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© Benjamin de Diesbach pour L'Incorrect
« La droitisation française » : bataille culturelle
Le métier de critique est parfois tâche cruelle, particulièrement quand il nous faut faire l’éloge, même fort relatif, d’un ouvrage dont on sait qu’il fut écrit par quelqu’un qui ne nous veut pas du bien. Ainsi en est-il de cette Droitisation française de Vincent Tiberj, professeur en sociologie à Sciences Po Bordeaux, qui ambitionne de, et réussit à, réfuter la droitisation supposée du peuple français. Sa thèse peut être simplement résumée : « La droitisation est simultanément une réalité, par en haut, et un mythe, par en bas. » Pour faire simple, la droite se fait entendre et impose ses thèmes grâce à un putsch médiatique, mais sans grande résonance dans la population. [...]
© DR
Hannah Arendt par Bérénice Levet : transmettre ou périr
Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ce livre, qu’on sent très personnel, sur Hannah Arendt ? Il ne faut jamais manquer une occasion de dire la dette que l’on a contractée envers une grande pensée, et cette occasion me fut offerte par mon éditrice. Je dois à Hannah Arendt de m’avoir tôt libérée des idées, des sentiments, des jugements dont bourdonnait la caverne des années 1980, ces années du mitterrandisme, de SOS Racisme, du jacklanguisme flagornant la jeunesse et par là même l’incarcérant dans son « monde », le tout sur fond de pédagogie progressiste qui, avec l’alibi de notre liberté, se délestait du fardeau de la transmission du vieux monde. À rebours, Arendt me dotait d’une philosophie, d’une idée de l’homme autrement roborative et responsable surtout. Une phrase fit mouche : « Avec la conception et la naissance, les parents ne donnent pas seulement la vie, ils introduisent dans un monde » et par monde, Arendt n’entend rien d’horizontal mais bien une civilisation, une sédimentation historique. Lapalissade, dira-t-on, sauf que la philosophie moderne ignore tout de cette magnifique intrigue : elle pose l’homme comme premier, séparé, atome parmi d’autres atomes et regarde le moindre lien comme une entrave à la liberté. [...]
Aziliz Le Corre : « La vision No Kids est habitée par une pulsion de mort »
Quand, où et comment sont nés les mouvements type No Kids et childfree ? La grande famille des childfree – « sans enfant par choix » – regroupe en son sein plusieurs chapelles qui, si elles œuvrent ouvertement pour une convergence des luttes, se mènent une véritable guerre larvée. Depuis quelques années, le monde médiatique met en avant le mouvement No Kids. Né en 2010, outre-Atlantique, le label GINKS (Green Inclination, No Kids pour « engagement vert, pas d’enfant ») estime qu’il ne faudrait plus enfanter pour sauver la « planète ». Ses partisans résumaient ainsi leur doctrine : « Si tu aimes les enfants, ne les mets pas au monde, c’est une poubelle. » Ce mouvement a trouvé un écho particulier ces dernières années sur le continent européen, et particulièrement en France, après la publication d’une étude dans la revue scientifique Environmental Research Letters. Les chercheurs ont estimé que faire un enfant de moins permettrait à une personne d’économiser 58 tonnes de CO2 par an, soit six à huit fois l’empreinte carbone d’un Français. Ces chiffres ont été contredits depuis, mais ont permis de donner une justification « vertueuse » à ceux qui ne désirent pas avoir d’enfants. [...]
« Bienvenue dans la décadence » : sauve qui peut
Ross Douthat, journaliste au très libéral New York Times, se distingue par un ouvrage audacieux, traduit en France quatre années après sa parution américaine, qui interroge la matérialité d’une décadence civilisationnelle dont les annonces régulières semblent souvent démenties par son universalisation effrénée. Bienvenue dans la décadence : le processus de déclin se réalise objectivement sous nos yeux, et nous éprouvons chaque jour ses effets sensibles (décélération du cycle créatif, répétition des schèmes artistiques, uniformisation du champ de la sensation, etc.). Il procède cependant de l’exaspération des succès matériels de l’Occident libéral, et préside au phénomène d’attraction que nos sociétés exercent sur de nombreuses populations à travers le monde. [...]
« Les Rebelles magnifiques » : romantiser le monde
Dès 1790 et ses Réflexions sur la Révolution de France, le britannique Edmund Burke a tout dit de la nouvelle ère qui s’ouvrait en une formule lapidaire et prophétique : « L’âge de la chevalerie est passé. Celui des sophistes, des économistes et des calculateurs lui a succédé et la gloire de l’Europe est à jamais éteinte. » Il ne fut pas seul toutefois à si bien pressentir ce à quoi nous sommes depuis condamnés, car c’est en réaction à ce nouveau monde que se fit entendre la fabuleuse déflagration romantique au tournant du siècle, explosion qui, embrasant l’Europe entière, partit certes en des directions politiques différentes, mais dont la réaction chimique originelle était bien celle-ci : en finir avec l’appréhension mécaniste et cartésienne du vivant, avec l’arraisonnement du monde par la technique et les marchands, avec la réduction de l’homme à sa seule raison raisonnante. [...]
« Portrait littéraire de Michel Onfray » : je t’aime moi non plus
Comment en quelques années est-on passé d’un Éloge littéraire d’Anders Breivik, provocation virtuose, à ce Portrait littéraire de Michel Onfray, embarrassant jusqu’au fou-rire ? Car si l’éloge est un style aussi exigeant que le pamphlet ou la descente en flèche, c’est parce qu’il doit se manier avec une outrance qui ne laisse pas de place au médiocre – et laisse entrevoir avant toute chose la véritable nature de celui qui l’entreprend. Faire un éloge d’Onfray : après tout pourquoi pas, plus rien ne nous étonne. Celui que nous appelons plaisamment le quincailler des philosophes, maître sans partage du sophisme et de l’entourloupe, celui-là même qui nous inonde d’ouvrages interchangeables jusqu’à trois fois par an, petits sermons laïco-centristes commis avec le même sérieux impayable et qu’on voudrait nous faire prendre pour de la philosophie est l’objet d’un culte persistant. Il faut croire que le bougre fait encore des ravages dans le cœur des universitaires sexagénaires, comme le montre cet incipit, qui, on le jure, n’est pas un pastiche : « Un nom d’abord il fut. Puis un visage. Le regard cerné de célèbres lunettes rectangulaires devenues un logo, qui cadrent le réel, le champ du visible, son lieu d’exploration. » [...]
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Chestertonologie

