Pourquoi Emmanuel Macron a-t-il dissous l’Assemblée nationale ?
J’ai toujours pensé que les germes de cette dissolution étaient inscrits dans les résultats des élections législatives de 2022. Le président disposait de la majorité la plus relative dont a pu disposer un gouvernement sous la Vème République. Sur la durée, vu la faiblesse de cette majorité, la dissolution était inéluctable.
On peut toutefois se demander si Emmanuel Macron pouvait retarder cette dissolution, en trouvant une autre fenêtre de tir. Il aurait par exemple pu la retarder s’il n’avait pas changé de Premier ministre en janvier dernier : il pouvait maintenir en poste madame Borne jusqu’à juin, puis en fonction des résultats des élections européennes, nommer un nouveau Premier ministre, ce qui lui permettait de rebondir sur l’échec et de gagner du temps. Or, en janvier, il a choisi un jeune Premier ministre, Gabriel Attal, utilisé comme arme pour contenir la poussée du RN porté par sa jeune tête de liste, Jordan Bardella. C’est une erreur tactique dont il paye aujourd’hui les conséquences.
Lire aussi : Européennes : dimanche, folle soirée pour le RN
Dès lors, avec un parti présidentiel largement distancé par le RN et à quasi-égalité avec le PS, le président prend acte d’un rapport de force qui allait avoir des conséquences à l’Assemblée lors des prochaines discussions, notamment budgétaires. Macron fait ce choix extrêmement risqué dans le contexte actuel, notamment dû à l’agenda général de la France avec les Jeux olympiques, et crée des tensions supplémentaires sur la configuration électorale qui se profile.
Cette dissolution est-elle un cadeau empoisonné de la part d’Emmanuel Macron ?
Il y a plusieurs hypothèses. La première était d’essayer de rassembler les candidats des anciens partis de gouvernement, droite et gauche, pour former un « front républicain », afin de contenir la montée du Rassemblement national. Du côté de la gauche, cette hypothèse est désormais exclue car le PS a signé un accord de « Front populaire » avec La France insoumise, ce qui rend impossible un accord de la majorité présidentielle. Du côté de la droite, les convulsions qui sont en train de traverser Les Républicains montrent qu’il ne peut pas y avoir d’accord avec le président de la République. Ceux qui sont en accord avec le RN comme Éric Ciotti ont fait le choix d’une clarification politique. Ceux qui s’opposent à cette alliance ne peuvent pas non plus rentrer dans un accord législatif, puisqu’ils revendiquent l’autonomie et l’indépendance des Républicains. Cette hypothèse est donc tombée. L’autre hypothèse est celle de crever l’abcès, en confrontant le RN devenu majoritaire à l’exercice du pouvoir. Emmanuel Macron veut montrer aux Français que si le parti de Marine Le Pen, devenu majoritaire, n’est pas et ne peut pas être une force de gouvernement.
Cette hypothèse est désormais exclue car le PS a signé un accord de « Front populaire » avec La France insoumise, ce qui rend impossible un accord de la majorité présidentielle.
Arnaud Benedetti
Est-ce un cadeau empoisonné ? Il est clair qu’une situation de cohabitation est une situation compliquée car vous êtes un Premier ministre qui dispose de pouvoirs plus importants qu’un Premier ministre qui appartient à la même majorité que le président. Mais on sait bien que dans une situation de cohabitation, un président dispose de certaines marges de manœuvre conférées par la Constitution qui peuvent venir entraver l’action du Premier ministre (sur les nominations, sur les ordonnances, etc.). Autre sujet : le Rassemblement national fait du référendum sur l’immigration la matrice de sa politique migratoire, or dans une situation de cohabitation, il ne peut y avoir de référendum car ce dernier est d’initiative présidentielle. Aussi, il est évident que dans une période de cohabitation, la maîtrise de la Haute administration est plus compliquée que quand vous disposez de tous les pouvoirs. Dernier élément : le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et les institutions européennes constitueront autant d’obstacles à un gouvernement qui souhaiterait mener des politiques plus souverainistes. En clair, ce sera un exercice très compliqué, surtout s’il ne dispose pas d’une majorité absolue. L’exercice du pouvoir sera très contraint.
Quel regard portez-vous sur la recomposition du paysage politique, avec trois blocs qui s’affirment ?
On assiste à une recomposition et à une décomposition. On voit la décomposition des Républicains avec ce scénario assez improbable de ce lundi : l’alliance entre le RN et Éric Ciotti. À gauche, nous assistons aussi à des tensions car même si les partis ont signé un accord, certains cadres émettent des réserves vis-à-vis de ces accords, tels que Raphaël Glucksmann ou Bernard Cazeneuve. L’accord électoral de gauche est guidé par les réalités électorales : le Parti socialiste a besoin de La France insoumise car il y a une dynamique électorale plus forte en faveur de cette dernière. LFI s’appuie sur une sociologie plus efficace.
Au milieu, la majorité présidentielle est prise en étau. Elle est entourée entre le bloc de gauche et le bloc national porté par le RN. Il sera difficile pour la majorité de maintenir son nombre de parlementaires, ce qui va provoquer des tensions en interne. Le choix de la dissolution de l’Assemblée nationale a créé un traumatisme et une forme de sidération à l’intérieur de la majorité. On voit déjà messieurs Philippe ou Bayrou faire entendre leur petite musique.
Lire aussi : L’union des droites sur le dos de Reconquête
Côté RN, le parti à la flamme est très fort. Il bénéficie d’une dynamique sociologique évidente, et peut profiter de l’élan des élections européennes pour l’emporter lors des prochaines législatives. Le RN est la formation la plus en ordre de marche. Ils étaient préparés à l’éventualité de la dissolution et disposent de candidats prêts, même s’ils essayent d’élargir leur base. L’accord avec R! est certes caduc mais cela n’est pas très grave car le RN va bénéficier, comme pendant les dernières présidentielles et législatives, du report de voix des électeurs du parti d’Éric Zemmour. Quant à l’accord avec Ciotti, tout dépend de qui le suivra : quelles parlementaires, quelles fédérations ? Nous sommes peut-être dans une période de recomposition, mais la clarification n’est pas absolue à ce stade.
Le cordon sanitaire est-il définitivement rompu ?
Nous n’avons jamais été aussi proches d’une union des droites. Le cordon sanitaire sautera de lui-même si le RN obtient une majorité absolue ou relative à la chambre des députés. Le cordon sanitaire est déjà très entamé et n’a jamais été aussi faible qu’aujourd’hui.