Meurtre de la petite Lola en octobre, attaque à l’arme blanche à la Gare du Nord et viol d’une sexagénaire à Lille début janvier. Ces atrocités ont un point commun : elles ont toutes été commises par des personnes visées par une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Les quinze mille obligations de quitter le territoire exécutées par an sur les cent vingt mille délivrées (soit 12%) suscitent l’interrogation sur la volonté réelle du gouvernement d’Emmanuel Macron de lutter contre l’immigration illégale.
Lorsque les personnes visées par de telles procédures administratives d’éloignement ne les respectent pas, elles sont arrêtées et retenues dans des centres de rétentions administratives comme celui du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, près de l’aéroport de Roissy. Il en existe dix-neuf en métropole. Suivent alors d’interminables négociations entre la France et les consulats étrangers pour organiser le transfert de ces sans-papiers. Les retenus classiques y restent au maximum 90 jours et ceux concernés par des faits de terrorisme, 210. Si les procédures administratives d’extradition n’aboutissent pas, les retenus sont relâchés dans la nature.
Lire aussi : [Reportage] Prison de Fresnes : entre les murs
Situé aux pieds des pistes de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, le CRA du Mesnil-Amelot est un des trois centres de rétention administratif d’Île-de-France avec ceux de Palaiseau et Plaisir. Il accueille près de 240 sans-papiers et 140 agents de la police nationale qui y travaillent.
En passant les grilles vertes de l’entrée, l’ambiance est détendue. Les agents semblent enthousiastes à l’idée qu’une délégation de députés plutôt sensibles à leur cause leur rendent visite sur leur lieu de travail. C’est le commissaire Davy Abreu, directeur adjoint du centre, qui se charge de la visite. L’homme a une petite cinquantaine d’année, les cheveux courts et rasé de près, dans un uniforme impeccable. Il a tout du flic pêchu, la gouaille et la confiance surtout. Notre guide commence la visite par une présentation générale. Le CRA du Mesnil-Amelot est divisé en deux. Il y a le CRA 2, qui peut accueillir 80 hommes et 40 femmes et enfants, et le CRA 3, réservé aux hommes et doté de 120 places.
Nous nous aventurons dans les couloirs du centre et nous arrêtons dans une grande salle, le greffe. Y sont accrochés de grands tableaux avec le nom, la date d’arrivée, la nationalité présumée et la procédure qui vise chaque pensionnaire. Cette pièce est le cœur du réacteur puisque c’est ici que les greffiers négocient avec les pays d’origine pour renvoyer les clandestins. Ce n’est pas tâche aisée. Les consulats n’aident pas vraiment les autorités françaises. Le commissaire nous apprend par exemple que la Tunisie impose ses conditions, comme celle de ne pas accepter que les policiers français emmènent le clandestin en uniforme et en arme au consulat, lorsque des démarches doivent y être réalisées. De leur côté, les sans-papiers comptent sur la solidarité nationale pour tenter de s’enfuir lors de ces visites. Les greffiers nous confient que leur travail, pourtant titanesque, ne permet de renvoyer qu’un tiers des clandestins.
On apprend aussi que la nationalité la plus représentée sur le site est l’Algérie, avec 39% des retenus, puis le Maroc avec 14% et les Tunisiens en troisième place avec 9%. Un des problèmes majeurs des policiers est de faire cohabiter sans troubles ces nationalités différentes. Les bagarres entre communautés sont récurrentes, les insultes et agressions envers les agents de police sont quotidiennes.
On apprend aussi que la nationalité la plus représentée sur le site est l’Algérie, avec 39% des retenus, puis le Maroc avec 14% et les Tunisiens en troisième place avec 9%. Un des problèmes majeurs des policiers est de faire cohabiter sans troubles ces nationalités différentes.
En bref, les occupants des lieux ne sont pas des enfants de chœur. D’après le commissaire Abreu, 100% d’entre eux ont troublé l’ordre public et 69% sortent directement de prison. Ici, les policiers n’ont aucun mal à dire qu’immigration et délinquance sont les faces d’une même pièce. Abreu nous alerte sur le fait que quatre des résidents (deux femmes, deux hommes) sont fichés comme terroristes.
La particularité des CRA est que les pensionnaires ne sont pas considérés comme des détenus. Ils ont le droit de circuler librement dans le centre lors de la journée. En août 2022, le centre a été le théâtre d’une rébellion. Des retenus avaient mis le feu à des matelas et au mobilier dans deux des bâtiments et s’en étaient pris aux surveillants. D’autres s’étaient rendus sur les toits, ce qui semble être une pratique courante au Mesnil-Amelot. Les agents de police n’avaient réussi à rétablir l’ordre qu’après quatre longues heures d’affrontements.
