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« Povera à noi » : les malheurs de l’agriculture corse

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Publié le

28 octobre 2019

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Ces derniers jours, à l’instar de leurs homologues du continent, les agriculteurs corses et en particulier les éleveurs des filières ovine, bovine, caprine et porcine ont manifesté leur colère à maintes reprises dans l’île.

 

Ils protestaient contre le durcissement des procédures et l’interruption du versement des aides européennes sur les déclarations de surfaces productives. Cette situation reflète, une nouvelle fois, les turpitudes d’une technocratie niant aujourd’hui les fondamentaux de la PAC…

 

« Povera à noi » comme l’on dit en Corse, pauvres de nous !

 

Pour paraphraser Philippe Séguin, on pourrait imaginer que la France est le détaillant d’un seul et même grossiste, l’Europe, en vertu du fait que la macronie a supprimé les notions de droite et de gauche. En Corse, depuis plusieurs jours, les éleveurs multiplient les actions de lutte pour obtenir le paiement de leurs déclarations de surface dans le cadre de la PAC. Déjà en 2015, l’UE avait sommé la France de durcir les critères en matière de subvention considérant que le maquis méditerranéen n’était pas à proprement dit une terre agricole… Sauf que cela fait quand même plusieurs centaines de siècles que les bêtes y vivent et s’y nourrissent… Première aberration !

 

Lire aussi : L’éditorial de Jacques de Guillebon : Nous sommes des possédés

 

L’UE avait réclamé à la France le remboursement d’un milliard d’euros pour cause de fraudes et d’anomalies pour la période 2008-2012. L’Etat, par le biais du ministre de l’Agriculture de l’époque, Stéphane Le Foll s’était engagé à financer ce remboursement sur le budget propre de l’Etat : « Les agriculteurs ne seront pas comptables de cet apurement. Les aides de la Pac à venir ne bougeront pas » avait indiqué le ministre. La France était le pays le plus sanctionné des pays membres par rapport à « ses carences à vérifier le bien-fondé des aides versées aux agriculteurs notamment en matière d’éco-conditionnalité et de calculs des surfaces agricoles éligibles. » concluait le rapport européen.

Sur ce dernier critère des surfaces agricoles éligibles, c’est la Corse qui était principalement pointée à l’index européen. En cause, la fraude d’une minorité au détriment d’une grande majorité d’éleveurs. Dans ce climat de noirceur, l’horizon s’était éclairci pour les agriculteurs avec une réévaluation de la PAC pour les sept années suivantes avec une moyenne des aides découplées PAC passant de 90 euros l’hectare à plus de 240 euros avec la possibilité de bénéficier du droit de paiement à la base (DPB), soit une avance de trésorerie que les éleveurs ont touché avant l’entame de chacun des derniers trimestres respectifs à l’exception de…2019 ! Pour Joseph Colombani, le Président de la Chambre d’Agriculture de la Haute-Corse : « Le Foll avait compris l’intérêt de la reconnaissance du parcours pastoral et surtout du projet corse qui consistait à démontrer que sur une même parcelle, on pouvait réaliser plusieurs savoir-faire agricoles. »

 

« Ces photos aériennes ont été prises dans certains cas durant l’été, une période où la végétation est inexistante, alors forcément, les autorités se contentent de rester dans le registre de l’interprétation. Les faits leur donnent raison en août mais en septembre ce n’est déjà plus pareil.» Joseph Colombani

 

Dans la foulée, les contrôles sur les déclarations de surface se sont multipliés avec une nouvelle série de photos aériennes destinées à juger les espaces qui seraient productifs et ceux qui ne le seraient pas. Sur les 2?150 exploitations agricoles ayant demandé des aides européennes, 373 présentent, pour les services de l’Etat, «?des anomalies?». Des « anomalies » contestées aujourd’hui du fait évident de la période durant laquelle les prises de vue ont été effectuées. Un observateur proche du dossier souligne : « Ces photos aériennes ont été prises dans certains cas durant l’été, une période où la végétation est inexistante, alors forcément, les autorités se contentent de rester dans le registre de l’interprétation. Les faits leur donnent raison en août mais en septembre ce n’est déjà plus pareil.»

