Jovan Palalic est député au Parlement de Serbie depuis 2004 : d’abord au sein du parti d’opposition DSS (Parti Démocratique de Serbie, affilié au PPE). Depuis 2014, il est secrétaire général du SNP (Parti Populaire Serbe) au sein de la coalition gouvernementale. En exclusivité pour L’Incorrect, il réagit à la crise religieuse et politique qui secoue le Monténégro depuis décembre.
Depuis plusieurs semaines, une grande partie de la population monténégrine s’oppose pacifiquement, à travers des processions religieuse massives, au gouvernement de Milo Djukanovic. Ils rejettent d’abord une loi de spoliation des biens de l’Église orthodoxe serbe votée en catimini le 26 décembre dernier. Mais n’est-ce pas plus largement le rejet d’une forme de pouvoir autocratique imposé par le dirigeant le plus longtemps en poste d’Europe qui anime les manifestants ?
Nous voyons un miracle se produire. Les Serbes ainsi que les citoyens d’autres nationalités, tous croyants de l’Église orthodoxe serbe, manifestent pacifiquement aux côtés de ses prêtres, en ne portant que des croix, des bougies et des icônes, et réclament l’abrogation d’une loi allant à l’encontre de la civilisation, qui prévoit la spoliation des édifices religieux et des monastères appartenant à l’Église qui existe dans ces territoires depuis plus de 800 ans.
Pratiquement, une troisième de la population de cet État, deux fois par semaine, sort dans les rues de villes monténégrines. Il s’agit d’un réveil incroyable d’une nation et d’un renouveau de son identité et de sa foi dans la lutte contre le dernier régime communiste en Europe qui est au pouvoir au Monténégro depuis la révolution en 1945.
Mes amis députés du Rassemblement national de France et de La Lega d’Italie sont les seuls à avoir réagi.
Bien que les patriarches de Moscou et de Constantinople ainsi que le pape François aient soutenu l’Église orthodoxe serbe, le régime monténégrin a dit ouvertement qu’il voulait former son Église étatique à partir des biens usurpés. C’est une honte et un scandale que l’Europe se taise là-dessus. Mes amis députés du Rassemblement national de France et de La Lega d’Italie sont les seuls à avoir réagi, ce pour quoi les Serbes leur sont très reconnaissants. Un grand merci au Rassemblement national qui cultive une véritable amitié avec la Serbie. Et c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui a pris le parti du régime monténégrin en lui permettant de spolier les édifices religieux et les monastères.
En Bosnie-Herzégovine, les accords de Dayton signés en 1995 semblent être remis en cause par les trois peuples constitutifs (Croates, Musulmans et Serbes). Craignez-vous une séparation de la République serbe de la Bosnie-Herzégovine ? Pensez-vous possible l’émergence d’une Herceg Bosna croate?
L’idée de la séparation de la République serbe existe parce que l’idée de son annulation existe aussi. Ces derniers temps, les autorités musulmanes à Sarajevo, avec le soutien d’une partie de la communauté internationale, mènent de plus en plus souvent des activités qui ont pour objectif de priver la République serbe de ses droits, contrairement aux accords de Dayton.
Avec beaucoup de sacrifices, le peuple serbe a créé la République serbe, en luttant contre le concept d’un État de Bosnie-Herzégovine musulman où, au cœur de l’Europe, régnerait l’islam.
Avec beaucoup de sacrifices, le peuple serbe a créé la République serbe, en luttant contre le concept d’un État de Bosnie-Herzégovine musulman où, au cœur de l’Europe, régnerait l’islam. Cette idée musulmane est toujours présente. Plus elle sera agressive, plus la République serbe décidera de continuer son existence indépendamment. Il en est de même pour les Croates, qui, eux aussi, subissent cette pression musulmane de Sarajevo de plus en plus difficilement.
En Serbie, des élections législatives vont se dérouler le 26 avril. Face à une opposition faible et divisée, Vucic a la partie facile. Êtes-vous d’accord avec l’appel au boycott lancé par une partie de l’opposition?
Franchement, je ne vois aucun résultat à cette idée de boycott. Elle est promue par une partie de l’opposition qui, avant, exerçait le pouvoir d’une manière catastrophique. Cette période était marquée par la corruption, la perte du Kosovo et du Monténégro, et un taux de chômage très élevé. Je pense qu’un gouvernement composé de la majorité parlementaire actuelle sera formé après les élections, et que la politique menée par l’État jusqu’à présent sera continuée.
Le Kosovo-Métochie, province méridionale de la Serbie, est une région où au cœur de l’Europe est appliquée par les autorités albanaises un véritable apartheid à l’égard des minorités, dont la plus importante sont les Serbes. Que proposez-vous afin que les réfugiés retournent dans leurs foyers?
Tout d’abord, le Kosovo doit rester une partie de la Serbie. Les Nations-Unies et notre constitution nous donnent le droit à une telle position. Nous ne reconnaissons aucune indépendance de notre province méridionale, et nous ne la reconnaîtrons jamais. Nous sommes prêts pour un compromis et pour le plus grand degré d’autonomie au monde, mais sans chantages ni pressions, venant notamment de Bruxelles et de Berlin, qui, en raison de l’intégration à l’UE, demandent que la Serbie reconnaisse l’indépendance du Kosovo.
