La ministre démissionnaire de l’Education nationale, Anne Genetet, a annoncé qu’un programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle serait applicable dans toutes les écoles publiques ou privées sous contrat à partir de septembre prochain. Il ne faut pas croire que la chute du gouvernement Barnier mettra mécaniquement un terme à ce projet. Rappelons que le programme EVARS (éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle) est une initiative du ministre Pap Ndiaye qui a été maintenue sous Amélie Oudéa Castera, Gabriel Attal et Anne Genetet. Elle poursuivra sa course de la même manière sous l’impulsion des prochains locataires de la rue de Grenelle. L’objectif des ministres successifs est de faire appliquer effectivement la loi Aubry de 2001, qui instaurait le principe d’une éducation sexuelle obligatoire de la maternelle au bac à raison de 3 heures par an mais qui n’était que très peu mise en en œuvre dans les faits puisque 15 à 20% seulement des jeunes auraient bénéficié jusqu’à présent d’une telle formation lors de leur scolarité. En effet, aucun volume horaire dédié ni aucun programme d’enseignement n’ont été imposés en 2001, ce qui a permis aux chefs d’établissement ou aux enseignants peu enthousiastes à l’idée de dispenser ce type d’enseignement de s’en dispenser.
Nous ne reviendrons pas ici sur la question de la légitimité de confier ou pas à l’institution scolaire l’éducation sexuelle des enfants, mais nous arrêterons sur deux aspects : la théorie du genre est-elle diffusée dans ce projet de programme ? L’Enseignement catholique sera-t-il légalement tenu de dispenser le programme EVARS tel quel ?
Les ministres de l’éducation successifs nient l’existence d’une « théorie du genre ». On se souvient que Najat Vallaud Belkacem a nié en 2013 à propos des ABCD de l’égalité l’existence même d’une théorie du genre et qu’Anne Genetet vient tout juste de reprendre à son compte la célèbre formule selon laquelle « La théorie du genre n’existe pas ».
Cette idéologie s’est largement diffusée et les concepts de « genre », d’ « identités de genre » sont présents partout. Ils irriguent non seulement toutes les études de sciences sociales, mais aussi toute l’action et l’information de l’administration.
Qu’en est-il ? De théorie du genre en tant que telle, il n’y a pas. Mais il y a des « études de genre » (gender studies) qui sont omniprésentes à l’université, d’abord en sociologie avant de gagner tous les champs disciplinaires. Elles indiquent de manière relativement consensuelle qu’il est intellectuellement pertinent de distinguer sexe et genre c’est-à-dire qu’il convient de « distinguer les phénomènes biologiques des rôles socioculturels qu’une société propose à ses membres en fonction de leur sexe » (Ivan Jablonka). A partir de ces études de spécialistes, une idéologie vulgarisée s’est peu à peu diffusée selon laquelle le sexe biologique ne définit plus à lui seul l’identité sexuelle des êtres humains. Cette idéologie s’est largement diffusée et les concepts de « genre », d’ « identités de genre » sont présents partout. Ils irriguent non seulement toutes les études de sciences sociales, mais aussi toute l’action et l’information de l’administration. Il n’y a qu’à consulter le site de Santé publique France www.onsexprime.fr par exemple ou de se souvenir de la circulaire du 29 septembre 2021 adressé à tout le personnel de l’Education nationale « Pour une meilleure prise en compte des questions relatives à l’identité de genre en milieu scolaire ».
Enfin, chaque 17 mai 2023 a lieu la Journée mondiale de lutte contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie, avec des affichages et interventions en milieu scolaire. Quant au projet de programme EVARS, sa version de début décembre contient pas moins de 17 fois le terme d’ « identité de genre ». Ce texte reprend donc à son compte intégralement l’idée que le sexe biologique ne suffit pas à définir l’identité sexuelle des enfants et que leur ressenti ou leur volonté d’être homme ou femme ou les deux ou ni l’un ni l’autre a droit de cité. Ce questionnement sur son identité de genre est présenté comme légitime pour un adolescent, sans qu’il soit rappelé que les dysphories de genre sont des cas extraordinairement rares. Il est implicitement valorisé comme une manière de pousser jusqu’au bout la recherche de soi.
Il ne faut donc pas se tromper de batailles. Ce qui est en jeu à l’occasion du programme EVARS est la manière d’introduire au monde les enfants, ceux dont les repères ne sont pas encore fixés, ceux qui se construisent, qui sont au moment de l’adolescence dans une forme d’inévitable malaise existentiel et d’inquiètes interrogations sur leur identité et leur devenir. Les progressistes procèdent à leur habituelle réduction ad hitlerum à l’égard de ceux qui s’interrogent sur l’opportunité de proposer ces concepts d’identité de genre précocement aux jeunes dans le cadre scolaire, comme outil pour penser leur rapport au corps, à eux-mêmes ainsi qu’à la société. Proposer à des adolescents de se questionner sur l’identité de genre, et valoriser ce questionnement comme un effort d’ajustement à la vérité profonde de leur être au-delà de leur corps, à une période de leur vie où ils se cherchent, sont mal à l’aise dans leur corps et leur être, ne va pas sans poser de questions. Et nous avons droit de le dire en appelant à une extrême prudence.
