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Hervé de Lépinau : « Mourir dans la dignité ne veut pas dire recourir à l’aide active à mourir »

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Publié le

10 juin 2024

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Député Rassemblement national de Vaucluse, Hervé de Lépinau est opposé au projet de loi gouvernemental sur la « fin de vie ». Dans un entretien sans concessions, il livre à L’Incorrect ses inquiétudes sur le sujet.
© Hervé de Lépinau

Comment expliquez-vous la ferme implication du RN contre l’euthanasie depuis l’ouverture des débats ?

La question de la vie et de la mort est universelle. Elle dépasse les clivages politiques, l’appartenance partisane. Cela s’illustre notamment par le fait que deux élus de gauche, Pierre Dharéville (PCF) et Dominique Potier (PS), s’opposent ouvertement à cette loi, quand des élus de droite et du centre y sont très favorables. Le Rassemblement National n’échappe pas à la règle, en sachant qu’une majorité de ses députés est opposée à ce projet de loi.

Une consigne de vote a-t-elle été donnée sur ce projet de loi ?

Marine Le Pen a déclaré que cette loi représentait une ligne rouge civilisationnelle qu’elle ne franchirait pas. Néanmoins, elle se range derrière la doctrine du mouvement concernant les questions de société en laissant à ses députés la liberté de vote. 

Quels sont les rapports de force au sein du groupe entre les pour et les contre ?

Il y a des députés au sein de notre groupe qui souhaitent cette loi, quand, c’est mon ressenti, la majorité des membres y est opposée. Le scrutin final répondra précisément à votre question. À l’image d’un équipage, nous ne souhaitons pas cliver en interne sur les sujets qui fâchent afin de tenir bon la barre jusqu’en 2027. Il est essentiel d’admettre qu’en politique vos collègues ont des approches sur certains sujets différentes de la vôtre.

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Certains députés ont qualifié ce projet de loi de « rupture anthropologique », d’autres disent qu’il s’agit d’un basculement civilisationnel, êtes-vous de cet avis ? 

Je fais partie de la Commission Spéciale Fin de Vie. J’ai donc participé aux travaux qui ont abouti au texte présenté en séance. Que l’on soit habité ou non d’une spiritualité, nous sommes tous faits de chair et d’esprit. Nous avons des notions cardinales communes qui touchent au bien et au mal ainsi qu’à la question de la vie et de la mort. La mort ne doit pas être un tabou, c’est une frontière. Lorsqu’il s’est agi d’abolir la peine de mort, les promoteurs de cette réforme avaient prôné ce principe cardinal que la mort ne peut être donnée volontairement (sauf situation de légitime défense et contexte de guerre) : ce principe risque aujourd’hui de voler en éclats… Que l’on soit croyant ou non, que l’on ait une approche philosophique, morale, éthique qui diffère, il n’en demeure pas moins que cette frontière universelle qui prohibe la mort volontaire risque de disparaître. 

Qu’est-ce que ce projet de loi traduit de la situation sociale et médicale française ? 

Certains sondages affirment que 80% des Français seraient favorables à une mort dans la dignité : j’en fais partie !  Mais mourir dans la dignité ne veut pas dire recourir à l’aide active à mourir. Mourir dans la dignité, c’est recevoir des soins appropriés, avoir une hygiène corporelle quotidienne, recevoir un traitement social décent, avoir la possibilité d’accéder à un prêtre, un pasteur, un imam en cas de grande détresse psychologique et spirituelle. L’homme reste consubstantiellement digne. Cette loi est aujourd’hui portée par l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité (ADMD), lobby ultra-minoritaire tant dans la population que dans le corps médical qui laisse entendre que la population française serait majoritairement favorable à l’euthanasie et au suicide assisté, ce qui est faux. Les Français veulent effectivement une mort digne, apaisée, sans souffrance. Ils sont en fait demandeurs d’un renforcement des soins palliatifs.  

Certains sondages affirment que 80% des Français seraient favorables à une mort dans la dignité : j’en fais partie !  Mais mourir dans la dignité ne veut pas dire recourir à l’aide active à mourir.

Hervé Lépinau

Certains députés ont effectivement insinué que la dignité humaine peut disparaître à un certain stade de maladie ou de handicap…

C’est là qu’est le débat anthropologique : ceux qui sont opposés à ce texte rappellent que nous sommes ontologiquement, consubstantiellement dignes, qu’il s’agit du propre de la nature humaine. Les députés en faveur de ce texte de loi tentent de déplacer le curseur afin de faire croire que l’Homme peut perdre sa dignité du fait de la maladie, qu’il peut, un jour, devenir indigne de vivre, et que seule la mort serait de nature à lui rendre cette dignité. Ce raisonnement est assez spécieux, c’est le moins qu’on puisse dire Ils inscrivent cette proposition de loi au chapitre des libertés individuelles, au même titre que l’avortement (argument repris en boucle d’ailleurs par les promoteurs du texte).

