Skip to content

Pornovirus : comment la pornographie infecte le cerveau (2/2)

Par

Publié le

17 avril 2020

Partage

[vc_row css=”.vc_custom_1587138632087{margin-right: 25px !important;margin-left: 25px !important;}”][vc_column][vc_column_text]

La pornographie addictive, vraiment ? 

 

Comme l’explique l’expert en neurochimie de l’addiction et auteur du bestseller Your Brain on Porn (Votre Cerveau Sous Porno), Gary Wilson, la question de la consommation de pornographie n’est ni morale ni religieuse. Elle porte sur la nature même du cerveau et la mutation qu’il subit sous son effet.

Tout d’abord, il faut noter que la conduite addictive ne recoupe pas uniquement les addictions aux substances psychoactives comme le tabac, l’alcool ou la drogue. Elle inclut aussi les addictions aux comportements comme le jeu, tel que le définit le ministère de la Santé. Ce n’est pas tant la substance ou le comportement qui importe que les réactions chimiques responsables de l’addiction ayant cours au sein du cerveau.

Dans son livre Les étonnants pouvoirs du cerveau, le psychiatre Norman Doidge évoque le concept de neuroplasticité : comment l’expérience vécue modifie la structure cérébrale tout au long de la vie. Et de souligner : « La pornographie satisfait à toutes les conditions au changement neuroplastique ».

Le mécanisme de l’addiction a lieu au niveau de la région cérébrale appelée « circuit de récompense ». Cette zone primitive du cerveau a pour fonction de motiver l’être humain à accomplir les actions nécessaires à sa survie, dont la reproduction. Le désir d’accomplir ces actions entraîne la production de dopamine, souvent qualifiée de « molécule du plaisir », dont le circuit de récompense raffole. Cependant, la pornographie dérègle complètement ce système de dopamine et rend progressivement le système de récompense insensible aux sources naturelles de plaisir.

D’une part, les scientifiques ont observé sur les scanners cérébraux une sensibilisation du cerveau qui correspond à un conditionnement Pavlovien à la pornographie : le désir de regarder un film X entraîne une production anormale de dopamine, générant une forte envie masturbatoire et renforçant à chaque consommation l’association dans le cerveau pornographie – plaisir. De l’autre, un phénomène de désensibilisation.

Le consommateur se retrouve alors dans une situation paradoxale. Il est excité par quelque chose qu’il n’aime plus.

La sécrétion de dopamine active le système immunitaire, qui tentera d’inhiber sa production et conduira au développement d’une tolérance, caractéristique principale de l’addiction. Comme le circuit de récompense se désensibilise, un même contenu pornographique procurera de fait moins de plaisir. Le consommateur se retrouve alors dans une situation paradoxale. Il est excité par quelque chose qu’il n’aime plus.

C’est pourquoi, lorsque le plaisir n’est plus au rendez-vous, le consommateur surmonte sa tolérance en se dirigeant vers des genres pornographiques nouveaux et progressivement plus extrêmes, figurant par exemple le viol, l’inceste ou des scènes sadomasochistes. C’est à ce prix que la sensation de plaisir sera de nouveau au rendez-vous.

 

La vulnérabilité du système de récompense

 

Pourquoi le consommateur doit-t-il regarder des vidéos d’un genre nouveau ou plus extrêmes pour surmonter sa tolérance ? Ce qui stimule le circuit de récompense, c’est la nouveauté. Un phénomène d’accoutumance à un même film érotique, dépassé dès la projection d’un nouveau film, s’observe dans les études aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Avec des contenus sexuels nouveaux accessibles en illimité et en un clic, les sites pornos ont tout ce qu’il faut pour ravir la soif de nouveauté du circuit de récompense. Il s’agit là d’une différence fondamentale avec les générations passées qui ne disposaient souvent que de magazines comportant des images statiques, ne faisant donc pas le poids contre le sexe réel.

 

Lire aussi : Pornovirus : comment la pornographie infecte le cerveau (1/2)

 

Un deuxième élément affecte le circuit de récompense : les stimuli supranormaux. A l’instar d’un Big Mac ultra sucré-salé de chez McDo qui procure plus de sensations qu’un plat de purée, la pornographie correspond à une stimulation supranormale qui génère une production de dopamine supérieure à la normale. Les films X génèrent ces stimuli supranormaux en raison des états émotionnels qu’ils suscitent. Entre autres, la surprise ou le choc (qu’est-ce qui n’est pas choquant dans le porno d’aujourd’hui ?) ou la violation des codes (un genre complètement décalé avec ce qui se fait habituellement, ses valeurs voire sa sexualité). Ces états émotionnels entraineront la production d’autres substances chimiques et d’hormones dans le cerveau, amplifiant ainsi les effets déjà puissants de la dopamine et, par suite, l’envie de pornographie.