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Rappelons qu’EVARS propose bien plus qu’une formation invitant au respect de la différence, de la vie privée et du corps, expliquant la nécessité du consentement, rappelant la dignité de tout homme et l’égalité entre les sexes, et luttant contre les discriminations, la pornographie, l’inceste et les violences sexuelles. En tant que parents et pédagogues, nous ne pouvons pas jouer aux apprentis sorciers de la déconstruction en confiant à l’institution la mission de faire s’interroger les enfants sur leur identité de genre. Et tant pis si les progressistes patentés assimilent cette prudence à une ringardise obscurantiste de personnes effrayés par la liberté des corps et des êtres, arcboutées à une vision de la famille des année 1950, comme le décrit l’historien Ivan Jablonka dans une tribune qu’il a donnée au journal Le Monde le 9 décembre dernier.
Comment se positionne l’Enseignement catholique face à cet enjeu ? Un communiqué conjoint daté du 29 novembre de la présidente de l’APEL et du SGEC invite, tout en reconnaissant la nécessité d’une telle éducation dans le cadre scolaire, à amender les programmes pour reconnaître plus de places aux parents et donner plus de souplesse que ne l’offrent des programmes annualisés. Il indique aussi que « certaines approches ne sont pas en adéquation avec les questionnements légitimes des enfants. Ce sont des approches d’adulte. » Il demande en conséquence de remanier profondément le texte du programme EVARS. Sur le plateau de CNews du 30 novembre où je débattais avec lui, il a précisé qu’il aurait préféré qu’il n’y ait pas de programme d’éducation sexuelle mais que ce n’était pas en son pouvoir de l’éviter et qu’à partir du moment où un tel programme serait adopté, les établissements privés seraient bien obligés de le dispenser s’ils voulaient garder leur contrat.
Ce n’est pas un problème mais une chance pour les amoureux de la liberté, mais en trouve-t-on encore à la tête de l’Enseignement catholique ? Le Secrétaire général réduit le caractère propre à la catholicité donc à la pastorale.
Une autre approche est possible, qui serait plus fidèle à la loi Debré de 1959 qui régit le cadre de l’enseignement privé sous contrat. La loi Debré donne aux établissements sous contrat le droit d’enseigner les programmes officiels, dans le respect du caractère propre (et de la liberté de conscience). C’est-à-dire que la vision spécifique que porte chaque établissement, et en particulier sa catholicité, a le droit de se manifester pas uniquement dans la catéchèse ou les célébrations religieuses ou les classes portant sur des matières ne relevant pas des programmes officiels mais aussi dans le cœur même de l’enseignement des programmes obligatoires. L’équilibre est subtil car il faut délivrer un enseignement conforme à la science, fondé sur les savoirs non sur des croyances, et qu’en outre, la liberté de conscience des élèves doit être respectée. Mais cette liberté existe bel et bien. Nous en avons la preuve historique. Des hommes se sont battus furieusement pour nous l’obtenir et elle a été arrachée au terme d’un bras de fer qui a conduit à la démission du ministre de l’éducation de l’époque, André Boulloche, la veille même de l’adoption de la loi. Le premier ministre Michel Debré a dû monter au créneau, avec le soutien du général de Gaulle, pour faire adopter la loi sous son propre nom ! Le caractère propre n’a pas de définition juridique précise. Ce n’est pas un problème mais une chance pour les amoureux de la liberté, mais en trouve-t-on encore à la tête de l’Enseignement catholique ? Le Secrétaire général réduit le caractère propre à la catholicité donc à la pastorale.
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Cette réduction est une régression lourde de conséquences pour le périmètre de la liberté d’enseignement. Elle conduit les écoles privées sous contrat à devenir peu ou prou des établissements publics laïques à aumônerie et cours d’instruction religieuse facultatifs. Et à faire des écoles privées indépendantes (hors contrat) le dernier refuge d’une authentique liberté d’enseignement. Le Secrétaire général et l’APEL devraient plutôt rappeler que l’Enseignement catholique, en raison de son caractère propre, et en vertu de la liberté d’enseignement qui est une liberté constitutionnelle, dispensera, en lien étroit avec les familles, des cours sur l’éducation sexuelles conformes aux attendus du programme, selon des modalités conformes à leur caractère propre. En consentant à appliquer à la lettre des programmes de l’Education nationale pour garder le contrat, l’Enseignement catholique sape ses propres libertés dans un domaine qui relève à l’évidence du primat éducatif des parents, non de l’Etat. Il y a pourtant moyen de faire valoir en la matière son droit à la différence, en s’appuyant au besoin devant le juge sur l’article L 111-2 du Code de l’éducation qui dispose que « l’Etat garantit le respect de la personnalité de l’enfant et de l’action éducative des familles. »