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Alexandre del Valle : “Erdogan a joué un coup de poker, ça n’est pas passé”

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Publié le

27 juin 2019

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Après la spectaculaire défaite de l’AKP à la mairie d’Istanbul, Erdogan n’a jamais été aussi fragilisé depuis vingt ans. Est-ce le “début de la fin” pour le président turc ? Alexandre del Valle, géopolitologue spécialiste de la Turquie, nous livre son analyse sur ce scrutin sans pareil.

 

Erdogan vient de perdre la mairie d’Istanbul face aux socio-démocrates. A quoi pensez-vous que cela soit dû ?

Je pense que c’est dû à plusieurs facteurs, comme toujours en géopolitique, c’est comme en médecine.

Premièrement : l’usure, comme on l’a vu partout. Chez nous les présidents sont usés au bout de deux ans. En Turquie cela fait quand même depuis 2002 qu’Erdogan est le patron du pays. Et il avait déjà été maire d’Istanbul dans son ascension politique à partir de 1993. Donc ça fait depuis le début des années 90 que ce monsieur est un peu à la une de cette nouvelle tendance de la Turquie, actuellement ottomane et islamiste. Il reste populaire malgré tout mais la perte d’Istanbul c’est premièrement l’usure.

 

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Deuxièmement, il a mal mesuré ses différentes positions autoritaires. Il a cru qu’il pouvait tout se permettre, parce qu’il est quand même incontestablement un homme politique très populaire par rapport à d’autres. Et il a cru qu’il pouvait tout se permettre, y compris annuler une élection comme il l’a fait faire à Istanbul. Il avait fait annuler l’élection qui lui avait déjà fait perdre son candidat. A mon avis c’était l’autoritarisme de trop. C’était pas très malin, c’était gros, c’était très mal vu. Mais finalement le candidat Ekrem Imamoglu a été élu encore plus massivement, encore mieux qu’avant l’annulation.

 

Troisièmement, Istanbul est malgré tout la ville qui a donné le succès à Erdogan. Et en même temps c’est logique : c’est à partir de là qu’il peut commencer à être délégitimé, puisque c’est sa ville phare, il y tient énormément, c’est la ville de l’empire ottoman, c’est quelque chose d’extrêmement symbolique. Donc il jouait tout et son contraire. Il a joué un coup de poker, ça passe ou ça casse. Pour le coup, ça n’est pas passé.

Il y avait une alliance objective entre les islamistes démocrates et les progressistes. Depuis qu’il y a une dérive autoritaire, il y a cette scission entre les démocrates et les islamistes.

Istanbul est également la ville où il y a une tradition kémaliste, avec une forte présence de personnes qui représentent la Turquie kémaliste ou progressiste. Donc c’est une ville qui est très contradictoire. Il y a certes des quartiers très islamistes, mais dans la partie occidentale d’Istanbul, il y a tous les opposants progressistes, il y a ces fameux turcs européisés, très européens. Tout le monde est surpris dans les quartiers européens d’Istanbul de voir des turcs aussi européens que nous. Donc c’est cette Turquie-là aussi : à la fois kémaliste, nostalgique d’Atatürk, occidentalisée, souvent d’origine européenne. Il y a une véritable élite laïque à Istanbul, qui en a assez de la dérive à la fois autoritaire et islamiste d’Erdogan. Et la dérive autoritaire est aussi mal vue, voire plus que la dérive islamiste. Parce que tant que l’islamisme se disait démocrate, ça passait. Il y avait une alliance objective entre les islamistes démocrates et les progressistes. Depuis qu’il y a une dérive autoritaire, il y a cette scission entre les démocrates et les islamistes. Donc la Turquie démocratique et la Turquie laïque kémaliste, qui sont différentes, ont protesté contre Binali Yildirim, le candidat d’Erdogan.

 

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 Et en plus, c’est ici le dernier le facteur, Binali Yildirim n’est pas très brillant, n’a pas beaucoup de charisme de leadership. Il a été élu premier ministre marionnette. Erdogan avait choisi un candidat qui était très absent des élections au premier tour, et qui est très mal vu, il est assez rustre. Il n’a pas choisi un candidat qui met en valeur le parti.

 

Aujourd’hui on estime qu’il y a 17% de non-musulmans en Turquie. Pour qui ont-ils voté ?