Pour des raisons liées à la vie privée, déterminer le nombre de personnes affectées par une dépendance à la pornographie est difficile. Cependant, dans un sondage de 2014 conduit aux États-Unis, un homme sur trois entre 18 et 30 ans pensaient y être addicte.

La ligne téléphonique de soutien KidHelpline reçoit un volume d’appels grandissant d’enfants de onze et douze ans inquiets d’une addiction au porno.

Un contraste marqué avec leurs homologues entre 50 et 68 ans, moins concernés par l’avènement de l’internet, qui n’étaient que 5% dans cette situation. Plus inquiétant, le quotidien australien Courier Mail rapporte que la ligne téléphonique de soutien KidHelpline reçoit un volume d’appels grandissant d’enfants de onze et douze ans inquiets d’une addiction au porno.

 

Évolution de la pratique et… de l’orientation sexuelle

 

Progressivement, en désensibilisant à des contenus softs et en se sensibilisant à des contenus de plus en plus hard, une confusion naît dans l’esprit du consommateur : il pense aimer ce qui l’excite sexuellement. Le témoignage d’un petit garçon de 12 ans, rapportée par Thérèse Argot dans son livre, résume bien la chose : « La pornographie, tu trouves ça répugnant et en même temps, ça t’excite. Si ça m’excite, ça veut dire que je dois aimer ça… ». Du point de vue neurologique, excitation et appréciation restent, cependant, deux choses distinctes. C’est bien le cerveau qui est excité par la production de dopamine.

Plusieurs études dont une conduite au sein des universités d’Amsterdam et de Leyde en 2014 ont confirmé qu’il est possible de conditionner les goûts sexuels. De ce fait, beaucoup angoissent en silence de la mystérieuse évolution de leur goûts sexuels voire de leur orientation sexuelle, ne pouvant plus ressentir d’excitation sexuelle à moins de visionner un contenu fétichiste, sadomasochiste ou même transsexuel.

Beaucoup angoissent en silence de la mystérieuse évolution de leur goûts sexuels voire de leur orientation sexuelle.

Sur ce dernier point, les producteurs de pornographie transsexuelle reconnaissent eux-mêmes que cette variété, qui fait partie des plus célèbres sur internet, s’adresse en priorité à une audience hétérosexuelle.

Une étude américaine de l’université de Columbia réalisée en 2016 a, par ailleurs, révélé qu’il n’est plus du tout rare aujourd’hui que des hommes consomment des contenus pornographiques à l’opposé de leur orientation sexuelle. Ainsi, 21% des hommes hétérosexuels rapportent regarder du contenu pornographique homosexuel et pas moins de 55% des hommes homosexuels reconnaissent consommer du porno hétérosexuel.

 

L’amour et le couple aux oubliettes

 

Inéluctablement, la nouveauté illimitée et la surstimulation qui imprègnent la pornographie entrainent des répercussions sur le couple et les sentiments. Une étude de 2017 des universités d’Indiana et New York rapporte que l’augmentation de la consommation de films X est corrélée à une augmentation de la préférence pour la pornographie plutôt que pour le sexe réel. Par ailleurs, une étude publiée dans le journal Evolution and Human Behavior montre qu’une simple exposition à plusieurs images de femmes “sexy“ conduit un homme à dévaluer sa conjointe. Pour couronner le tout, en  consommant de la pornographie, une étude de l’université du Kentucky révèle qu’hommes et femmes sont moins satisfaits de leur conjoint et accordent plus d’importance au sexe sans implication émotionnelle.

 

Incapable de se contrôler et baisse des facultés cognitives

 

La pornographie est associée à un rétrécissement du lobe frontal. Un problème puisqu’il s’agit de la région cérébrale en charge de la prise de décision, du raisonnement et du contrôle inhibiteur, ce qui explique le comportement des personnes dépendantes, comme la recherche de drogue, sans considération des potentielles conséquences négatives. À ce jour, 13 études d’imagerie cérébrales sur 47 ont montré des dérèglements sur l’activité du cortex préfrontal des personnes dépendantes à la pornographie.

 

Lire aussi : L’Incoronavirus – Jour 31

 

Sans surprise, les chercheurs rapportent aussi que la consommation de pornographie est associée à des problèmes de concentration, des interférences dans la mémoire de travail, une faiblesse accrue des fonctions exécutives et une performance scolaire réduite. Ces résultats concordent d’ailleurs avec la découverte qu’une consommation modérée de pornographie, même par des personnes non-dépendantes, est corrélée avec un rétrécissement de la matière grise du cerveau dans les régions du cerveau liées aux fonctions cognitives.

 

Pannes d’érection

 

Dans une étude de l’université de l’Indiana, 50% des jeunes hommes, dont la moyenne d’âge était de 29 ans, étaient en incapacité de ressentir une excitation sexuelle et d’atteindre une érection en visionnant de la pornographie. Interpellés, les chercheurs découvrirent que ces dysfonctionnements sexuels étaient dû à une haute exposition à la pornographie. En effet, les participants à l’étude confirmèrent échouer à obtenir une érection devant des images de pratiques sexuelles conventionnelles et nécessiter des contenus sexuels nouveaux.

