Les candidats à la présidentielle ont entamé la course aux parrainages. Certains redoutent de ne pas obtenir les 500 signatures. Ce système vous paraît-il injuste ?
En réalité, le Conseil constitutionnel n’emploie pas le mot de « parrainage » mais celui de « présentation. » Cette subtilité n’est pas un détail sémantique : elle indique la nature de cette démarche. En effet, il s’agit de permettre à un candidat de se présenter et de défendre ses idées dans le débat de la présidentielle. Il s’agit donc, par extension, d’assurer à la mère des batailles électorales son caractère démocratique sans lequel les grands courants idéologiques ne pourraient s’exprimer, au risque de faire le lit de l’abstention et de contribuer encore davantage à la dépolitisation de la grande nation politique qu’est la France.
Les communautés naturelles ayant constitué la France éternelle sont mises à mal depuis des décennies par les avatars libéraux-libertaires du contrat social rousseauiste. Alors, si nous finissons de saborder l’expression de la « volonté générale » permise par le vote, rare élément fédérateur dans ce contrat social précaire et administratif, le concept de nation, dans toutes ses acceptions (généalogique, contractuelle ou la combinaison des deux à travers l’imaginaire collectif cher à Anderson), disparaîtra sur le « territoire France ». Les citoyens élus qui disposent de ce droit de « présentation » ont donc une responsabilité importante qu’ils ne doivent pas balayer d’un revers de main.
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La « présentation » ne s’apparente en aucun cas à un acte partisan ou d’adhésion. Ainsi, l’élu qui signe n’est pas un parrain mais un garant qui se porte caution du principe constitutionnel du pluralisme politique. La confusion des termes entretient la crainte de certains élus locaux, particulièrement de celle des maires soucieux de l’équilibre des sensibilités au sein de leur majorité municipale et du « qu’en dira-t-on » de leurs administrés. Or, les moments marquants de la vie collective de la nation sont rares, se cantonnant aux grandes messes sportives. Pourtant, ils sont essentiels pour éviter une anomie destructrice. Les élus doivent donc prendre leurs responsabilités : présenter un candidat et expliquer leur démarche à leurs administrés au lieu de se réfugier derrière les risques encourus à cause de la publication des « parrainages » au fil de l’eau sur le site du Conseil constitutionnel. C’est un devoir démocratique et moral qui incombe à l’élu.
Pourtant, l’immense majorité des maires ne présentent aucun candidat à la présidentielle.
S’ils signent en faveur d’un candidat, les maires ont l’impression d’imposer une couleur politique à leur conseil municipal, parfois non-partisan ou trans-partisan. En outre, de très nombreux édiles connaissent personnellement la quasi-totalité de leurs administrés. En effet, plus de la moitié des communes de France métropolitaine comptent moins de 500 habitants. Les villages sont ainsi à l’image des grandes familles où l’on exclut les débats politiques le dimanche pour éviter la discorde. J’engage mes collègues, maires des communes rurales, à exercer leur devoir sans complexe, quitte à faire de la pédagogie auprès de leurs administrés sur leur choix. Dans des villages à taille humaine, cette pédagogie est tout à fait réalisable. Nos concitoyens sont assez lucides pour comprendre que leur maire ne fait qu’exercer son devoir pour garantir la vie démocratique sans exprimer une quelconque opinion partisane.
Certaines communes auront plus régulièrement des subventions selon leurs affinités avec l’exécutif d’un département, mais ça ne sera pas explicite
Les maires peuvent subir des pressions : c’est d’ailleurs le principal argument du Rassemblement National pour expliquer la difficulté à récolter les 500 signatures.
Que les pressions existent, nul n’en doute. Je nuancerais cependant l’argument du chantage à la subvention. Il est possible, sur un même territoire, que des subventions soient ventilées par un département ou une région avec malice, en fonction des partis ou des clientèles. Ainsi, certaines communes auront plus régulièrement des subventions selon leurs affinités avec l’exécutif d’un département, mais ça ne sera pas explicite. Cela ne signifie pas que les autres en seront privées. En effet, aucune commune ne peut être mise au ban à cause du parrainage de son ordonnateur. La demande de subvention d’un maire s’effectue souvent via des délibérations publiques en conseil municipal à destination des potentiels financeurs (intercommunalité, département, région, État, voire Union européenne) qui versent l’aide en s’appuyant sur un cahier des charges où figurent des critères administratifs et des objectifs définis selon le domaine d’intervention concerné.
Par conséquent, je trouve contre-productive et caricaturale l’explication répétée à satiété par les cadres du RN sur les plateaux télés selon laquelle les maires peuvent perdre leurs subventions s’ils parrainent Marine Le Pen. Au contraire, soyons positifs et rappelons la décision historique de la justice qui a condamné en septembre 2020 Carole Delga, présidente socialiste d’Occitanie pour discrimination à l’encontre de la municipalité RN de Beaucaire avec laquelle elle avait refusé de signer le contrat de ville. Cette « jurisprudence Beaucaire » protège de facto toute commune de discrimination politique et garantit la neutralité des exécutifs dans l’attribution des subventions. Il faut que les cadres et porte-paroles de la candidate du Rassemblement national arrêtent d’entretenir la crainte des maires de perdre leurs subventions. Il faut les rassurer en mettant en avant publiquement cette « jurisprudence Beaucaire ».
