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Une Vie Cachée : capter la gloire invisible

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Publié le

11 décembre 2019

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Si le cinéma n’existait pas, il faudrait l’inventer pour Terrence Malick. Prince parmi les grands, le cinéaste construit depuis 1973 et sa Balade Sauvage une œuvre empreinte de d’une majesté et d’une grâce incomparables.

Ses influences sont plurielles, sa grammaire est unique : des contre-plongées qui élèvent l’âme ; des voix off qui virent au psaume et des plans qui, en s’entrechoquant, révèlent des mystères. Malik est doué de ce privilège de savoir imprimer l’invisible sur pellicule.

Avec Une Vie Cachée, le cinéaste abandonne ses précédentes abstractions pour revenir à une structure plus classique où la narration reprend toute sa place. Il nous raconte donc l’histoire de Franz Jägerstätter, un paysan autrichien marié à Fani et père de trois petites filles qui refuse de prêter allégeance à Hitler. Accusé de trahison et reconnu coupable, il se retrouve passible de la peine capitale.

Construit comme une tragédie grecque, le premier acte renoue avec la splendeur picturale des Moissons du Ciel (1978) et du Nouveau Monde (2005). Tout n’est qu’harmonie dans cet écrin de montagne où la nature est encore la demeure de l’homme, rude, certes, mais aussi sublime et généreuse. La caméra de Malick y laisse flotter son objectif avec la légèreté d’un ange qui contemplerait la pureté d’un couple au jardin d’Eden. Les moissons rejoignent l’élégance d’un ballet russe, la montagne est majestueuse, la lumière relie ciel et terre et, lorsque Franz retrouve Fani après avoir été appelé une première fois sous les drapeaux, le délicat travelling se fait montage désaccordé afin de capter l’intensité d’un couple fusionnant sa chair et son sang.

Lire aussi : Génie, cinéaste ou visionnaire ? Qui est Terrence Malick ?

GUERRE MONDIALE ET LUTTE INTÉRIEURE

Malick ne discourt pas. Il filme, découpe, remonte et quand la guerre éclate, il l’annonce avec le bruit d’un bombardier succédant au vol d’un oiseau et par un truchement d’images d’archive. Si la guerre n’est jamais montrée, Malik filme la lutte intérieure comme une bataille véritable. Le Texan colle ses personnages pour nous transmettre au plus près leur feu et leurs tourments, il emploie le grand angle pour mieux nous immerger et le hors-champ pour saisir l’essentiel. Aucun manichéisme dans ce combat fascinant, mais la difficulté de faire ce que l’on croit être juste sans pouvoir s’appuyer sur des certitudes. Franz sait ce qu’il perd en refusant de prêter allégeance. Abandonnant ce qu’il a bâti, sa femme et ses filles, l’Autrichien vacille, sollicite le curé puis l’évêque – « Tu ne crois pas qu’il faudrait songer aux conséquences de tes actes, pour eux ? », lui répondent-ils. Le village tourne le dos à la famille, on leur crache à la figure, le ciel s’assombrit et aux plans d’une nature infinie succèdent ceux d’une prison exiguë. Le corps tremble sous les coups des bourreaux, mais l’âme ne cède pas.

Lire aussi : Hubert de Torcy : « Terrence Malick ? Un cinéma hautement contemplatif »

UN FILM MÉTAPHYSIQUE

Si Malick n’explique pas, c’est parce que la conscience ne se fonde pas sur des arguments et que le cinéaste préfère s’appliquer à capter l’insaisissable. Les unissant jusque dans le martyre, l’amour de Franz et Fani devient leur témoignage de Foi. « Je peins leur Christ rassurant avec une auréole sur la tête », confie le peintre de l’église du village à Franz. « Comment montrer ce que je n’ai pas vécu ? Un jour, je m’y risquerai. Un beau jour, je peindrai le véritable Christ ». C’est précisément ce que s’attache à faire Malick lorsqu’il montre Franz à la veille de sa mort, seul dans la pénombre de sa cellule avec comme seule lumière au cœur de ténèbres, une petite bougie dont la flamme vacille mais ne s’éteint pas. Un plan simple et beau comme une toile de Georges de la Tour.

« Le bien croissant de la terre dépend en partie d’actes non historiques et si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus », conclut le film.

La caméra le quitte alors en paix, pour se diriger vers l’échafaud. « Le bien croissant de la terre dépend en partie d’actes non historiques et si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu’elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que personne ne visite plus », conclut le film. Une vie cachée qui s’éclaire dans l’Éternité.

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