
Ernesto Sábato est pour beaucoup d’abord un romancier. Découvert avec Le Tunnel, romance punitive qui aborde en creux les thèmes de la création, il poursuivra dans une ligne catabatique avec Héros et Tombes, voyage éprouvant dans l’inconscient collectif de son pays alors en pleine reconstruction après l’échec du péronisme – ce populisme dont le mantra était, rappelons-le, « plus d’espadrilles, moins de littérature » et qui a vomi la classe intellectuelle pendant tout son règne. Mais Sábato est également l’auteur de plusieurs essais dont cette Hétérodoxie donne un avant-goût en soulignant les reliefs parfois abrupts d’une pensée qui s’érige d’abord contre la modernité, à l’instar d’un Nicolás Gómez Dávila, tout en s’inscrivant dans une sorte de matérialisme vitaliste dressé contre les excès d’une spiritualité dévoyée – telle qu’elle se déploie alors à travers les dérives du new age ou même d’un christianisme exagérément « œcuménique » qui transforme peu à peu les confessionnaux en cellules de développement personnel. Il fustige chez l’homme moderne cet avènement d’un « mépris orphique » ayant abouti, via la sécularisation du christianisme, d’une part à la lugubre trilogie Liberté-Égalité-Fraternité, et de l’autre à ce qu’il nomme le « naturisme », c’est-à-dire, grosso modo, l’esprit new age et post-luciférien des beatniks. Il n’a ainsi pas de mots assez durs pour ces écrivains du début XXe qu’il qualifie de spiritualistes, à commencer par Maeterlinck, dont il fustige les injonctions à la métempsycose, et autres « compénétrations des âmes » : « La pensée n’est qu’une subtile variation de la chair », conclut-il mystérieusement. [...]