Il est à peine 21h et la figure d’Emmanuel Macron apparaît sur toutes les chaînes de télévision. Encore une fois. « Je ne saurai donc, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était. C’est pourquoi, après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », annonce le président, le sourcil froncé et la mâchoire serrée. Ce qui n’était alors qu’une hypothèse farfelue devient bien réelle. L’Assemblée est dissoute. C’est le branle-bas de combat. Surtout à gauche. Ils savent faire de la politique. De Sandrine Rousseau à François Ruffin en passant par des momies du Parti socialiste, tous emboîtent le pas du président : « La montée des nationalistes, des démagogues, est un danger pour notre nation, mais aussi pour notre Europe, pour la place de la France en Europe et dans le monde. » C’est le retour des castors et des calculettes. La division assure la défaite, finies les conneries, on ressort les no pasaran du placard et on s’allie avec les antisémites contre l’extrême droite. Le temps est court, à peine vingt jours, dont même pas cinq pour présenter des candidats. Le passé comme le programme ne sont qu’affaire de détails.
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Retour en arrière. Il est 20h et la liste conduite par Jordan Bardella fait le double de celle de Valérie Attal. Le jeune président du RN avait transformé cette campagne en référendum contre Macron, la victoire est totale. La France bascule en bleu marine, même en Bretagne, sauf à Paris, évidemment où l’insécurité n’est encore qu’un sentiment de chaîne d’info. L’autre vainqueur a le visage de Raphaël Glucksmann. Il a même failli doubler la macronie sur la ligne. On sait enfin pourquoi le Parti socialiste a terminé à 1,5% lors de la dernière présidentielle : Anne Hidalgo. Glucksmann est au centre du jeu de l’alliance des gauches aujourd’hui. LFI va-t-elle s’asseoir sur ses convictions et s’allier avec un juif ? L’objectif est plus lointain pour le parti de Jean-Luc Mélenchon : « Un par un tout le monde est militant de la nouvelle France » a-t-il déclaré hier soir à son QG. Il suffit de jeter un œil sur le score des Insoumis dans les moyennes villes comme Angoulême pour s’en convaincre. La créolisation, le mot sympathique pour dire grand remplacement, est en marche.
Il est 20h52 et François-Xavier Bellamy peut souffler. Il a sauvé un parti qui n’a pas fait campagne pour lui. Seul David Lisnard, le maire de Cannes et président de l’AMF (Association des maires de France), est monté sur la barricade. Xavier Bertrand brassait de l’air comme à son habitude, Valérie Pécresse priait secrètement pour que le philosophe ne fasse pas mieux qu’elle et Laurent Wauquiez était porté disparu. Éric Ciotti est quant à lui réapparu une fois le score assuré.
Dans quelques jours, la France saura si la droite, qui a trop longtemps tout oublié, oubliera cette fois-ci d’être la plus conne du monde.
22h30. Marion Maréchal n’a toujours pas pris la parole. Éric Zemmour l’a fait applaudir dans l’espoir de la faire venir et bouche les trous de son discours élagué après l’annonce de la dissolution. Les claques prévues pour le Rassemblement national sont laissées de côté : il y a maintenant une législative à préparer. La tête de liste débarque quinze minutes plus tard. Elle a le sourire, son pari est gagné : cinq élus Reconquête ! siègeront au Parlement européen. Mais la fête est de courte durée rue Jean Gougeon : Marion Maréchal livre un discours éclair pour rappeler sa ligne depuis son retour, une coalition des droites, et se félicite de ne pas avoir cédé aux consignes de son président qui voulait sulfater le RN – quitte à se faire couper le budget et les fichiers. Elle repart aussi vite qu’elle est arrivée ; la Saint-Barthélémy n’est pas pour ce soir. Elle rencontrera ce lundi à 17h Marine Le Pen et Jordan Bardella. L’union des droites se fera-t-elle sans Éric Zemmour ?
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23h00, le succès historique du Rassemblement national est vite remplacé par la prochaine élection. Énième coup machiavélique d’Emmanuel Macron ? Ça serait lui faire trop d’honneur. Le président n’aime pas subir. C’était s’auto-dissoudre maintenant ou subir l’humiliation d’une motion de censure qui serait cette fois-ci passée. Tout est remis en jeu, enfin une opération place nette réussie – et Jean-François Copé fait le tour des popotes pour faire acte de candidature, encore une fois. Il n’est pas le seul, ça discutaille sérieusement, surtout du côté des Républicains qui ne pourront cette fois-ci pas survivre sans choisir un camp. Du côté du RN, on rejette encore et toujours l’étiquette de droite, trop étroite. Qu’importe, le taux de CSG n’est pas une affaire de droite ni de gauche, juste de comptabilité, et leurs électeurs ne sont pas de gauche. L’enjeu est immense, inespéré même pour le camp national car cette fois-ci le parti de Marine Le Pen ne se présente pas pour être chef de l’opposition mais pour gouverner. On ne gouverne pas sans majorité, surtout avec un président qui ne rêve que de vous détruire pour mieux revenir et des instances juridiques, type Conseil d’État et Conseil constitutionnel pour ne citer qu’eux, qui ne vous feront pas de cadeaux. Dans quelques jours, la France saura si la droite, qui a trop longtemps tout oublié, oubliera cette fois-ci d’être la plus conne du monde.