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Une garantie de sécurité accordée aux Serbes, condition importante pour le retour, ne peut être que ce cadre politique et juridique. L’autre aspect important est l’aide économique et le soutien aux chefs d’entreprises ainsi que l’encouragement du retour des jeunes. On travaille vraiment beaucoup sur cela et le gouvernement à Belgrade investit beaucoup au Kosovo. Nous assistons aujourd’hui à un phénomène qui montre que la croissance démographique la plus élevée parmi tout le peuple serbe est justement là où ce peuple est le plus en danger – au Kosovo.
La diplomatie serbe a réussi depuis 2017 un revirement unique dans l’histoire. Grâce notamment à l’amitié nouée dans beaucoup de pays par les dirigeants yougoslaves à travers le Mouvement des non-alignés, le ministre des Affaires étrangères, Ivica Dacic, a fait revenir 17 pays sur leur décision de reconnaître le Kosovo. Va-t-on vers un échec de la politique, notamment soutenue par l’UE, de sécession d’une province en temps de paix ?
Il y a de plus en plus de pays qui se rendent compte des proportions de l’injustice faite à la Serbie, dès les bombardements en 1999, jusqu’à la reconnaissance de la fausse indépendance du Kosovo en 2008. Cela étant dit, il s’est produit un événement sans précédent qui peut arriver à n’importe quel pays, si celui-ci décide de mener une véritable politique indépendante et autonome.
Dans l’Union européenne, il n’y a pas de position unanime car cinq États membres refusent toujours de reconnaître cette indépendance.
Pour cette raison, nous avons des cas de révocations de la reconnaissance de la part d’un certain nombre de pays, tandis que beaucoup d’autres réexaminent ses décisions là-dessus. Dans l’Union européenne, qui, quant à elle, n’a pas réussi à faire quelque chose pour contrôler la crise, il n’y a pas de position unanime car cinq États membres refusent toujours de reconnaître cette indépendance. L’Allemagne fait une pression énorme sur la Serbie, afin de mettre ces cinq États membres devant un acte accompli et d’obtenir ainsi une position unique de l’UE.
Les Balkans sont redevenus comme au XIX° siècle, une véritable «poudrière» où les puissances mènent un vrai jeu d’échec à échelle d’une région. Est-ce le bloc euratlantique (UE et USA), ou bien le bloc eurasiatique (Russie-Chine-Turquie) qui va gagner la bataille en cours ?
D’un point de vue géographique, ces deux blocs existent. Pourtant, dans la réalité politique des Balkans, chacun de ces pays agit indépendamment, conformément à ses intérêts, mais avec d’énormes différences communes et même avec des rivalités évidentes. Je vous donne un exemple : l’UE et les États-Unis n’ont pas du tout d’approche identique par rapport à une résolution du problème du Kosovo, la Russie et la Turquie ont des positions différentes sur le fonctionnement de la Bosnie-Herzégovine, et la Chine est une source d’inquiétude pour toutes les autres puissances à cause de sa percée économique et de son influence dans les Balkans.
Le conflit des intérêts de ces puissances provoque aussi des conséquences au niveau global. La faiblesse de l’Union européenne est la cause de cette situation. Les pays des Balkans sont fatigués des fausses promesses, des chantages, de l’arrogance et de l’absence d’un soutien véritable de la part de Bruxelles.
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Depuis la fin des guerres yougoslaves, on voit apparaître, au contraire de ce que disaient les médias dominants, la création d’une Grande Albanie et un émiettement des Serbes entre quatre pays (Serbie, Croatie, Bosnie et Monténégro). Comment voyez-vous l’émergence récente d’une prise de conscience d’une identité unique des Serbes au-delà de leurs différences régionales ou dialectales ? Qu’est ce qui caractérise l’identité serbe en 2020 ?
Après la chute de la Yougoslavie communiste, où le peuple serbe était divisé et dispersé intentionnellement, un processus a commencé, celui du retour aux véritables racines de l’identité de la nation. Au Moyen-Âge ainsi qu’à l’époque moderne, la Serbie est née d’une grande volonté du peuple de vivre librement et d’avoir son État. Parallèlement à la naissance de l’État est née l’Église serbe.
La liberté, la foi chrétienne et l’indépendance sont les fondements de notre identité, avant comme aujourd’hui.
Une verticale spirituelle allait de pair avec une verticale temporelle et toutes les deux se soutenaient mutuellement. Une deuxième tâche de la Serbie depuis toujours était de rassembler les Serbes d’autres territoires dans un seul pays ou, si cela n’était pas possible, de les protéger et de préserver leur sécurité, leur foi et leur culture. Ces tâches sont toujours là et elles sont l’essence de l’existence et de la mission historique de la Serbie.
Nous, les Serbes, nous ne pouvons pas imaginer une vie sans liberté et sans notre État. La liberté, la foi chrétienne et l’indépendance sont les fondements de notre identité, avant comme aujourd’hui. Les événements actuels au Monténégro sont un vrai exemple de confirmation de ces fondements de l’identité. Pendant notre histoire, nous avons enduré beaucoup de souffrances en nous fiant à ces valeurs. Il en sera ainsi à l’avenir. Car, sans elles, nous ne serions pas serbes, c’est-à-dire un vieux peuple européen.