Skip to content

Le procès d’Éric Zemmour sur Pétain et les juifs : l’archétype du procès d’opinion

Par

Publié le

7 septembre 2023

Partage

Ce mardi 5 septembre, la Cour de cassation a cassé la relaxe d’Éric Zemmour par la cour d’appel, estimant que l’ancien journaliste avait bien contesté un crime contre l’humanité. Une décision qui pose problème : le juge n’a rien à faire dans un débat qui échappe à ses compétences. Analyse.
Z

Me Spinosi, avocat aux Conseils du MRAP, tout à sa joie de la cassation prononcée aux dépens d’Éric Zemmour le 5 septembre dernier, en a fait (malgré lui ?) l’aveu auprès de l’AFP : « C’est une vraie victoire du droit et de la mémoire. La thèse selon laquelle Pétain aurait sauvé des juifs n’a pas été reconnue par la Cour de cassation ».

Il y avait donc débat entre deux thèses historiques : celle que soutenait Éric Zemmour, qui n’a pas été « reconnue »; et celle de ses adversaires, qui l’a supposément été. Il est donc légitime de se demander ce que vient faire le juge pénal en un tel débat, pour punir une personne dont le seul délit est de ne pas partager la thèse de ceux qui veulent l’empêcher d’exposer la sienne.

Un débat d’historiens

Rappelons les faits. Lors d’un débat télévisé sur CNews (21 octobre 2019) entre Éric Zemmour et Bernard-Henri Lévy, débat qui n’avait rien à voir avec le sort des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, M. Lévy a lancé à brûle-pourpoint à son interlocuteur : « Un jour (…) vous avez osé dire que Pétain avait sauvé les juifs français. C’est une monstruosité, c’est du révisionnisme. » Ce à quoi M. Zemmour a rétorqué : « C’est encore une fois le réel, je suis désolé. »

La « thèse » soutenue par Éric Zemmour est connue. Ses écrits qui l’exposent sont publics ; ses interventions télévisées le sont aussi. Jamais il n’a prétendu que Philippe Pétain ait sauvé « les » juifs de France, c’est-à-dire tous les juifs de France. Si un minimum d’honnêteté intellectuelle avait guidé B.-H. Lévy, il n’aurait jamais affirmé ce qu’il a affirmé. À supposer qu’il se soit trompé de bonne foi, il aurait ensuite rectifié son propos, et aucun contentieux judiciaire ne serait résulté de cet échange.

Cette thèse à laquelle adhère Éric Zemmour n’a rien d’original. Elle consiste à soutenir que Philippe Pétain, tout collaborateur qu’il ait été, a cherché à sauver les juifs français en sacrifiant aux Allemands les juifs étrangers qui se trouvaient sur le territoire national.

Cette thèse est partagée par différents historiens juifs, tous éminents.

C’est le cas de Léon Poliakov (1910-1997), qui a écrit dans L’Étoile jaune que « l’existence d’un “État français” de Vichy fut, en définitive, bénéfique pour les juifs. »

Lire aussi : Justice : Zemmour n’est pas négationniste

C’est le cas de l’Américain Raul Hilberg (1926-2007), cité par Éric Zemmour dans son livre Le suicide français, qui a écrit : « Quand la pression allemande s’intensifia en 1942, le gouvernement de Vichy se retrancha derrière une seconde ligne de défense. Les Juifs étrangers et les immigrants furent abandonnés à leur sort, et l’on s’efforça de protéger les Juifs nationaux. Dans une certaine mesure, cette stratégie réussit. En renonçant à épargner une fraction, on sauva une grande partie de la totalité. »

C’est le cas encore d’André Kaspi, qui a écrit : « « Tant que la zone libre n’est pas occupée, (la population juive) y respire mieux que dans la zone Nord. Qui le nierait ? Surtout pas ceux qui ont vécu cette triste période. De là cette conclusion : Vichy a sacrifié les Juifs étrangers pour mieux protéger les Juifs français, mais sans Pétain, les Juifs de France auraient subi le même sort que ceux de Belgique, des Pays-Bas ou de Pologne. Pendant deux ans, ils ont d’une certaine manière bénéficié de l’existence de l’État français. » (L’Histoire, n° 148, octobre 1991).