Que pensez-vous de la manipulation sémantique utilisée dans ce projet de loi ? 

Le gouvernement et les partisans du texte s’obstinent à ne pas utiliser les mots « euthanasie » et « suicide assisté » au prétexte que ces termes feraient référence aux « heures les plus sombres de notre histoire », le régime nazi ayant « sali » selon l’expression du rapporteur général Falorni le terme « euthanasie » pendant la Seconde Guerre mondiale en l’utilisant comme moyen d’extermination de certaines catégories de personnes. J’avais alors rétorqué en commission que si l’on suivait ce raisonnement, nous devrions retirer aussi le mot « liberté » de la devise républicaine, faisant ainsi référence à cette supplique qu’aurait prononcée Madame Roland en montant à l’échafaud, victime de la Terreur : « Liberté, que de crimes sont commis en ton nom !».  Selon cette logique, certains mots seraient frappés d’infamie, de sorte qu’ils ne pourraient plus être utilisés. En vérité, il s’agit d’une forme de terrorisme intellectuel. C’est d’ailleurs à ce sujet que monsieur Falorni et moi-même avons eu un vif échange durant les débats. À nouveau, la gauche nous somme de ne pas utiliser certains mots. Or, nous sommes dans un hémicycle, par conséquent le rapporteur général n’a en aucun cas le droit de brider la parole et la liberté de conscience des parlementaires.

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Il est évident que les promoteurs de la loi n’utilisent pas les mots « euthanasie » et « suicide assisté » car ils renvoient à des réalités très crues – au même titre que le terme « avortement », remplacé par le terme « IVG ». Cette bataille des mots, véritable stratégie des initiateurs du projet de loi, permet de promouvoir une trajectoire de société qui heurterait l’entendement commun si les termes appropriés étaient utilisés. 

Vous avez aussi pointé un problème juridique. Expliquez-nous.

J’ai rappelé que nous allions aborder la problématique du « fait justificatif ». Il existe deux manières de tuer légalement. La première est de dépénaliser le fait de tuer : l’homicide est ainsi purgé de l’élément légal. Ça n’est pas concevable. Pour ne pas avoir à dépénaliser, on va instaurer le fait justificatif qui est une exception à la règle générale. Ici, la règle générale est de ne pas avoir le droit de tuer, mais le fait justificatif va permettre de tuer dans certains cas précis, définis par la loi. Pour définir ce fait justificatif, il y a l’obligation stricte de qualifier les circonstances et d’utiliser des termes précis. Les partisans du texte seront donc obligés d’utiliser le mot « euthanasie » pour qualifier ce fait justificatif d’un homicide volontaire.

Ils devront aussi dans la même logique avoir recours au terme « suicide assisté », dès lors que le code pénal comporte des articles qui prévoient et sanctionnent la provocation au suicide et la non-assistance à personne en danger. Le juge pénal a l’obligation de procéder à une interprétation stricte de la loi. De facto, en utilisant des termes flous ou des périphrases, la loi ouvrira aux juges un champ d’interprétation du texte avec pour conséquence un élargissement de l’« accès à mourir » bien au-delà des limites que le législateur avait envisagé. Les députés en faveur de cette loi ont en réalité une approche très idéoloque de la question, de sorte qu’ils minimisent les effets de bord du texte. Le recadrage juridique du débat est donc nécessaire, n’en déplaise à certains.

La loi ouvrira aux juges un champ d’interprétation du texte avec pour conséquence un élargissement de l’« accès à mourir » bien au-delà des limites que le législateur avait envisagé.

Hervé de Lépinau

Comme il est également nécessaire de préciser que le fait de donner volontairement la mort n’est pas un soin. Le professeur Juvin (LR) a rappelé à maintes reprises que les médecins font tout leur possible pour que leurs patients en fin de vie meurent dans la dignité en prodiguant des soins. Trop peu de gens savent qu’il existe des soins palliatifs, tout comme le fait que l’euthanasie, le suicide assisté et les actions létales ne sont pas des soins. Les médecins sont très attachés à ce qui est au cœur de leur mission : atténuer les douleurs des patients. Nous devons faire confiance à la science pour améliorer les techniques anti-douleurs afin d’apaiser l’appréhension bien légitime de la fin de vie. 

