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Réponse à Olivier Rey : Covid, qui sont les barbares ?

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Publié le

7 février 2022

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Suite à une tribune du philosophe Olivier Rey sur le Covid parue dans le Figaro Vox, notre rédacteur en chef Essais Rémi Lélian a tenu à lui adresser une réponse pour ré-affirmer preuves en main la gravité de la maladie et la nécessité de mesures.
covid

J’aime, cher Olivier Rey, dans vos livres, ce déplacement du regard qui nous fait observer les choses sous un angle différent, cette délicatesse de la pensée qui nous oblige à nous interroger, à regarder de nouveau ce que nous croyions avoir vu et ce que nous croyions déjà connaître, cet éclaircissement de l’intelligence grâce auquel le monde s’étoile, bref, j’aime dans votre œuvre la philosophie soit l’étonnement. Aussi, je regrette de lire dans votre tribune récente au Figaro les poncifs que vous y énoncez et qui sont ceux que beaucoup de penseurs, parfois d’importance, répètent en boucle depuis deux ans, souvent hélas, avec les imbéciles.

Ainsi, le Covid aurait révélé à une société de consommation anesthésiée et aux hommes qui la composent une nature mortelle qu’ils niaient, lesquels paniqueraient à sa vue, sans raison fondamentale puisqu’à la fin le virus, n’étant pas la peste qu’on attendait, s’avère un tueur décevant. Sans doute, y a-t-il une part de vrai là-dedans puisque tout le monde le dit et le répète sans discontinuer depuis deux ans : ça n’est pas la peste. Sans doute n’est-ce pas non plus le rôle du philosophe de répéter la même chose que ce que tout le monde dit et sans doute encore, si le diable se dissimule dans les détails, la vérité existe dans cette nuance qui réclame la précision sans quoi on raconte sans s’en apercevoir des mensonges.

Lire aussi : La vie nue de ceux qui ne sont rien

Par exemple, vous écrivez que le Covid tue moins que les cancers et les maladies cardio-vasculaires, rappelant que l’on ne fait pas le décompte quotidien des morts de ces deux plaies. Vous avez raison et vous avez tort. En effet, le Covid a bel et bien moins tué que les cancers et les maladies cardio-vasculaires. En une année, il a emporté avec lui près de 100 000 personnes. Le cancer en une année en décime 160 000 et les maladies cardio-vasculaires, un peu moins, 150 000. Il ne vous aura pas échappé par ailleurs qu’il ne s’agit pas de pathologies contagieuses, en quoi si elles demeurent des tragédies individuelles, elles ne regardent l’ensemble de la communauté que par coïncidence, d’où peut-être le fait que leurs proportions intéressent moins les médias et le peuple français qu’une maladie qui se propage, mais passons et revenons-en au Covid qui n’a tué que 100 000 personnes, plus exactement 90 000, en une année lors même que l’on a eu recours à des mesures de confinements drastiques, des couvre-feux, des masques une fois libérés des deux mois de claustration, des gestes barrières, des jauges, des fermetures, pour l’enrayer.

Du reste, on sait désormais, à l’inverse de ceux qui se sont exprimés trop tôt à son sujet, pressés de voir ce qu’ils avaient envie de voir, que le Covid n’est pas un virus saisonnier, pas encore, et qu’il peut aujourd’hui saisir ses proies tout au long de l’année, l’accalmie de l’été 2020 n’ayant été que la conséquence directe du confinement qui a imposé un violent coup d’arrêt à son élan. L’exemple de l’Angleterre est criant à cet égard, on voit que sans mesures majeures, le virus circule, hors pic, à une intensité égale tuant près de cent personnes par jour de septembre à novembre 2021. On visualise le carnage potentiel dans une population non majoritairement vaccinée.

L’exemple de l’Angleterre est criant à cet égard, on voit que sans mesures majeures, le virus circule

Nous voici donc en droit d’imaginer qu’hors restrictions le Covid aurait rivalisé sans souci avec le score du cancer et celui des maladies cardio-vasculaires, qu’il aurait même pu dépasser leur nombre réunis – 300 000 morts en l’espace d’une année, sachant ce que l’on sait de la maladie, figurant l’hypothèse d’un pire crédible. Pour information, il meurt chaque années 600 000 personnes en France, le Covid, dans le scénario du pire et d’un laisser-faire total aurait donc pu en représenter un nombre assez conséquent et exploser la surmortalité, il ne s’agirait alors plus vraiment d’une minorité de morts comme vous le signalez. On rappellera aussi que la courbe de la mortalité pour l’instant, près d’un an et demi après le début de l’épidémie, n’indique toujours aucun effet moisson. Ce que les français craignent donc, c’est une maladie qui, si on l’avait laissé faire, aurait pu être la première cause de mortalité morbide en France, non pas une simple affection parmi d’autres, non pas une grippe teigneuse, non pas un virus du bas de la première division, mais quantitativement un champion toutes disciplines confondues qui n’a été empêché de récupérer sa coupe que parce qu’on lui a refusé autant que possible l’accès à son terrain de jeu.

Ce que les Français ont vu aussi, c’est qu’ils avaient vocation à devenir vieux et qu’ils n’avaient peut-être pas vraiment envie qu’on les sélectionne leur temps venu d’être devenus fragiles et qu’il valait mieux réagir globalement que jouir de sa liberté sur le dos des autres, parce qu’un jour le temps arrivera où c’est eux que l’on poussera dans la fosse pour faire de la place. Est-ce mal ? On aimerait surtout qu’ils aillent au bout de leur raisonnement et qu’ils ne se contentent pas d’être solidaires et soucieux des faibles par temps de tempêtes virales. À moins aussi, et plus certainement hélas, qu’ils aient compris qu’en débordant les réanimations, le Covid menaçait aussi leur vie à eux et qu’ils n’aient pas peur du Covid pour ne pas avoir peur du reste, mais de mourir d’une maladie qui les regarde directement et qu’on n’aurait pas pu soigner faute de lits en réanimation. Faudrait-il alors rire de la mort et se moquer de ceux qui en ont peur et qui veulent vivre, privilégier le « struggle for life » qui fait que seuls les plus forts survivent, retrouver un peu du barbare en nous ? – Rassurez-moi, cher Olivier Rey, vous ne dites pas ça  ?