Pourquoi un tel changement de braquet en cours de PAC ? Joseph Colombani est clair : « Concrètement, l’Etat a voulu nous induire en erreur. L’actuel gouvernement a rejeté la faute sur Stéphane Le Foll en nous expliquant qu’il n’avait pas notifié le référentiel photographique national qui permettait l’identification des surfaces. Renseignement pris, l’Etat-membre avait jusqu’au 1er janvier 2018 pour le notifier ! Nous avons été totalement abusés ! »

Eleveur de chèvres dans la région du Centre Corse, à Popolasca, Mickael est pleinement concerné par cette nouvelle donne dans le registre des déclarations de surfaces en dépit de ses horaires journalier de travail (et il n’y a pas de week-end) qui s’étalent de 5 heures du matin à 20 heures le soir. Sa production d’un fromage de qualité et artisanal fait les délices d’une clientèle située entre Corte et Ponte Leccia.

 

Lire aussi : Agriculture : le jour du saigneur

 

Ancien élève du lycée agricole de Borgo, il est installé depuis maintenant près de dix ans dans le village de ses racines familiales. Un véritable labeur pour celui qui a choisi de vivre de sa passion afin d’élever dignement ses deux filles, Francesca Maria et Leandra. Les aides de l’Europe, en effet, il en perçoit mais cette manne lui sert avant tout à entretenir sa petite exploitation et à acheter le fourrage ou la nourriture nécessaire à l’alimentation de son cheptel de 180 chèvres.

Il réfléchit aujourd’hui à vendre son troupeau et à stopper son activité, à cesser d’exercer ce qui constitue le sel de sa vie. Comme lui, ils sont nombreux à manifester la même envie aujourd’hui. Il s’agit d’un véritable crève-cœur pour le Président de la Chambre d’Agriculture : « Quand on a un fou qui veut se jeter avec le cœur dans un projet d’installation agricole, quand il veut vivre de sa passion et bien les pouvoirs publics doivent tout faire pour l’aider. Ce sont des gens qui ont fait le choix de vivre à l’année dans des villages, qui accomplissent chaque jour un acte militant en y demeurant… Que veut-on en Corse ? On veut laisser partir notre jeunesse et voir nos villages continuer à se dépeupler ? Dans ces conditions, une fois que l’agriculture sera structurée, ce sera la porte ouverte à des babas cools qui viendront nous expliquer comment on doit faire le brocciu ! »

 

Le maquis donne de la saveur aux fromages insulaires

 

Johanna Barazzoli, la porte-parole d’I Ghjovani Agricultori Independente (Les Jeunes Agriculteurs Indépendants) partage les propos : « Tout le monde doit se mobiliser pour défendre nos parcours pastoraux. Nous avons eu des contrôles à partir du mois de juin sur des surfaces dites peu productives alors que nous étions en pleine période de sécheresse. Je suis éleveuse de chèvres en race corse, mes chèvres préfèrent se nourrir dans le maquis que de rester sur des terrains propres. Par ailleurs, le maquis donne une saveur essentielle au fromage. Nous voulons faire reconnaitre ces surfaces, nos anciens y étaient déjà, nous y sommes maintenant. Le fait de changer la donne en cours de route déstabilise nos filières. Les primes nous servent à payer le fourrage et les céréales pour nos animaux mais aussi la Groupama, la MSA. C’est un problème financier mais c’est aussi un problème moral. On travaille d’un bout à l’autre de l’année, sept jours sur sept et se retrouver totalement démuni, cela fait mal ! »

 

Avant tout une crise du foncier en Corse

 