La visite continue et après quelques portes blindées, le réfectoire et l’antenne médicale visités, la cour entourée de grillages et barbelées traversée, nous nous retrouvons au cœur du CRA 2, mixte, dans la cour qui sert de lieu de vie aux retenus. Nous sommes entourés de policiers aux allures de cow-boy. Les mains posées sur le ceinturon, le brassard police autour du bras et le cache-cou remonté jusqu’à mi-visage, les hommes du commissaire ont conscience que la visite peut très vite déraper. L’un d’eux me confie qu’il travaille au Mesnil-Amelot depuis 2015 et qu’il peut témoigner d’une véritable explosion de la violence. D’après lui, les attaques contre les surveillants avec des armes artisanales, les mêmes qu’en prison, sont de plus en plus fréquentes. Le ton est donné.
Lire aussi : Être blanc en prison
Nous entrons dans le bâtiment réservé aux femmes et la première salle qui se présente sur notre droite est celle de la télé. Le commissaire nous indique que rien que l’année dernière, dans la partie homme, 47 télévisons ont été cassées. Presque une par semaine. La non-qualification de l’Algérie à la Coupe du Monde n’a pas dû satisfaire tout le monde… Chez les femmes, un emplacement vient d’être installé dans la pièce pour y loger très prochainement une console de jeux vidéo. La rétention c’est peut-être dur, mais au moins il y a la PS4 ! La difficulté des agents est d’occuper les occupants des lieux. L’un d’entre eux déclare : « Les retenus c’est comme les gosses, lorsqu’ils sont devant leurs écrans, ils ne font pas de bêtises ». Un tel effort est mis sur le divertissement des pensionnaires qu’à leur entrée dans le centre, on leur donne à chacun un téléphone portable. Merci le contribuable. Sont aussi régulièrement organisés des tournois de football mais ils ne durent jamais très longtemps car l’intérêt des retenus s’estompe rapidement.
Le commissaire entrouvre les portes des chambres une par une laissant deviner les couchages des retenus. Les chambres sont équipées du strict minimum. Un lit, une table et une armoire. Des graffitis décorent les murs des pièces, témoignant du peu de respect accordé à la salubrité du mobilier. Les sanitaires sont propres et en bon état. Tout semble être mis en œuvre pour que les retenus vivent dans de bonnes conditions.
Une fois le tour du bâtiment fait, nous poursuivons notre chemin en direction de l’autre CRA en cheminant entre les grillages des cours. Le temps de se rendre de l’autre côté du centre, des cris se font entendre, de plus en plus nombreux. Les retenus du CRA 2 sont en train de prévenir ceux du CRA 3 que nous allons leur rendre visite. En quelques secondes, des groupes de retenus se ruent sur les grilles, les martèlent de coups. Les hurlements dans un français approximatif mêlé d’arabe fusent. Notre guide se retourne calmement avec un sourire aux coins des lèvres et déclare : « Ne vous inquiétez pas ! C’est leur manière de vous dire bonjour ».
Devant la grille de la cour où nous attendent une bonne partie des retenus du CRA 3, les surveillants sont sereins et l’un d’eux demande à la députée Auzanot si elle veut entrer. Nous faisons part de notre volonté d’y aller, elle accepte. La grille s’ouvre. Nous entrons et une quarantaine de sans-papiers nous entoure immédiatement des ses cris et ses gesticulations. Seuls deux policiers nous accompagnent. Le climat est pesant mais, après une période de flottement, nous en profitons pour échanger avec l’un d’eux. Une trentaine d’années, bob noir et survêtement gris. Il s’appelle Bilal, vient d’Algérie, est passé par l’Espagne. Cela fait 28 jours qu’il est dans ce centre.
Nous entrons et une quarantaine de sans-papiers nous entoure immédiatement des ses cris et ses gesticulations. Seuls deux policiers nous accompagnent.
Je lui demande pourquoi il veut rester en France. Il répond : « Moi, je veux rester en France, ici c’est mieux ». Il n’en ajoute pas plus. Un autre s’approche de nous. C’est Feti. Avec son solide mètre quatre-vingt-dix, son regard noir et sa barbe fournie, il inspire une certaine crainte et le sait parfaitement. Il raconte fièrement qu’il est là depuis presque trois mois et qu’il a pu échapper à deux vols en direction de l’Algérie, son pays d’origine, en escaladant le bâtiment et en restant coincé dans les barbelés, sur le toit. Il lève son jogging gris et montre d’impressionnantes cicatrices sur sa jambe qui doivent être le résultat de son aventure. Les policiers nous confirmeront que l’automutilation est une pratique courante des retenus pour éviter leur renvoi.