Pensez-vous que cette loi n’est pas au fond une stratégie du gouvernement pour faire des « économies » sur les retraites et les soins palliatifs ?

La Ministre de la Santé a expliqué sans ambages dans son introduction en Commission Spéciale que c’est durant les six derniers mois de notre vie que nous coûtons le plus cher à la sécurité sociale. Message reçu cinq sur cinq ! Or, la fin de vie n’englobe pas uniquement le cas des personnes âgées : elle concerne aussi les enfants, les jeunes adultes, les accidentés de la route. Il faut bien comprendre que cela peut arriver n’importe quand, à n’importe qui. La question budgétaire est donc très présente en filigrane dans ce projet car la fin de vie coûte cher. Les unités de soins palliatifs nécessitent des budgets conséquents, quand on sait par ailleurs que 21 départements en sont actuellement dépourvus, quand par ailleurs des unités ferment, faute de moyens et de médecins ! Les soignants ont une pression permanente de leur hiérarchie administrative afin d’améliorer les scores sur le plan financier de leurs unités de soins. Sur cette base, le recours à l’euthanasie et le suicide assisté seront de nature à permettre à notre système de santé et aux mutuelles de faire des économies substantielles. Je vais certainement heurter en tenant ces propos mais il faut que les choses soient dites ! Les expériences belges et hollandaises nous alertent d’ailleurs sur ce point : certaines personnes émettent le souhait de ne pas devenir un poids financier pour leur famille et programment en conséquence leur mort. C’est terrible. 

À cela s’ajoute également la crainte légitime des parents d’enfants handicapés. Ils ne sont pas rassurés par cette loi qui peut devenir une véritable boite de Pandore. Leurs craintes sont fondées car des députés écologistes ont déposé un amendement visant à autoriser l’euthanasie des mineurs. Lorsque j’ai fait état dans l’hémicycle de ce risque de dérive, un de mes collègues du Modem m’a rétorqué que mes propos étaient scandaleux, qu’ils relevaient du fantasme et que j’instrumentaliserai la souffrance des parents d’enfants handicapés ! Je n’ai fait que rappeler que dans le cadre des débats que certains députés sont favorables à l’euthanasie des enfants : c’est factuel.

Quels sont les points majeurs sur lesquels vous vous mobiliserez ces prochains jours ? 

Les débats majeurs vont porter sur le consentement et le discernement de la personne en fin de vie. C’est une composante essentielle de la loi puisque que l’on nous répète depuis le début des débats que seul le patient est en droit de demander à avoir recours à l’euthanasie ou au suicide assisté. L’évaluation d’un consentement libre et éclairé renvoie à de nombreuses problématiques : majeurs sous tutelle, personnes atteintes de maladies psychiatriques ou encore celles en situation de privation de liberté. En ce qui concerne ce dernier cas, il est à craindre que certains individus en attente de jugement et atteints d’une maladie incurable, utiliseront le suicide assisté pour échapper à leur procès. En tant qu’avocat de victimes, je ne veux pas que certains individus échappent aux comptes qu’ils doivent rendre à ceux à qui ils ont fait du mal. 

Lire aussi : [Enquête] Euthanasie : à qui profite le crime ?

Nous allons aussi aborder la notion de délit d’entrave ajouté par la commission spéciale, ses promoteurs s’étant inspiré de celui institué dans la loi sur l’IVG. Ce type de mesure apparait généralement après plusieurs années de pratique d’une loi dite « sociétale » : en l’espèce, certains parlementaires veulent aller vite, ce qui constitue l’indice d’une volonté de faire tomber l’ensemble des garde-fous voulus par le gouvernement. Se rendent-ils vraiment compte de ce qu’ils sont en train de faire : la prévention du suicide pourrait être considérée comme un délit ? Un médecin qui tenterait de dissuader un patient atteint d’une pathologie incurable (comme un diabète) avec une espérance de vie de plusieurs années d’avoir recours à l’euthanasie ou à l’aide au suicide assisté serait poursuivi en justice ? Ces perspectives sont effrayantes. Ce projet de loi est allé si loin qu’une majorité de députés, je l’espère, ne le votera pas. Sans nul doute, le gouvernement va déposer des amendements pour tenter de rétablir le texte d’origine. La feuille de route des promoteurs de l’« aide à mourir » est à présent connue et croire qu’elle n’aboutira pas dans les années à venir est faire preuve de naïveté. La France est sur le point de consacrer la loi de légalisation de l’euthanasie et de du suicide assisté la plus permissive au monde. C’est pourquoi j’y suis opposé.

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