Éric Zemmour s’est donc borné à soutenir la « thèse » correspondant aux recherches de ces historiens. Il n’en fallait pourtant pas davantage pour mobiliser contre lui cinq associations, dont le MRAP, qui l’ont accusé en 2020, devant le tribunal correctionnel de Paris, de contestation de crime contre l’humanité.

Cette mise en accusation a cependant provoqué la réaction immédiate, indignée, d’un autre historien juif éminent, bien peu suspect de complaisance à l’égard d’un tel crime, M. Alain Michel. Rabbin franco-israélien, ce dernier sait de quoi il parle puisqu’il est un spécialiste reconnu de la Shoahen France – voir Vichy et la Shoah, enquête sur le paradoxe français.

Dans une lettre ouverte adressée en mars 2020 au président de l’Union des étudiants juifs de France, qui est l’une des associations susvisées, dont il fut membre, Alain Michel lui a adressé notamment ces reproches et cette mise au point particulièrement cinglants : « (…) même si les propos d’Éric Zemmour étaient erronés, ce qu’ils ne sont pas, en quoi cette affirmation est-elle une négation de la Shoah ? (…) En réalité, l’UEJF a une attitude liberticide qui consiste, en détournant une loi anti-négationniste, à interdire tout débat historique et à imposer une vérité historique concernant une question importante, l’attitude de Vichy vis-à-vis des Juifs, mais question qui n’a rien à voir avec la réalité de l’existence de la Shoah. »

Ainsi étaient très exactement posés les fondements et les enjeux du débat, indûment judiciarisés.

Quand la justice refait l’histoire

Le 12 mai 2022, la cour d’appel de Paris a confirmé la relaxe de M. Zemmour prononcée par le tribunal correctionnel le 4 février 2021, après avoir jugé que les propos incriminés « n’ont pas pour objet de contester ou de minorer, fût-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la déportation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration. »

C’est cette décision que la Cour de cassation a cru devoir casser ce mardi 5 septembre 2023, sur la demande des associations susvisées, auxquelles s’était joint le procureur général de la République près la cour d’appel de Paris, M. Rémi Heitz – depuis lors devenu procureur général à la Cour de cassation.

La Cour de cassation, qui paraît en définitive avoir reproché à la cour d’appel de Paris de ne pas avoir suffisamment caractérisé… l’innocence d’Éric Zemmour, alors que c’est sa culpabilité qui devait être établie, a retenu trois motifs pour justifier cette censure.

1- Le premier motif est que la cour d’appel a retenu que Philippe Pétain n’avait pas été condamné pour un ou plusieurs crimes tels qu’ils sont définis à l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945, alors que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse (fondement des poursuites contre Éric Zemmour) n’exige pas qu’il ait été condamné pour un tel crime.

Cependant, on ne voit pas en quoi ce principe serait de nature à établir que les propos reprochés à Éric Zemmour sont illégaux, puisque ceux-ci ne nient en rien que Philippe Pétain ait consenti à la déportation de personnes juives. Ils font seulement référence à la thèse selon laquelle Philippe Pétain a tenté de sauver les juifs français en sacrifiant les juifs étrangers.

La Cour de cassation, qui paraît en définitive avoir reproché à la cour d’appel de Paris de ne pas avoir suffisamment caractérisé… l’innocence d’Éric Zemmour, alors que c’est sa culpabilité qui devait être établie, a retenu trois motifs pour justifier cette censure.

