« L’humeur de cette Cérémonie oscillera entre la mi-temps du Super Bowl et une soirée karaoké avec Michel Houellebecq. Entre Titane et tisane » annonce Antoine de Caunes rappelé comme maître de cérémonie après le carnage de Marina Fois en 2021. L’ex de Nulle part ailleurs est un habitué, c’est sa dixième cérémonie, on repart sur des valeurs sures. Pour le Super Bowl on attendra, l’heure est plutôt à la tisane, idéale après un an de gueule de bois. « Ce soir, on ne va pas changer le monde. On va rire, on va être ému parce que l’essence de notre métier, c’est de continuer quoi qu’il arrive. Même si le monde semble s’effondrer autour de nous, ce soir nous pensons aux Ukrainiens et soyons à la hauteur de la chance qu’ils n’ont pas, s’il vous plaît. », les Ukrainiens sont soulagés.
Danielle Thompson ouvre la 47ème cérémonie en félicitant ses confrères : « Je vais vous dire franchement chapeau ! Parce qu’on a résisté à tout. On a résisté au masque, on a résisté au passe sanitaire ; on a résisté aux séances sans pop-corn et sans bonbons. On a résisté au virus, on a résisté à la peur du virus. 96 millions de spectateurs dans les salles cette année… » On ne lui dira pas que la résistance sous perfusion d’argent public c’est autre chose qu’avec un faux nom en 40 mais l’heure n’est pas au sarcasme, surtout quand les ricains attirent 40 millions de spectateurs dans nos salles. La cinéaste (également fille et scénariste de Gérard Oury), tance ce goujat d’Antoine de Caunes qui oublie de la raccompagner à son fauteuil, Alain Finkielkraut jubile, la galanterie n’a pas encore été complètement cancellée.
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Avec Illusions Perdues, Annette et Bac Nord en favoris, la compétition s’annonce relevée. Carole Bouquet devait remettre les deux premiers César mais un méchant test PCR positif l’en a empêchée. C’est donc l’acteur Franck Gastambide qui la grand remplace, moins de cheveux mais plus aimable. Le César du meilleur espoir féminin revient à Anamaria Vartolomei pour son rôle dans « L’Evénement », un épate-bourgeois vraiment osé sur…l’IVG. On a les punks qu’on mérite. Les merveilleuses Salomé Dewaels (Illusions Perdues) et Noée Abita (Slalom) semblaient pourtant un bien meilleur choix. Ce n’est que partie remise pour le film de Xavier Giannoli puisque Benjamin Voisin remporte le trophée du meilleur espoir masculin pour son excellente interprétation de Rubempré. Discours sobre et efficace, une consigne serait-elle passée par là ?
Espoir de courte durée, une connasse débarque sur scène pour montrer son cul et déclarer son amour à Louis Garrel, qui n’avait rien demandé. Vu la trogne du maitre de cérémonie, l’interlude n’était pas prévu au programme et se révèle aussi gênant qu’un discours de Pécresse au Zénith de Paris. Décidément, la poisse colle à la peau du cinoche français, même quand il n’a rien demandé, les bides vulgos se tapent l’incruste. L’orchestre résonne pour dégager l’intruse. Grégoire Ludig et David Marsais (Le Palmashow) dans un sketch raté viennent remettre le César des meilleurs effets visuels à Guillaume Pondard pour Annette qui, élégant, n’oublie pas de remercier Estelle Charlier et Romuald Collinet, de la Compagnie La Pendue, géniaux créateur de la fameuse marionnette. Le temps d’un intermède musical et Illusions Perdues glane ses deuxième et troisième trophées de la soirée avec les César des meilleurs costumes et du ô combien mérité meilleurs décors pour sa sublime reconstitution de Paris du début du 19ème. Le temps de remettre le César du premier film au nostalgique Les Magnétiques c’est l’heure de la pause hommage, en images, à l’éternel Jean-Paul Belmondo, le meilleur moment de la soirée.
Les remettants sont triés sur le volet pour éviter les esclandres de bobos, les revendications indigéno-racistes et les stripteases d’alcoolo
La splendide Anais Demoustier, robe fendue et sourire ravageur, accompagnée de Lyna Khoudri (toutes deux récompensées l’année dernière), débarque sur scène pour remettre les César des meilleurs seconds rôles. La comédienne non professionnelle et infirmière dans la vie, Aissatou Diallo est récompensée pour sa prestation dans La Fracture et Vincent Lacoste remporte le trophée masculin. Avec Xavier Dolan (Illusions Perdues), François Civil et Karim Leklou (tous deux pour Bac Nord), la compétition était rude. Surpris, le jeune acteur, à la filmographie déjà bien remplie, improvise un discours frais et touchant de maladresse mais n’oublie pas de remercier élégamment le regretté Jean-François Stevenin.
