L’arrogance de cette petite hyène placide qu’est Laélia Véron a franchi un nouveau seuil le mois dernier. On avait eu vent de son existence en raison de ses laïus à la table de Charline Vanhoenacker sur France Inter, ces dernières années, où, au milieu d’un sabbat radiophonique empli de ricanements et de sentences, elle tentait d’humilier les académiciens, les déclinistes et les salauds qui refusent d’adouber aveuglément toute évolution nouvelle, défendant un progressisme obtus, linéaire et implacable. Avec ce sourire répugnant de matonne condescendante, la Véron jouait à l’experte soviétique, celle qui, plutôt que d’appeler à vous fusiller comme aux premiers temps de la Révolution, a pitié de votre ignorance des lois inéluctables du matérialisme historique, combien même l’éclatante déchéance du pays ne cesse de les contredire, et vous fait juste une petite leçon de marxisme afin de vous humilier, première étape à votre rééducation, une petite leçon qu’elle vous délivre avec une jubilation, une gourmandise, presque, qui trahit la part libidinale que cet exercice d’humiliation comporte pour elle.
La grammaire du désir sera toujours teintée de violence, binaire mais follement ambiguë, à moins de jouer à touche-pipi entre camarades castrés
La linguistique qu’elle pratique n’est qu’une discipline jumelle de la sociologie, une sociologie du langage courant, laquelle ne sert in fine qu’à illustrer des rapports de domination tels que théorisés par le marxisme et à résumer tous les aspects de l’existence à de simples trompe-l’œil d’une lutte éternelle entre dominés et dominants, unique réalité perceptible par les sectateurs de cette gnose réductrice. Défense des décrétés « dominés » et illustration de leur soumission par la langue française et son fonctionnement ou ses défenseurs : voilà, en somme à quoi s’amuse cette fonctionnaire verbeuse, suffisante, narquoise et « atterrée » par les inquiétudes des intellectuels ou écrivains quant à la décadence du langage – elle a dirigé un « Tract » Gallimard sur ce thème. « Si ça change, c’est que ça bouge, si ça bouge, c’est que c’est vivant et la vie, c’est cool ! », résume tout son avis sur la question, oui, mais quand ce qui bouge c’est le mât fracassé et que ce qui vit c’est l’étrave quand elle s’ouvre, il est probable que votre cadavre agité par les courants sera bientôt la seule mascarade d’existence dont vous pourrez disposer.
Or, Laélia, quoique douée d’une si vulgaire et ahurissante bêtise, est parvenue à se dépasser encore. Maintenant, elle donne des leçons d’écriture à Pierre Michon, quoique celui-ci soit l’un de nos meilleurs écrivains vivants. La « stylisticienne » reproche à l’authentique styliste « la répétition gênante de TOUJOURS les mêmes clichés d’une certaine littérature qui parle de sexe » à propos de son dernier livre, Les Deux Beune, sorti au printemps dernier. « C’est toujours les mêmes images clichées », répétait-elle sur son compte X avant qu’un commentateur lui fasse remarquer qu’il était étrange d’employer « cliché » comme un adjectif et de l’accorder ainsi, mais elle se justifiait assez platement, sans voir qu’à la limite « clichesque » eût été une adjectivation plus juste. « Le type qui baise froidement son officielle en rêvant sur une autre », détaillait-elle quant à la nature du cliché en question, semblant ignorer également qu’on rêve « à une autre » et non pas « sur », et en semblant ignorer aussi tout simplement que le sexe relève de l’archaïque, d’une animalité qui même sublimée demeure animale et donc basique, archétypale, fatalement clichesque, en somme, et qu’à moins de reprogrammer le cerveau reptilien – autre fantasme marxiste –, la grammaire du désir sera toujours teintée de violence, binaire mais follement ambiguë, à moins de jouer à touche-pipi entre camarades castrés.
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Que l’experte mandatée par le progressisme en vienne désormais à vouloir carrément corriger Proust coupable de non-alignement sur la morale du Parti, voilà une audace qui fait froid dans le dos. Le moment où le fonctionnaire idéologique s’en prend au poète signe un basculement d’une nature quasi métaphysique. On s’enfonce dans un nouveau régime d’existence collective, glacial, procédurier, carcéral. Mais alors même que Laélia Véron nous y poussait, les restes de Joachim du Bellay resurgissaient comme pour lui faire face, authentifiés à la suite des fouilles de Notre-Dame, et cette coïncidence me paraît hautement significative. Le poète des Regrets, membre de La Pléiade, a été l’auteur d’une Défense et illustration de la langue française, et son ombre se rappelait à nous à point nommé pour opposer à la bassesse idéologique en cours la hauteur de son ordre. Faire du français une langue digne du latin impliquait, selon le poète, d’en illustrer la puissance par des vers immortels. Il ne s’agissait pas, pour lui, de défendre et d’illustrer le néo-marxisme par l’analyse du français tel que rapiécé par les foules hébétées du XXIe siècle, non, mais de défendre et d’illustrer le français par les sommets où l’on prétendait le hisser. Une logique qui n’impliquait pas le ressentiment, la suspicion mesquine et l’affaissement au nom du nombre pour l’appauvrissement du nombre ; mais l’amour, le génie, et le génie offert à tous.
Il n’y a que deux camps : celui de Laélia Véron et celui de Joachim du Bellay. Le milieu culturel marxisant étant en passe de choisir le premier, il est aujourd’hui l’un des plus grands ennemis de l’authentique culture. Nous assumerons donc, encore, notre position radicalement antagoniste, seule manière de continuer à défendre et d’illustrer la langue et la culture françaises, un feu auquel le monde, nous le croyons, a encore besoin de se brûler.
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