2- Le deuxième motif est que la cour d’appel n’aurait pas « procédé à l’analyse exhaustive des propos poursuivis » en ne tenant pas compte du fait qu’Éric Zemmour avait ajouté « c’est encore une fois le réel », en reprenant ainsi à son compte les propos qui venaient de lui être prêtés (par Lévy, qui travestissait les propos de Zemmour) selon lesquels Philippe Pétain avait « sauvé les juifs français. »

Ce motif est également contestable. Il n’est pas possible d’identifier de bonne foi cette formule – « les » juifs français – que seul Lévy a utilisée pour provoquer Zemmour, avec la thèse défendue par ce dernier, exactement identifiée par la cour, qui est que Philippe Pétain a cherché à sauver les juifs français en abandonnant les autres à leur sort. M. Alain Michel, précité, l’avait parfaitement compris.

3- Le troisième motif est que la cour d’appel n’a pas « mieux expliqué » en quoi l’affirmation d’Éric Zemmour « devait être comprise comme se référant à des propos plus mesurés que M. Zemmour aurait exprimés antérieurement »dans son livre Le suicide français.

Là encore le motif est contestable. En effet, la cour d’appel n’a pas dit que les propos d’Éric Zemmour auraient été « plus mesurés » dans cet ouvrage. Elle a seulement relevé, ce qui est exact, « qu’il était fait référence (dans les propos incriminés) à une opinion défendue par M. Zemmour – tant dans son livre Le suicide français qu’à l’occasion d’émissions télévisées – selon laquelle si la déportation a moins touché les juifs de nationalité française que les juifs de nationalité étrangère résidant en France, c’est le fait d’une action du Maréchal Pétain en leur faveur. » 

Ce faisant, elle a éclairé les propos incriminés, contrairement à ce qui lui est reproché, en faisant clairement référence à la thèse soutenue.

Lire aussi : L’insaisissable Éric Zemmour

Au reste, ce sont les adversaires d’Éric Zemmour qui devraient prouver pourquoi ces propos devraient avoir un sens contraire à celui que leur donne habituellement leur auteur, et que la cour a indiqué. La vérité est qu’ils n’en ont cure, car même la thèse dûment clarifiée dans le livre Le suicide français leur est détestable. Les propos de Me Spinosi, précédemment cités, sont sur ce point révélateurs. Ce n’est pas le rejet de « la thèse selon laquelle Pétain aurait sauvé les juifs » de France, dont il se réjouit ; c’est le rejet de « la thèse selon laquelle Pétain aurait sauvé des juifs ». On ne peut donc pas s’y tromper : sous couvert d’une critique de propos réputés insoutenables, c’est en réalité une thèse historique qui est combattue.

Sur ce point, quel qu’artifice qu’on puisse s’ingénier à trouver pour tenter de faire entrer en force les propos reprochés dans le champ du négationnisme, le centre du débat, que la Cour de cassation a malheureusement entendu esquiver pour s’en tenir à des propos de débat tirés de leur contexte, est ici et nulle part ailleurs : oui ou non, l’opinion susvisée est-elle fondée ? Si elle l’est, alors elle ne peut pas être incriminée. D’aucuns, historiens, juifs de surcroît, la soutiennent fermement ; d’autres, historiens ou non, la contestent. Il y a donc débat d’historiens. Le juge n’a rien à faire dans ce débat qui échappe à ses compétences, sauf à substituer à la vérité historique sa vérité judiciaire, laquelle ne peut qu’être idéologique et tourner à la pénalisation de la liberté de recherche historique et au procès d’opinion.

C’est exactement, nous semble-t-il, ce à quoi nous assistons dans cette affaire.

EN KIOSQUE

Découvrez le numéro du mois - 6,90€

Soutenez l’incorrect

faites un don et défiscalisez !

En passant par notre partenaire

Credofunding, vous pouvez obtenir une

réduction d’impôts de 66% du montant de

votre don.

Retrouvez l’incorrect sur les réseaux sociaux

Les autres articles recommandés pour vous​

Restez informé, inscrivez-vous à notre Newsletter

Pin It on Pinterest