Kirsten, Gräfin zu…, la blonde et sémillante épouse de Ferdinand, parlait la langue de Racine comme une Allemande qui n’a jamais séjourné en France plus de quelques semaines d’affilée, avec un accent chantant, des erreurs désarmantes, une tendance irrépressible à tutoyer tout le monde et une propension non moins remarquable à se mêler naïvement de la conversation des autres. Ayant entendu E. chuchoter avec ses voisins, tous anciens militaires ou hauts fonctionnaires, à propos de rubans, de rosettes, de grands colliers, de canapés et de sautoirs, la mutine prussienne ne douta pas une seconde que si ces messieurs parlaient bas, ce devait être pour échanger sur quelque chose qu’il est impoli d’évoquer en public mais qui n’en est pas moins, aux yeux des étrangers, la passion prédominante et peut-être le titre de gloire des Français.
« Les voilà qui se remettent à parler de nous ! », murmura-t-elle à l’oreille de Zo’ qui, toute à sa vodka Némiroff, lui rendit un sourire sans trop comprendre de quoi il s’agissait.
En tant que femme cultivée, ces évocations à demi-mot lui rappelaient irrésistiblement les tableaux coquins de Boucher et de Fragonard
Incapable de déterminer si « rosette » est une pièce stratégique de l’anatomie féminine ou le prénom d’une jeune personne, Kirsten n’avait aucun doute, en revanche, sur le potentiel érotique des rubans, rouges ou bleus, et s’émerveilla que les Français aient eu l’audace de rapprocher les termes canapé et sautoir. En tant que femme cultivée, ces évocations à demi-mot lui rappelaient irrésistiblement les tableaux coquins de Boucher et de Fragonard ; mais en tant que femme moderne, elle ne voyait pas pourquoi les hommes s’arrogeaient le monopole de ces débats polissons, et pour quelle raison elle-même n’aurait pas le droit d’y prendre part. [...]
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