[qodef_dropcaps type=”normal” color=”red” background_color=””]A[/qodef_dropcaps]pprouvée par référendum durant la période de Transition démocratique, la Constitution espagnole de 1978 a été rédigée par une Commission constituante formée de 36 députés représentatifs de l’ensemble des tendances politiques de l’époque, dont Miquel Roca de la Minorité catalane ou bien encore Jordi Solé Tura du Parti socialiste unifié de Catalogne.
Au terme de discussions entre des acteurs politiques extrêmement divers, l’Espagne se dotait d’une organisation administrative spécifique, divisant son territoire en régions autonomes et en nationalités. L’article 151 permettait notamment aux régions « historiques » (Catalogne, Galice et Pays Basque), lesquelles avaient déjà pu jouir de l’autonomie durant la IIème République, de pouvoir bénéficier d’un processus accéléré pour redevenir autonomes. La Constitution définitive a, par la suite, été très largement plébiscitée, d’abord par l’ultra majorité du Cortès (Congrès et Sénat) puis par le peuple espagnol après la signature du décret royal par le roi Juan Carlos. Le « oui » l’emporta d’ailleurs dans des proportions plus importantes encore en Catalogne que dans le reste de l’Espagne, choix confirmé lors des diverses révisions présentées au vote référendaire.
Des précédents internationaux scandaleux,
Dans son article deuxième, la Constitution espagnole « reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et la solidarité entre elles », et précise, concernant le droit éventuel à l’indépendance que « La Constitution a pour fondement l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ». Loi supérieure de la hiérarchie des normes espagnoles, la Constitution doit donc être révisée pour qu’une région autonome puisse devenir indépendante. Une mécanique juridique prévoyant une approbation du projet de révision par les trois-cinquièmes du Cortès puis une ratification par voie de référendum. À l’évidence, le « référendum catalan » tenu le dimanche premier octobre 2017 n’était qu’un simulacre de démocratie s’apparentant, selon le mot de Pedro Sanchez, actuel chef du Parti socialiste, à une « perversion ».
Il faut dire que les indépendantistes catalans peuvent s’appuyer sur des précédents internationaux scandaleux, ce dont ils n’ont d’ailleurs jamais fait mystère. En 2010, Anna Arqué, porte-parole de la Coordination nationale de consultation sur l’indépendance, déclarait bravache : « Les Kosovars nous ont montré le chemin à suivre ». Elle ajoutait que la décision de la Cour internationale de justice de La Haye avait donné « un signe très fort en faveur des processus d’émancipation des peuples sans Etat ». Et pour cause…
On comprend mieux pourquoi Madrid avait refusé de reconnaître la souveraineté du Kosovo, contraire au droit international, contrairement à la France qui, subjuguée par les pressions de la communauté internationale, avait sauté à pieds joints dans le piège aux côtés de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis. Forcé par l’Onu, le gouvernement socialiste de Zapatero avait fini par partiellement céder en précisant néanmoins, par la voix de Maria Teresa Fernandez de la Vega, numéro deux de l’exécutif, que la comparaison « entre le Kosovo et la Catalogne » était « irréelle ».
On sait désormais que la comparaison était juste. En effet, les indépendantistes catalans ont très précisément procédé de la même façon que le Kosovo : un référendum consultatif sans valeur légale en 2014, la formation d’une coalition indépendantiste transpartisane allant de la droite libérale à l’extrême gauche (Junts pel si pour « Ensemble pour le oui ») puis la tenue d’un référendum inconstitutionnel qui devrait être instamment suivi d’une déclaration d’indépendance votée par le Parlement catalan et officiellement prononcée par le Président de la Généralité de Catalogne Carles Puigdemont ! À ce propos, il est amusant de voir ceux qui, hier, conspuaient le référendum de rattachement de la Crimée à la Russie se réjouir bruyamment du référendum catalan, condamner unilatéralement le gouvernement espagnol pour sa brutalité quand il ne fait qu’appliquer des dispositions constitutionnelles qui avaient été votées par les Catalans eux-mêmes.
Des médias internationaux soumis à la tyrannie de l’émotion
Le parallèle entre le Kosovo et la Catalogne ne s’arrête d’ailleurs pas là, cas symptomatiques du dévoiement progressif du « droit à l’autodétermination des peuples » symétriquement à la montée de l’hystérie des opinions publiques internationales. Si la Charte des Nations unies du 24 octobre 1970 prévoit que le droit des peuples « à disposer d’eux-mêmes » ne doit pas autoriser ou encourager « une action, quelle qu’elle soit, qui démembrerait ou menacerait, totalement ou partiellement l’intégrité territoriale ou l’unité politique de tout État souverain et indépendant », le cas kosovar aura démontré que les règles internationales ne sont plus respectées.
