Vous publiez le premier volume d’une série intitulée « La République imaginaire ». Qu’entendez-vous par ce terme : est-ce une République rêvée, une République parfaite, une République qu’il faut faire advenir ?
L’ensemble des quatre ouvrages que j’ai mis en chantier porte sur les fondements de la pensée politique moderne, du XVe au XVIIIe siècle en Europe. Ce premier volume est consacré à la Renaissance et, plus précisément à la République de Florence, au « Quattrocento ». Elle a été, pour partie « une République imaginaire ». Pourquoi la présenter sous ce terme ? Parce que c’est ainsi que ses principaux protagonistes, les humanistes, l’ont vécue et comprise. Les artistes, mais aussi les « humanistes civiques » à la recherche du savoir antique, les philosophes ou les papes Eugène IV, Nicolas V et Pie II qui ont soutenu et financé le retour aux Studia humanitatis, tous ont eu le sentiment de la disparition de la république antique et de la fragilité de la république moderne.
« La Renaissance aurait été impossible sans la redécouverte des exemplaires perdus de la littérature latine entreprise par les humanistes appuyés par les papes »
Blandine Kriegel
Comme l’a souligné si fortement le grand historien de l’art, E. Panofski, la Renaissance a rompu avec la conviction traditionnelle que l’Antiquité continuait. Elle a compris que celle-ci était morte et qu’« il fallait l’enterrer. La Renaissance pleura sur sa tombe et essaya de ressusciter son âme ». On ne pouvait la faire renaître que virtuellement, en la recréant comme dans un rêve. Pour utiliser les mots de Pic de la Mirandole, la recréation du monde antique a eu lieu comme une œuvre des artistes (plastes) et des écrivains (fictos), c’est-à-dire comme un objet virtuel, une république imaginaire.
Vulgairement on oppose la Renaissance humaniste à un Moyen Âge superstitieux, inculte et obscurantiste : cependant, à vous lire, ou redécouvre que de nombreux principes développés à la Renaissance prennent leurs racines dans les cités italiennes médiévales. Quel en fut le processus ?
Oui, il n’est pas contestable que toute une partie des idées de l’humanisme de la Renaissance trouve ses antécédents dans la longue durée médiévale. Prenons l’exemple de la mythologie grécoromaine si présente chez les artistes du Quattrocento, notamment dans les œuvres emblématiques de Botticelli. Qui a lu la Divine Comédie sait que le grand écrivain italien connaissait déjà intimement les mythes latins et en faisait grand usage. Pourtant, je crois avec la majorité des historiens aujourd’hui que le débat qui a opposé naguère les tenants d’une continuité médiévale absolue aux partisans d’une rupture non moins totale qui figurerait la Renaissance, est dépassé. [...]
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