Cette nouvelle crise agricole est aussi et avant tout une crise du foncier dans l’île : « L’agriculture corse, on va le reconnaitre a des difficultés à s’organiser car elle n’a pas de foncier et elle n’a pas encore de marché. Notre volonté est claire de sortir de ce désordre qui empêche notre agriculture de se développer. »

Joseph Colombani avance deux solutions : « Nous avons pris notre part de responsabilité, nous demandons maintenant à l’Etat et à la Collectivité de Corse de prendre la leur. Dans l’immédiat, il faut mettre en place le principe de Déclaration d’Intérêt Général (DIG) qui permet l’exploitation d’un terrain sans en référer au propriétaire. C’est du ressort de l’Etat qui peut invoquer plusieurs raisons comme la lutte contre les incendies, la raison économique. Dans la foulée de cette DIG, il faut procéder au remembrement avec le système de l’AFAF (Aménagement Foncier Agricole et Forestier). On doit ensuite trouver les ayants droits et leur faire une proposition honnête de rachat de leurs parcelles. Quand je dis honnête c’est qu’il faut ajouter à la valeur foncière du terrain sa valeur morale. On pourrait ainsi mettre en place un système visant à échanger des terres agricoles avec des terres constructibles. »

 

La note de l’espoir

 

Les représentants des chambres d’agriculture de la Corse seront reçus prochainement à Paris par le Ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume. Ils emporteront dans leurs bagages une note du Comité Européen des Régions en date du 9 octobre dernier : « Ce Comité Européen des Régions est le fruit du renouvellement des instances européennes lors des élections du mois de juin. La note du Comité se trouve en rupture complète avec l’ancienne Commission quant à la reconnaissance des parcours pastoraux. Elle précise la nécessité de maintenir une activité pastorale autant pour le développement du tourisme que pour la lutte contre les incendies. Elle vise aussi à accepter la saisonnalité comme élément fondamental des parcours pastoraux. Cette note va nous permettre de renégocier les critères des contrôles. » précise Joseph Colombani.

Comme l’affirme cette note, la réorientation de la PAC vers les garrigues et les maquis est impérative pour la survie de l’agriculture méditerranéenne plus familiale, plus latine et plus qualitative que le complexe agro-industriel du Nord… En Corse, on n’hésite plus à stigmatiser la conduite d’un Etat soumis à ce lobby que représente l’agriculture industrielle : « Il y a deux visions qui s’affrontent, l’une industrielle et productiviste du Nord, l’autre agro-pastorale à dimension familiale dans le Sud. Il y a une prise de conscience de l’opinion publique quant à la vision que nous défendons. Notre combat est aussi celui d’une agriculture raisonnée qui nourrit sainement son peuple. » En clair, pour Joseph Colombani, le véritable retour aux origines et aux fondamentaux de la PAC qui avait été conçue comme une politique économique devant assurer un revenu aux agriculteurs et des prix abordables aux consommateurs.

 

 

Certes, le système de la rente aux agriculteurs par l’exploitation des surfaces peut paraître aux yeux de nombreuses personnes comme aberrant mais les agriculteurs sont les premiers à en dénoncer les conséquences : « Nous n’avons jamais voulu vivre de la rente. Notre agriculture est en friche mais elle peut devenir productive à condition de régler les problèmes relatifs au foncier, aux moyens financiers et à la formation des hommes et des femmes aux savoirs faires ancestraux. Si nous étions dans le Désert de Gobi, je vous dirai qu’il faut continuer avec ce système mais ce n’est pas le cas. Lorsque l’on critique un système (et celui qui nous concerne est critiquable), il faut pour en sortir d’une manière efficace et durable, une alternative réelle avec de vraies solutions. Nous demeurons déterminés et notre état d’esprit se veut constructif. On ne veut pas installer de mafia ou de dispositif de rente mais faire le choix d’une agriculture respectueuse de l’environnement et garante d’une nourriture saine et de qualité pour le peuple. » CQFD !

 

Yannick Campo

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