Comme Jean-Pierre Chevènement l’avait souligné, la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo constituait « une faute contre l’histoire, le pays n’ayant jamais été indépendant, faute contre le droit, la guerre déclenchée en 1999 par l’OTAN ayant ignoré les principes du droit international, et une faute contre l’Europe unie ». À l’époque, Vuk Jeremic, ministre des affaires étrangères de Serbie, avertissait les Européens à La Haye : « Si le tribunal soutenait la sécession, aucune frontière dans le monde et dans la région ne serait sûre ».
La Catalogne qui n’a jamais été rien de plus qu’un Comté (le Royaume d’Aragon ne correspondant pas aux frontières actuelles de la région catalane), peut désormais, sur la base de l’exemple kosovar, petit Etat failli dépendant de l’aide internationale et dirigé par des mafias, se comporter en pays souverain et défaire l’Espagne par l’entremise d’une coterie d’activistes, profitant de l’inculture et de la crédulité des médias internationaux soumis à la tyrannie de l’émotion.
Au-delà du fait que la Généralité de Catalogne a méprisé le droit domestique, personne n’aura relevé que son référendum n’est pas respectueux des règles internationales en la matière, tant parce que le « peuple catalan » est aujourd’hui divers, issu de nombreuses unions inter-régionales (seuls 19 % des Catalans actuels auraient leurs quatre grands-parents nés en Catalogne), donc impossible à différencier du peuple majoritaire, que parce que la Catalogne jouit d’une autonomie déjà suffisante.
Pour s’attirer les sympathies d’acteurs internationaux, de Julian Assange à Jeremy Corbyn, les indépendantistes n’auront eu qu’à agiter le spectre d’un retour du franquisme et à diffuser des images de violences policières. Parfois des fake news, ce que même Sandrine Morel, journaliste du Monde, a dénoncé ! « Ensemble pour le oui » et les séparatistes radicaux de la Candidature d’unité populaire (liés aux mouvements dits « antifas » européens, sa représentante Anna Gabriel apparaissant parfois vêtue de tee-shirts présentant les logos de ces groupes), ont pris en otage une des plus vieilles nations européennes, se vantant désormais d’avoir recueilli 90 % de « oui » à un référendum qui n’aurait pas dû se tenir.
l’Etat espagnol aurait dû siffler la fin de la récréation
Cette démarche séditieuse se serait apparentée, en d’autres temps, à une déclaration de guerre en bonne et due forme. En outre, de nombreuses irrégularités ont été constatées, des personnes se montrant votant plusieurs fois, d’autres déposant leurs bulletins dans la rue… Mais qui s’en soucie ? Le poids des images est tel que les bonnes âmes ne semblent s’émouvoir que de l’action de la Guardia Civil, pourtant légale et dûment approuvée par l’ensemble de la classe politique espagnole, hors l’agitateur Iglesias qui y voit son intérêt personnel.
Signalons quelques évènements ubuesques, comme ces parlementaires britanniques, observateurs du scrutin, se déclarant en « état de choc » et prêts à porter plainte contre l’Espagne au tribunal pénal international de La Haye ! N’est-ce pas la Grande-Bretagne qui occupe de manière contestée et contestable Gibraltar ? On aurait tort, vu de France, d’imaginer une Espagne jacobine en guerre contre les cultures et les identités régionales. L’Espagne est une monarchie parlementaire respectueuse des particularismes des petites patries qui la composent, à tel point que le catalan est plus utilisé que le castillan à Barcelone… On aurait aussi tort de se laisser captiver par la propagande de personnages aussi peu recommandables que Julian Assange de WikiLeaks ou par les rodomontades de Jean-Luc Mélenchon, toujours aussi outrancier quand il ose dire « Dommage que la Catalogne ne soit pas au Venezuela ! L’Espagne a besoin d’une constituante ».
En l’espèce, il ne s’agit pas d’une question reposant sur le clivage entre la droite et la gauche, et ce même si le rêve d’une majorité des indépendantistes est bien de transformer la Catalogne en une République socialiste, ouverte notamment à l’immigration de masse venue de l’extérieur de l’Europe, mais bien de l’idée même que nous nous faisons des Etats-nations en Europe et dans le monde, de l’ordre et du droit. La balkanisation d’une nation d’une grande importance historique comme l’Espagne, que l’Union européenne n’encourage pas directement mais a probablement autorisé par sa permissivité depuis des années, sans compter la faiblesse coupable de la Commission européenne, entrainerait immanquablement des difficultés pour le continent tout entier. Nous ne pouvons pas l’autoriser.
Oui, l’Etat espagnol aurait dû siffler la fin de la récréation il y a longtemps de cela. Oui, Mariano Rajoy multiplie les erreurs. Mais ne cédons pas à la dictature des minorités, aux forces de la division qui agissent en Espagne comme elles agiront demain en France.
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