À vous lire, on croit donc comprendre que c’est plié, qu’on sait que les mesures étaient trop fortes, que la balance penche en leur défaveur et qu’il eût fallu avoir la main plus légère quitte à cela d’avoir combien : 50 000, 100 000, 200 000 morts de plus ? Autrement dit, nous reformulons votre affirmation en question de telle sorte que votre tribune nous parle un peu du monde et non seulement de l’idée qu’on en a à l’aune de ses propres lubies, qu’elle fasse un peu de politique en dur, et ne nous donne plus cette impression désagréable de ne pas vouloir s’inscrire dans la chair de la réalité : l’économie vaut la vie de combien de gros, de combien de vieux, de combien de cancéreux, de combien d’immuno-déprimés ? De combien d’inutiles sommes-nous prêts à faire payer de leur vie le prix des nôtres pour ne pas en faire trop sur le Covid ? Bien sûr, vous avez raison, on sait que le gouvernement possède aussi son propre calendrier, qu’il n’a pas forcément intérêt à ce que la crise cesse, et que sa gestion, largement critiquable, figure pour lui, grâce notamment à ceux qui se sont évertués deux années durant à minimiser l’ampleur de l’épidémie, une sorte de triomphe qui a donné à Macron ses galons de souverain. Manque de chance, votre tribune sort au moment où le gouvernement décide d’alléger les mesures et promet la fin du Pass Vaccinal avant l’été sans qu’on sache trop pourquoi par ailleurs, ce qui n’infirme pas pour autant le fait que ces mesures aient vocation à durer ; mais non pas seulement, cher Olivier Rey, parce que les gens auraient peur de mourir et ne vivraient plus pour la vie mais pour la santé, surtout parce que parmi ces gens beaucoup ne veulent pas être dérangés, qu’ils ne veulent pas de crises et que la France s’est partagée entre ceux qui ont compris qu’une catastrophe avait eu lieu et ceux qui l’ont, à divers niveaux, plus ou moins nié sans jamais faire l’effort de la comprendre. Ces derniers ont encouragé les français dans la perpétuation des mesures qui permettent de vivre tranquillement malgré le virus. Vous trouvez que la réaction au Covid a été exagérée, que le confinement est une mesure brutale, et vous avez mille fois raison : que proposez-vous donc pour que l’hôpital qui a encaissé en l’espace d’une année l’équivalent de 18 grippes puisse tenir face au Covid ? Qu’on investisse des millions uniquement dans les réanimations afin de préserver au maximum la vie des mourants, la fameuse vie nue avec laquelle les penseurs du dimanche nous saoulent depuis des mois ?
On pourrait aussi conditionner l’accès aux réanimations aux moins de 70 ans et l’interdire aux obèses et aux co-morbides, ce qui me semble permettrait au gens en pleine santé de profiter de leur vie au maximum sans qu’on les embête avec une grippe ? Mais cela ressemble furieusement à la biopolitique et à l’eugénisme et à une société qui ne serait tournée que vers la santé. À tout prendre vous devriez vous faire un militant du pass vaccinal, non ? Pour qu’on cesse d’en faire trop. Vous voilà alors en train d’osciller entre le tout santé et la barbarie – ô ironie…

 Mais je ne vous prête pas ces intentions car ce sont des questions que vous ne vous posez pas puisque vous pensez que le Covid tue largement moins que les cancers et les maladies cardio-vasculaires, qu’il n’est donc qu’un problème qu’on a hypertrophié, voire une anecdote… C’est dommage. C’est dommage qu’une erreur vous empêche de voir la réalité et ses possibilités cataclysmiques, c’est dommage qu’à cause d’elle vous puissiez peut-être laisser penser à certains qu’il ne s’est presque rien passé, sinon un hologramme médiatique. Dommage de dénoncer la peur fantasmatique de la mort lors que la mort frappe, dommage de penser que les Français se sont seulement recroquevillés sur leur ego et leur trouille quand ils ont aussi vu – je veux le croire – qu’il existait des personnes qui n’étaient pas eux et qui pouvaient mourir et pour lesquelles cela valait la peine de sacrifier cette sacro-sainte liberté dont on voit surtout qu’elle est une idole creuse. C’est dommage que vous donniez l’impression de ne faire de la vie qu’un simple chemin vers la mort qu’on ne doit pas déranger pour qu’on puisse à la fin accepter de la quitter sans regret ; c’est dommage de ne pas avoir saisi l’occasion du Covid pour rappeler qu’elle est souvent chaos, incertitude, erreur, qu’elle est terrifiante dans sa fragilité, et que la souffrance en est le prix. Dommage de ne pas remarquer que beaucoup ont été prêts à souffrir et d’avoir réclamé, sur la base d’une mauvaise évaluation de la singularité de cette épidémie, que leur souffrance cesse au prix de la vie des autres pour laquelle ils souffraient. Dommage enfin d’avoir été de ceux qui leur ont suggéré, bien indépendamment de votre volonté je l’espère, qu’il fallait qu’ils exigent de ne plus souffrir jamais. C’est dommage de ne pas voir que les barbares que vous évoquez sont bel et bien venus  –  je refuse que ce soit pour la raison qu’il faudrait vous compter parmi eux. 

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