comptable, le groupe multiplie les sociétés dans des paradis fiscaux. À sa décharge, ses premiers concurrents, dont XVidéos appartenant au français Stéphane Pacaud, sont tout aussi opaques. Depuis que l’ancien propriétaire du groupe, Fabien Thylman, a été arrêté pour évasion fiscale, personne ne sait qui dirige réellement Mindgeek. Officiellement, la majorité de ses revenus provient de l’affichage publicitaire et des abonnements payants.
Les pouvoirs publics ne se penchent curieusement plus sur le cas de Mindgeek.
Un potentiel écran de fumée pour la réalisatrice Ovidie qui, dans son documentaire Pornocratie, a essayé d’identifier l’obscure provenance des fonds utilisés dans le cadre du rachat des différents sites pornographiques entre 2009 et 2015, soulevant la probable participation majoritaire de Wall Street. Avec ses interlocuteurs, ils évoquent un potentiel vaste réseau de blanchiment d’argent, faisant de l’activité principale de Mindgeek, la génération de trafic, un prétexte pour donner une impression de rentabilité. En 2009, la société est effectivement mise en cause par le FBI pour blanchiment d’argent. Cependant, une simple amende fut infligée et depuis, les pouvoirs publics ne se penchent curieusement plus sur le cas de Mindgeek qui, selon les témoignages du documentaire, n’hésiterait pas à défendre ses intérêts en émettant des menaces de mort et à collaborer avec des mafias de plusieurs continents.
Pornopromo
À l’instar de Konbini, plusieurs médias font ouvertement la promotion de sa consommation. Entre autres exemples, un article du Huffington Post intitulé « 7 raisons pour lesquelles le porno peut être sain et thérapeutique » ou une vidéo de Buzzfeed « 4 bonnes raisons pour lesquelles tout le monde devrait regarder du porno ».
La banalisation de la « culture porno » à tous les niveaux génère des effets concrets.
Dernièrement, 20 minutes semblait s’extasier que des sites comme Pornhub offrent un accès gratuit à leurs contenus payants « pour venir en aide aux Français » durant la pandémie : « On ne risque pas de s’ennuyer pendant le confinement ! », s’exclame-t-il.
Mais la banalisation de la « culture porno » à tous les niveaux génère des effets concrets. Thérèse Argot, sexologue qui intervient en milieu scolaire et qui décrétait récemment l’état d’urgence sexuel, alerte sur les nouvelles modes des cours de récré des petits collégiens dans son ouvrage Une jeunesse sexuellement libérée (ou presque) : consommation de vidéos porno en plein cours, masturbation sur les bancs de l’école, tournage vidéo d’“exploits sexuels“ entre amis partagés sur les réseaux sociaux etc.
Un nombre de consommateurs en constante croissance
Le confinement a entrainé un nombre record de visiteurs sur les sites X. Cependant, hors contexte actuel, les chiffres du trafic coupaient déjà le souffle. En 2019, Pornhub recensait à lui seul 42 milliards de visites sur l’année avec une moyenne de 115 millions par jour, soit l’équivalent des populations du Canada, de l’Australie, de la Pologne et des Pays-Bas réunies.
L’avènement de l’internet a placé les jeunes générations en première ligne. D’après les chiffres de l’association de lutte contre la pornographie DésintoX, 97% des garçons et 72% des filles de moins de 18 ans ont vu un film X. Par ailleurs, un rapport du Sénat soulignait que les premières expositions à la pornographie se font majoritairement vers l’âge de 13 ans.
Une simple faute d’orthographe sur Google peut mener le premier venu à un site X, y compris de très jeunes enfants.
Selon une étude conduite par l’entreprise de cybersécurité Bitdefender, un visiteur sur dix qui navigue sur les sites porno est âgé de moins de dix ans ! Des chiffres peu étonnants puisqu’une simple faute d’orthographe sur Google peut mener le premier venu à un site X, y compris de très jeunes enfants. Au Royaume-Uni, un sondage du British Board of Film Classification révélait que les enfants tombent sur du porno en ligne dès l’âge de sept ans.
La fréquence de consommation est elle aussi importante. Une étude américaine de 2016 révèle que 64% des jeunes de 18 – 24 ans regardent des vidéos pornographiques au minimum une fois par semaine avec une tendance croissante de ce comportement chez les jeunes filles. Les données sociologiques de Pornhub confirment d’ailleurs cette évolution. En effet, le site indique que les femmes représentent désormais 32% des visiteurs dans le monde, y compris en France, soit presque un visiteur sur trois, un chiffre qui augmente d’années en années.
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La France fait d’ailleurs partie des pays les plus gros consommateurs de pornographie atteignant en 2019 la 2e place du classement Youporn juste derrière les États-Unis et la 5e place du classement Pornhub.
En 2017, Emmanuel Macron confiait au média Konbini que le porno, « ça fait partie de la vie. » Cependant, en novembre 2019, le président évoquait à l’UNESCO le sujet de l’accessibilité de la pornographie aux mineurs et une piste de projet de loi. S’il salue la prise de conscience, le président de l’association Désintox, Pierre-Emmanuel de Germay, ne craint qu’il ne s’agisse que d’un effet d’annonce puisque la loi existe déjà et n’est tout simplement pas appliquée.
Etienne Faucher
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