Antoine de Caune remet lui-même le César du meilleur documentaire. Cette année, le tour de vis était de rigueur, les remettants sont triés sur le volet pour éviter les esclandres de bobos, les revendications indigéno-racistes et les stripteases d’alcoolo. La Panthère des neiges repart à la maison avec le trophée et Sylvain Tesson s’offre une ligne de plus à son palmarès. La première fausse note de la soirée est attribuée au Français Florian Zeller pour son César du meilleur film étranger avec The Father. Le chauvinisme pointe son nez, d’autant que La Loi de Téhéran et Drive my Car étaient d’un tout autre niveau. La somnolence nous guette, heureusement les Sparks débarquent sur scène pour enflammer l’Olympia avec le désormais culte So may we start, tiré de la bande originale d’Annette.
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L’heure est au César du meilleur montage, le temps de jeter un coup d’œil aux commentaires sur Twitter s’assurer de ne pas être seul dans cet océan d’ennui et l’on découvre grâce à une journaliste de 20 Minutes que « Pour l’instant six hommes ont remis douze prix et quatre femmes ont remis quatre prix. ». Fascinant cette passion des mathématiques chez les journalistes de gauche. Annette reçoit son deuxième trophée de la soirée, mais reste derrière Illusions perdues dans ce combat des chefs, qui glane le César de la meilleure photo.
L’excellent Alexis Michalik (Edmond) vient remettre le César du meilleur scénario original à Arthur Harari pour Onoda, fresque vertigineuse d’un soldat japonais perdu aux Philippines en 1944 et persuadé que la guerre n’est pas terminée. Le réalisateur français offre le premier coup de gueule de la soirée, demandant « aux décideurs privés et publics du courage » pour lutter contre les plateformes de streaming « un monde de calcul » avant d’ajouter qu’« on ne va pas au supermarché pour avoir une émotion ». Ça change des revendications cégétistes en Chanel et on ne peut que lui donner raison. Le César de la meilleure adaptation revient logiquement à Illusions perdues, son cinquième trophée. Il reste neuf récompenses à décerner, une éternité. Annette comble son retard en glanant le meilleur son et la meilleure musique originale. Cate Blanchette reçoit un César d’honneur des mains d’Isabelle Huppert sèche comme une trique. L’Australienne remercie en anglais, on lui pardonne « Je parle français comme une vache espagnole » avoue-t-elle.
Bac Nord repart à poil, mais le réel quand il n’est pas de gauche n’a jamais eu bonne presse au César
Le César du meilleur court métrage d’animation est remis à Folie Douce, Folie Dure de Marine Laclotte. Ne me demandez pas de quoi ça parle, j’avais aqua-poney à sa sortie. On retiendra surtout la longueur de ses remerciements plus longs que son film. Le César du long métrage d’animation est attribué au vertigineux Sommet des Dieux qui suit l’enquête d’un photographe alpiniste dans les hauteurs, une enquête-prétexte qui se transforme en quête du plus haut, plus grand, plus loin. Les grognements succèdent aux remerciements : « On n’a pas le temps de s’exprimer » râlent les producteurs, pressés par Antoine de Caunes. Ok boomers, mais il y a des gens derrière la TV, il est déjà 23h46, et les revendications passées une certaine heure nous rappelle La Fontaine : « La raison d’ordinaire, n’habite pas longtemps chez les gens séquestrés ». Heureusement Xavier Dolan, l’acteur-réalisateur québécois, vient relever le niveau dans un touchant hommage à son ami Gaspard Ulliel en forme de lettre adressée à la mère du jeune acteur disparu il y a quelques semaines. Pour Bertrand Tavernier, parti en mars dernier, on repassera. Notre plus grand cinéaste cinéphile n’eut pas le droit aux applaudissements, deuxième fausse note.
La fin approche, il était temps. François Cluzet monte sur scène remettre le César du meilleur acteur à Benoit Magimel qui esquisse un pas de danse, montrant qu’il est aussi piètre danseur qu’acteur. En compétition se trouvaient pourtant Adam Driver (Annette), Gilles Lellouche (Bac Nord) et Damien Bonnard (Les Intranquilles), tous trois extraordinaires, les votants sont convoqués d’urgence chez Afflelou. De passage à Paris pour tourner la suite de la série Lupin, pauvre Maurice Leblanc, Omar Sy nous a épargné un hommage au cirque Traoré, un oubli probablement, pour offrir le César de la meilleure actrice à Valérie Lemercier. L’interprète d’Aline (Céline Dion pour ceux qui n’ont pas encore vu son film), toute émue mais toujours aussi caustique en a profité pour annoncer son prochain sur…Martine Aubry.
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Pour amortir l’aller-retour Paris-Los Angeles en jet privé, Antoine de Caune a rappelé Cate Blanchet sur scène pour remettre le César du meilleur réalisateur à Leos Carax (Annette) absent. On le comprend.
Il est 00h34, soit près de 3h30 de cérémonie, presque aussi long (et chiant) qu’un film de Apichatpong Weerasethakul et le dernier trophée arrive enfin. Illusions perdues reçoit la récompense reine, le César du meilleur film, mais Xavier Giannoli est lui aussi absent. Décidemment la Cérémonie des César ne fait plus recette. Une victoire pour l’un des très grands films de l’année passée et une consécration pour un réalisateur qui ne cesse de surprendre de film en film. Allez, il est 00h42, Bac Nord repart à poil, mais le réel quand il n’est pas de gauche n’a jamais eu bonne presse au César, pas grave, les spectateurs l’ont vu c’est le principal.