1) Des paradoxes qui éclairent…

G. K. Chesterton est surnommé l’Apôtre du bon sens tout autant que le Prince du paradoxe, ce qui n’est en rien paradoxal : il est de bon sens de penser par paradoxes. Le paradoxe – le retournement du lieu commun, l’apparente impossibilité logique – est le plus sûr moyen d’atteindre et de saisir la vérité. Le monde dans lequel nous vivons est le Paradis originel, mais la Chute, en nous cillant, nous a interdit de le voir. Il faut donc choisir un angle nouveau, se faire « athlètes oculaires » pour réapprendre à voir les choses telles qu’elles sont vraiment : les arbres, d’étranges structures qui tombent ; les taupinières, des montagnes ; les nuages, des collines ; les étoiles, des fleurs ; les hommes, des mouches rampant au plafond au-dessus de l’espace, « suspendus à la grâce de Dieu ». Le paradoxe chestertonien n’est pas un simple effet de manche ou une coquetterie d’écrivain : c’est une méthode d’appréhension du monde.…

© La Lamentation sur le Christ mort par Botticelli (1495)
« Marie Madeleine, tu as tant aimé » : stances à Madeleine

L’ouvrage a cela d’étonnant qu’il respecte le discours prescrit par l’Église depuis Grégoire le Grand, pape de 590 à 604, et qui confond en une seule femme qui s’appelle Marie-Madeleine diverses figures des Évangiles : la pécheresse anonyme qui oint Jésus ; la sœur de Marthe et Lazare ; Marie de Magdala, témoin de la mort et de la résurrection du Christ. Cette tradition persiste aujourd’hui et si plusieurs s’y opposent au nom d’un progressisme virulent, d’une interprétation fondamentaliste ou d’une historicité absolue, Marie Botturi y entrevoit un enrichissement spirituel, qui nous échappe tout à fait si nous prenons un chemin autre que celui de la tradition. L’auteur profite donc d’un cadre façonné depuis plus d’un millénaire : telles les marches d’un escalier commençant par la repentance et conduisant à la sainteté, chacune de ces figures féminines représente une étape menant vers un sommet spirituel, celui de la consécration. C’est bien le rôle qui est destiné à Madeleine, celui de la première religieuse – la première épouse du Fils de Dieu – et un modèle pour tous les êtres appelés à cette vocation.…

L’Incorrect numéro 80

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