Entre 1948 et 2002, le dysfonctionnement érectile des hommes de moins de 40 ans oscillait entre 2 et 3%. Cependant, depuis 2010, avènement des Tubes sur internet, six études ont souligné que ces taux ont bondit, allant de 14% à 33%, soit une augmentation de 1 000% au cours des quinze dernières années. Les femmes aussi sont concernées, comme le souligne une étude canadienne. Une femme consommatrice témoigne que « le désir est là mais l’excitation sexuelle est absente ».

 

Dépression et anxiété

 

Par ailleurs, environ 25 études à ce jour ont établi une corrélation entre dépression et une consommation problématique de pornographie. Idem pour l’anxiété. Des spécialistes de l’addiction regrettent que la plupart des professionnels de santé ne considèrent pas le porno comme étant problématique et, en conséquence, diagnostiquent parfois des troubles de santé mentale comme troubles primaires sans tenir compte des habitudes de consommation d’internet de leurs patients.

Des spécialistes de l’addiction regrettent que la plupart des professionnels de santé ne considèrent pas le porno comme étant problématique.

Souvent, d’anciens consommateurs témoignent ne pas revenir des résultats obtenus en arrêtant le porno qu’ils qualifient d’ « antidépresseur dont j’avais besoin ».

 

La pornographie mène-t-elle à la violence ?

 

Dans une étude de 2010, une équipe de chercheurs a analysé les scènes de 50 films pornographiques les plus populaires. En moyenne, seulement une scène sur dix ne comportait pas d’agressions verbales ou physiques et 95% des « victimes » simulait le plaisir ou la neutralité. Un problème puisque les adolescents tendent à s’éduquer en matière sexuelle avec le porno. Et ce n’est pas sans conséquences. Une étude publiée par le journal Oxford Academic souligne que cela conduit à une augmentation des comportements agressifs, des fantaisies violentes voire jusqu’à des agressions sexuelles.

 

Peut-on quand même consommer de la pornographie ?

 

Le discours qui revient régulièrement est celui de la modération, supposant que les effets de la pornographie sont binaires. Soit quelqu’un a des problèmes induits par le porno, soit il n’en a pas. Cependant, le neurochimiste Gary Wilson rappelle que formuler cette question ainsi ignore la prise en compte du principe de neuroplasticité ; le cerveau évolue et s’adapte constamment en fonction de son environnement. Par ailleurs, plusieurs études révèlent que même une faible exposition à des stimulis supranormaux peuvent rapidement altérer le cerveau et changer le comportement. Par exemple, une étude de l’université de Corée a montré qu’après seulement cinq jours de jeux vidéo, des jeunes adultes présentaient une sensibilisation marquée et visible sur les scanners cérébraux. Ils n’étaient pas dépendants mais l’activité cérébrale élevée indiquait de fortes envies de jouer.

 

Les effets de la pornographie sur le cerveau sont-ils réversibles ?

 

Si la neuroplasticité fonctionne dans un sens, elle fonctionne aussi dans l’autre. Les dépendants à la pornographie peuvent restaurer la sensibilité de leur cerveau aux sources naturelles de plaisir, dissiper progressivement les puissantes envies de pornographie et aussi inverser l’altération du lobe frontal. Pour ce faire, la méthode recommandée est de n’exposer son cerveau à aucun stimuli sexuel artificiel pendant plusieurs semaines voire plusieurs mois et de replacer son attention sur la vie réelle.

Des symptômes de sevrage, plus ou moins sévères et variant selon les personnes, comme de la dépression, de l’anxiété ou de l’irritabilité peuvent survenir.

Ces stimulis incluent bien sûr la pornographie mais aussi toute autre activité qui pourrait générer une stimulation artificielle similaire comme des applications de rencontre ou des images excitantes sur les réseaux sociaux. Généralement, une majorité arrête aussi temporairement ou réduit drastiquement la masturbation en vue d’éviter toute forme de stimulation, même si l’objectif premier reste bien de mettre fin à la consommation de porno.

 

Progressivement, les circuits neuronaux sensibilisés se dissoudront, même s’ils resteront à jamais vulnérables. Tout retour à la pornographie reste donc définitivement proscrit. Des symptômes de sevrage, plus ou moins sévères et variant selon les personnes, comme de la dépression, de l’anxiété ou de l’irritabilité peuvent survenir, comme l’indiquent des études en la matière et les témoignages. Bien que désagréables, ils annoncent cependant le processus de guérison. Aristote estimait: « Je considère plus courageux celui qui conquiert ses désirs que celui qui conquiert ses ennemis car la victoire la plus dure est la victoire sur soi-même. »

 

 

 

Etienne Faucher 

[/vc_column_text][/vc_column][/vc_row]

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest