« Les frères Bogdanoff étaient des scientifiques de renommée internationale », affirmait Gilles Verdez les yeux embués de larmes en évoquant ses amis tragiquement disparus. Une tristesse que nous ne pouvons que partager. Toutefois, et quelle que puisse être l’affection que les plus nostalgiques d’entre nous portaient aux jumeaux new-wave les plus célèbres du PAF, penser que ces deux-là furent mondialement reconnus pour leurs travaux démontre une nouvelle fois l’inculture scientifique crasse des médias français.
De fait, selon un rapport du CNRS, la thèse de mathématiques de Grichka et celle de physique d’Igor étaient dépourvues de « valeur scientifique ». Les deux frères ont longtemps fait valoir qu’ils étaient les victimes d’un complot ourdi par un milieu universitaire français rétif à leur génie, une Stasi scolaire recroquevillée sur ses principes anachroniques. Qu’importe qu’ils aient été reconnus coupables d’un plagiat de l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, ou qu’ils aient laissé mensongèrement croire qu’ils ont été consultés dans le programme de recherche du satellite Planck, les Bodganoff étaient constamment invités à la télévision. Forts sympathiques au demeurant, ces vulgarisateurs de talent étaient aussi des mystificateurs. Ils n’étaient pourtant jamais vraiment contestés et il était de bon ton de les écouter religieusement.
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Cette inculture scientifique si française est malheureusement entretenue par une passion irrémédiable pour les débats, le plus souvent politiques et « sociologiques ». Cette tendance s’est confirmée avec la crise du coronavirus, lors de laquelle, d’émissions en émissions, les Français n’ont pas été réellement informés … mais distraits. Ajoutons aussi que la France, fière de son aura de fille des arts et des lettres, n’honore que peu ses plus grands scientifiques, souvent connus pour avoir donné leurs noms à des établissements scolaires sans qu’on sache bien quels étaient leurs domaines de compétences. Ainsi d’Henri Poincaré, de Marcelin Berthelot, d’Antoine Lavoisier ou d’Henri Tresca.
Nous sommes pourtant riches d’une histoire scientifique remarquable, tant dans le domaine théorique que pratique. Des années 1850 jusqu’aux années 1970, la France a déposé un nombre impressionnant de brevets en tous genres qui ont servi de base au progrès technologique dont nous bénéficions aujourd’hui : cinéma, motos, moteurs à explosion, trains à grande vitesse, photographie, médecine, etc. Si nous innovons bien moins qu’autrefois, la course aux vaccins contre le coronavirus l’ayant prouvé à ceux qui s’attachaient encore à l’image d’Épinal d’une France jouant à armes égales avec les États-Unis ou la Chine, nous ne pouvons pas non plus nous appuyer sur un journalisme scientifique de qualité tel qu’on peut le trouver dans le monde anglo-saxon.
C’est en partie l’une des raisons des tensions qui sont nées de la crise du coronavirus : les Français semblent allergiques à la méthode et au raisonnement propres à la science. Comment les en blâmer quand, avant même d’expliquer ce que sont les virus à couronne ou la manière dont fonctionnent les vaccins, on les a fait débattre de stratégie de lutte contre une pandémie maintenant endémique dont nous ne savions strictement rien il y a deux ans à peine … et qui est encore très loin d’avoir révélé tous ses secrets. Plutôt que de nous ressortir le gramophone Ruquier et ses chroniqueurs, le service public devrait organiser une grande émission consacrée au covid, en ne se contentant pas d’inviter des politiques, des journalistes et des médecins généralistes – qui ne maîtrisent guère mieux la technologie des vaccins que monsieur tout le monde.
Une émission de vulgarisation de bon niveau serait nécessaire. Elle permettrait de balayer l’historique des SRAS, la question des vaccins comme celle des variants
Il devient criminel de ne trouver que des spectacles de têtes à clash en la matière, compte tenu des tensions extrêmes qui commencent à traverser la population française – qui, pour rappel, ont scientifiquement été entretenues par Emmanuel Macron en personne. Une émission de vulgarisation de bon niveau serait nécessaire. Elle permettrait de balayer l’historique des SRAS, la question des vaccins comme celle des variants. Avec un peu de chance, les invités ne s’insulteraient pas et ne crieraient pas ; on peut toujours rêver.
Qu’enfin, nous puissions avoir des explications factuelles et précises aux heures de grande écoute, en repartant du début : que sont les virus à couronne ? Que sait-on d’eux ? Les vaccins vont-ils être améliorés ? Pourquoi ne trouve-t-on pas de traitement qui fasse consensus ? Nous pourrions d’ailleurs débattre en connaissance de cause des différentes prophylaxies et tactiques d’endiguement du virus, de leurs forces respectives et de leurs faiblesses. Nous nous apercevrions d’ailleurs probablement du fait que tous les gens sérieux admettent les mêmes faits mais n’ont pas les mêmes approches pour remédier au problème, à l’image des différences entre les États.
Et, si possible, il faudrait que cette émission ne soit pas organisée par Cyril Hanouna qui, par le choix des invités de ses émissions, nous donne parfois à penser que la liberté d’expression est l’absence d’intermédiation. En politique, c’est parfois vrai. Dans les domaines techniques, ce n’est pas le cas.