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N’étant pas aux affaires, nous ne pouvons pas faire évoluer le système. Cependant, au lieu de nous complaire dans une position victimaire, tentons de trouver des solutions pour ne plus se faire peur jusqu’au dernier moment et compter la moindre signature.
Vous dites que le RN se complaît dans une position victimaire. Qu’entendez-vous par là ?
Je constate que les mêmes complaintes ressortent à chaque élection présidentielle. C’est la troisième fois que Marine Le Pen se porte candidate à l’élection présidentielle et nous avons l’impression que rien n’a été entrepris pour contourner ces difficultés administratives. Environ 250 élus RN et apparentés sont en mesure de signer pour Marine Le Pen. Comment se fait-il donc que la récolte de 250 signatures supplémentaires s’apparente à un chemin de croix ? N’est-ce la faute qu’à la publicité des parrainages ? Je ne le pense pas. Si nous n’étions pas seuls, si des démarches d’alliances locales avaient été entreprises, j’ai la conviction que nous n’aurions pas toutes ces difficultés. Cela passe par une stratégie locale dépourvue de tout réflexe partisan : on ne calque pas des réalités nationales sur un contexte local, au risque (à l’instar des municipales de 2020) de subir d’importants revers électoraux. Les élus locaux n’aiment pas les logiques de partis. De plus, le fait intercommunal, qui oblige les élus à s’associer autour de compétences techniques au-delà des étiquettes politiques, accentue considérablement cette logique apartisane.
Marion n’a malheureusement jamais été écoutée
Il est vrai que de nombreuses listes d’ouverture ont été montées au RN, notamment à Dreux en 1983 avec des élus RPR, notre premier succès électoral médiatique. Mais il ne faut pas confondre ouverture avec alliance, union avec annexion. Le problème de certains cadres est qu’ils ne parviennent pas à faire la distinction entre ces deux tactiques par manque d’expérience au sein d’exécutifs locaux : nous pratiquons l’ouverture, mais nous ne pratiquons nullement l’alliance ou l’union. L’union a été sporadiquement faite au second tour de la présidentielle de 2017 avec Nicolas Dupont-Aignan. Mais depuis lors, plus rien.
Marion Maréchal avait proposé de mettre en place des « circonscriptions blanches » aux législatives de 2017 où le RN n’aurait pas présenté de candidats face à des élus locaux compatibles avec nos idées sans qu’ils soient membres du RN. Cette démarche aurait marqué une ébauche d’alliances locales que nous aurions pu faire fructifier, entretenir, afin qu’elles débouchent sur des parrainages a posteriori. Marion n’a malheureusement jamais été écoutée. Or, aucun parti ne gagne seul : tous pratiquent l’alliance, même le RPF du général de Gaulle à ses grandes heures.
L’alliance n’est nullement de la compromission, c’est un compromis territorial et non idéologique. L’union, concept d’actualité car porté par Éric Zemmour, ne signifie pas que l’on souhaite s’unir avec un autre parti mais que l’on veut s’entendre avec des élus locaux divers droite ou, dans certains cas, apparentés LR. C’est par la base que ce type d’alliances peuvent se faire et prospérer. Rejeter toute tentative d’alliance avec des élus locaux sous prétexte que leur étiquette politique n’est pas la bonne, c’est faire l’amalgame entre un cacique national et un élu local enraciné, plein de bon sens. C’est une erreur d’appréciation guidée par des réflexes claniques.
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En Tarn-et-Garonne, j’ai réussi à construire une alliance avec Brigitte Barèges, maire LR de Montauban, sur deux cantons lors des dernières élections départementales en établissant un compromis territorial avec des élus compatibles avec le RN sur les grands principes. Le RN s’est également allié, à Béziers, avec le divers droite Robert Ménard. C’est donc possible, à condition de taire l’égo partisan pour faire progresser la cause nationale.
Vous êtes donc pour l’alliance avec le parti d’Éric Zemmour « Reconquête ! » ?
Je suis pour l’arrêt des hostilités et des invectives : l’adversaire c’est Emmanuel Macron, le concurrent c’est Eric Zemmour. Si Marine Le Pen se qualifie au second tour, nous bénéficierons, pour la première fois, d’une réserve potentielle de voix conséquente. C’est pourquoi, nous devons nous abstenir de reprendre contre Zemmour et son électorat les attaques utilisées par la gauche et l’extrême-gauche à notre encontre. Par ailleurs, la structuration de la droite hors-les-murs en parti politique exige du RN d’envisager des alliances lors des élections législatives de juin. C’est une nouveauté qui ne doit pas nous effrayer, au contraire. Les deux partis iront à la catastrophe s’ils ne nouent pas des alliances locales.
Le Rassemblement national doit enfin accepter d’être un parti classé à droite de l’échiquier politique sinon il ne survivra pas à l’inéluctable recomposition des droites qui interviendra au lendemain du cycle électoral 2022 : une droite sociale et populaire sociologiquement complémentaire à la droite conservatrice incarnée par Reconquête. Le grand soir national-populaire où triompherait l’union des électeurs du Non au référendum de 2005, est une exaltation idéologique qui ne peut trouver sa concrétisation au regard de l’antagonisme culturel entre la gauche et la droite. Nier l’existence de ce clivage revient à refuser de mener le combat culturel pourtant essentiel à la victoire de nos idées.