Il faut rappeler qu’en Turquie il y a 99% de personnes recensées comme étant musulmanes officiellement. Car les autorités turques, surtout depuis Erdogan, ne comptent pas les alévis comme une minorité non musulmane. Mais si on pense que les alévis sont une religion à part, ce qui est vrai, alors là effectivement il y a une partie importante de Turcs qui ne sont pas musulmans. Et c’est d’ailleurs un sujet de conflit. Aujourd’hui Erdogan veut remettre au pas les alaouites, qu’on appelle aussi alévis en Turquie. Ce sont un peu les cousins des alaouites en Syrie. Ils font partie d’une secte soi-disant rattachée aux chiites, mais qui est très ésotérique et laïque, qui n’a rien à voir avec l’Islam. Les alaouites ne sont pas musulmans. Mais ce n’est pas ce que pense le régime qui fait suivre des cours de religion musulmane aux alévis.

Aujourd’hui Erdogan veut remettre au pas les alaouites, qu’on appelle aussi alévis en Turquie.

Donc effectivement, les alévis forment le gros des bataillons anti-Erdogan. Dans le parti kémaliste, CHP, le parti d’opposition de celui qui a remporté la mairie, on voit une élite alévie, la minorité alévie qui est non-musulmane, qui a des temples, des djem, non pas des mosquées. C’est une sorte de religion. Les alevis sont le premier obstacle à l’islamisme parce qu’eux-mêmes ont souffert de la charia. Et les alévis en général sont naturellement kémalistes ou de gauche ou laïcs ou anti-islamiste, la gauche étant très anti-islamiste en Turquie contrairement à l’Europe.

 

Il va désormais y avoir une division entre le gouvernement et la mairie d’Istanbul. Et on imagine qu’Erdogan compte particulièrement sur le poumon économique qu’est Istanbul. Quelles vont être les conséquences économiques et sociales de cette élection ?

Il ne faut pas non plus exagérer l’importance de cette histoire, ce n’est qu’une mairie pour l’instant, certes parmi les grandes, mais ce n’est pas tout le pouvoir. Premièrement, Erdogan, un peu comme Poutine en Russie, a restructuré le pouvoir depuis des années et il dirige tout. Il peut même commander et mettre des obstacles à la décision des maires.

Donc il faut relativiser l’importance de cette victoire. Elle est significative, c’est peut-être le début de la fin pour Erdogan, mais ce n’est pas certain non plus.

Deuxièmement, au niveau de la mairie d’Istanbul, 25 districts sur 39 sont contrôlés encore par le parti d’Erdogan. Donc il y a un maire qui n’est pas erdoganiste, mais on a une mairie dont encore beaucoup de rouages sont contrôlés par le parti d’Erdogan. De plus, le parti au niveau national et la présidence de la République peuvent invalider des décisions en utilisant un autoritarisme centralisateur. Donc il faut relativiser l’importance de cette victoire. Elle est significative, c’est peut-être le début de la fin pour Erdogan, mais ce n’est pas certain non plus. En tous cas ça ne va pas changer énormément au niveau des décisions ; la mairie sera obligée de composer avec l’AKP qui détient encore une majorité de districts. 

 

Lire aussi : Les Turcs, les Arabes et l’âme sunnite

 

Ces élections auront-elles un impact sur les relations de la Turquie avec l’Europe ? 

Il peut y avoir un impact, l’Europe peut être tentée d’avoir des bonnes relations avec le maire d’Istanbul. Mais le maire d’Istanbul ne peut pas trop jouer non plus la carte de l’étranger contre son pays, ça passe très mal en Turquie. Je pense que par rapport aux relations avec l’Occident et l’Union européenne, ça ne va pas changer grand-chose parce que c’est un pays souverain. De même que l’Europe n’a pas trop osé défendre les catalans contre Madrid, l’Europe n’osera pas défendre outre mesures les démocrates et les kémalistes à Istanbul contre Erdogan. Je ne pense pas que cela change grand-chose, le pouvoir reste aux mains du parti AKP.

 

 

En revanche, ce qui va être intéressant à surveiller ce sont les divisions. La Turquie va-t-elle être durablement divisée ? Apparemment certains sont tentés au sein du parti d’extrême droite, allié d’Erdogan, de diviser l’AKP. Premièrement, à l’intérieur du parti AKP il y a des divisions. Deuxièmement, aujourd’hui le pouvoir en Turquie est islamiste-nationaliste. C’est un mélange islamiste, erdoganiste, et d’extrême droite très radicale, les fameux « loups gris » dont le parti s’appelle le MHP. Et à l’intérieur de l’alliance AKP-MHP, il y a certaines figures qui ont exprimé pour la première fois des dissidences, donc c’est cela qu’il va falloir suivre. Est-ce que c’est juste une ou deux personnes, ou est-ce que ça va déboucher sur une véritable division à l’intérieur du pouvoir ?

 

Propos recueillis par Agnès Camille

 

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