Après quelques minutes, le commissaire met fin aux échanges malgré l’insistance des retenus. Nous faisons demi-tour vers la sortie. La visite s’achève bientôt mais, dans le couloir qui mène à la sortie, une pièce retient notre attention. Il s’agit des locaux de la Cimade, une des principales associations de soutien aux migrants en France. Les policiers nous proposent d’échanger avec la jeune femme de permanence. Eux n’entrent pas, et ne seraient manifestement pas les bienvenus. Une légère tension flotte dans le corridor. À l’intérieur, la jeune salariée de l’association, Margaux (le prénom a été modifié), précédemment avocate, nous explique son rôle dans le centre. Elle sert de conseiller juridique aux clandestins. « Nous sommes chargés de saisir le tribunal administratif du recours contre la mesure d’éloignement, et le tribunal judiciaire pour la mesure d’enfermement. Nous nous occupons aussi des demandes d’asile et éventuellement des plaintes pour les violences policières, puisque nous estimons que les forces de l’ordre peuvent difficilement conserver leur neutralité en étant juge et partie ».
Lire aussi : Projet Horizon : des migrants dans nos campagnes
Par contre, la Cimade ne prend pas les plaintes pour les violences entre les migrants dans le centre, vraisemblablement bien plus fréquentes que les prétendues agressions policières. « Nous estimons simplement que nous ne sommes pas des OPJ », explique Margaux. Il s’agit aussi d’une manière d’occulter la brutalité des migrants pour mettre l’accent uniquement sur celle de la police. Justement, les relations avec la police sont-elles compliquées, dans la mesure où elle cherche à expulser les sans-papiers alors que la Cimade veut leur permettre de rester en France ? « Nous sommes chargés de l’aide à l’exercice effectif des droits. Les personnes retenues ont des droits, on leur permet d’exercer ces droits. Le travail de la police, et c’est là qu’ils ne comprennent pas forcément leur mission, ce n’est pas d’expulser les retenus, mais de maintenir l’ordre dans le centre. Le destin des personnes en sortie du centre ne concerne pas la police. Les policiers doivent estimer qu’on les empêche de travailler, mais notre fonction fait partie de l’État de droit ».
Après la rébellion d’août dernier, c’est en effet la Cimade qui avait alerté la Nupes sur les conditions de vie prétendues difficiles des retenus.
Alors que nous reprenons notre chemin vers la sortie du centre, le commissaire nous jette un regard malicieux avant de glisser : « La Cimade, c’est le caillou dans la chaussure. Ils nous empêchent de travailler ». Et de dénoncer, loin de l’image lisse de simple facilitatrice du droit que l’association cherche à donner, un véritable activisme pro-migrants qui traque les vices de procédure pour faire triompher son idéologie sans-frontièriste.
Après la rébellion d’août dernier, c’est en effet la Cimade qui avait alerté la Nupes sur les conditions de vie prétendues difficiles des retenus. Le 8 septembre, deux députés mélenchonistes de Seine-et-Marne, Maxime Laisney et Ersilia Soudais, se sont ainsi présentés devant le CRA pour le visiter, comme la loi y autorise les membres de la représentation nationale. Depuis septembre, d’autres visites de la Nupes ont suivi. Le commissaire Abreu hausse les épaules : « À chaque fois, les députés tiennent des propos insultants envers les fonctionnaires de police. Ils agissent comme militants, disent ouvertement aux retenus qu’ils sont là pour les faire sortir ». Aux prises avec des profils souvent très difficiles, entravés par les associations, insultés par la députation, ignorés par la population, les policiers du Mesnil-Amelot affichent un visage durci, des traits tendus. Ils s’illuminent quand, à l’heure du départ, les députés Bénédicte Auzanot et Jocelyn Dessigny les saluent avec une chaleur dont on devine qu’ils ne sont pas coutumiers. Le soleil tombe sur la vaste plaine de Seine-et-Marne battue d’un vent glacial. Le portail vert du CRA se referme derrière nous. Nous y laissons par un soir de janvier un petit morceau de ce drame quotidien qu’on appelle la France, entre misère, immigration, criminalité, droit-de-l’hommisme et lassitude des serviteurs de l’État. Ces hommes qui veillent dans l’ombre, avec les moyens du bord, sont la digue fragile qui retient la catastrophe de fondre sur les boulevards. Pour combien de temps encore ?