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L’insupportable bêlement qui accompagne maintenant non seulement les vœux, mais aussi les salutations quotidiennes, a de quoi surprendre et lasser.
« Bèèèèlle année »… « bèèèèlle journée »… entend-t-on ou lit-on en permanence depuis quelque temps, et ce que l’on prenait au début pour une erreur se propage comme une traînée de poudre, au point que l’on se demande si l’on va bientôt dire « beljour » ou « beaujour » à la place de « bonjour ». Effet de mode ? Sans doute, et un tel comportement moutonnier est en effet somme toute logique pour un bêlement, mais pas seulement, et il serait intéressant de se demander ce que nos contemporains mettent derrière ce choix.
Un choix qui, d’abord, est contraire à l’usage du français. « Beau », selon le Littré, se dit de ce « qui plaît par la forme, en parlant des êtres animés » et de ce qui est « remarquable par les proportions, en parlant des choses ». Et « bon », en dehors de ce « qui réunit les qualités de son espèce » s’emploie au sens de « heureux, favorable ».
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Souvenons-nous ici des vers immortels du poète, qui ont bercé notre enfance :
« Le soleil vient de se lever,
Encore une belle journée,
Il va bientôt arriver,
L’ami Ricoré ».
Tout est dit. Une belle journée est donc une journée où le soleil brille. Et l’on notera tout de suite qu’une « belle » journée n’est pas forcément une « bonne » journée : manque de neige dans les stations, manque de pluie pour les récoltes, la belle journée n’est finalement bonne que pour le vacancier ou, plus globalement, pour tous ceux qui peuvent s’affranchir de tout lien d’avec la météo.
[ TRIBUNE ? ] Pour une contre-vélorution
Désastreuses écologiquement, inhumaines… Et si on vérifiait si ces destriers "free-floating" flottent vraiment ? ??????https://t.co/C4gZhqdVdx
— L'Incorrect (@MagLincorrect) January 18, 2019
Une vraie bonne journée est au contraire une journée qui m’est profitable, à moi. Car c’est bien cela que l’on me souhaite : que dans tous les domaines, matériel ou moral, physique ou spirituel, ce laps de temps m’apporte quelque chose.
De la même manière, une année n’a pas à être « belle », mais « bonne », et plus encore ici car être belle, pour une année, ne veut absolument rien dire en français. Passe encore pour une belle saison, un bel été à la rigueur, mais nous retrouvons les conditions météo, et avons-nous vraiment besoin des vœux de Monsieur météo ?
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« Bonne année, année favorable, écrit le Littré. Souhaiter la bonne année, faire, au 1er janvier, un compliment par lequel on souhaite que l’année qui commence soit heureuse. Bonne année – ajoute-t-il – année où les récoltes, les biens de la terre sont abondants ».
Plutôt les bonnes personnes
Mais au-delà de l’erreur de français, comment ne pas voir derrière cet embellissement programmé de notre vie ce subtil parfum New Age qui traîne dans notre société de bobos ? On peut par exemple faire un lien facile entre ces « bèèèlles » années et journées et les « bèèèèles » personnes que nous sommes maintenant conviés à admirer.
Autrefois en effet, époque des ténèbres s’il en fût, nous admirions les « bonnes » personnes et pas les « belles » personnes. Ou du moins nous n’admirions dans ces dernières que leur manière d’incarner les canons de la beauté, qu’il s’agisse d’une belle femme ou d’un bel homme – c’était autrefois, nous l’avons dit, et nous n’avions alors que deux sexes et point de genres, mais rien n’empêchait de pouvoir trouver beau un représentant de son propre sexe.
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La seule exception où le terme « belle » était usité à propos d’un homme – ici au sens générique – était spirituelle, puisque nous pouvions aussi admirer en lui une « belle âme ».
Mais ce que nous nous félicitions alors de connaître, plus encore que les « belles » personnes, c’étaient les « bonnes » personnes. Il y avait en effet en ces temps-là des bonnes mères ou de bons pères, bref de bons parents, comme aussi de bons frères et de bonnes sœurs – pas en cornettes celles–là – et leur présence à nos côtés nous faisait du bien.
Dans un monde d’où la bonté, moquée comme paternaliste ou écartée comme trop charitablement connotée, est exclue, point n’est besoin de faire ces petits gestes quotidiens, il suffit de faire le Beau – et ce souvent dans tous les sens du terme.
On me dira qu’il y avait aussi des belles-mères et des beaux-pères, des beaux-parents, des beaux-frères et des belles-sœurs, mais le sens de ces termes était alors très précis, leur nombre limité – les familles étant, il faut bien le dire, moins « recomposables » que de nos jours – et l’on s’accordait généralement pour déplorer leur existence et les tenir à l’écart.
On avait encore de bons amis, de bons professeurs – et quand on avait de beaux professeurs, on ne les épousait pas – et certains évoquaient même à la veillée l’existence des mythiques bons voisins, alors que, s’ils étaient dans les liens sacrés du mariage, ils se félicitaient rarement de vivre à côté des tentations de beaux voisins.
[ #CULTURE ?? ] @WillFranken
"Notre culture occidentale tremble devant la propagande trans, les lubies victimaires et les dogmes de l’islam. Cela suscite des performances médiocres. La peur est un puissant agent du conformisme." #lincorrect ??https://t.co/wX3dWUUSHy
— L'Incorrect (@MagLincorrect) January 4, 2019
Le cœur en bandoulière
Or quand la belle âme impressionne par une quête de la spiritualité qui ne peut être celle de tout un chacun, et n’améliore d’ailleurs pas nécessairement – ou pas directement au moins – le sort de ses contemporains, une bonne personne est avant tout une personne pleine de bonté, et donc une personne qui fait quotidiennement le bien autour d’elle. Un peu. Sans efforts et sans battage. De petits mots en petits gestes.
Mais dans un monde d’où la bonté, moquée comme paternaliste ou écartée comme trop charitablement connotée, est exclue, point n’est besoin de faire ces petits gestes quotidiens, il suffit de faire le Beau – et ce souvent dans tous les sens du terme. Une « belle personne » irradie ainsi le Bien, le Vrai et le Juste. Elle ne les réalise pas nécessairement, mais peu importe, sa seule présence parmi nous suffit à réchauffer nos âmes.
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Dégoulinante de bons mais aussi et surtout de beaux sentiments, sorte de loukoum écoeurant de mièvrerie, elle traverse la vie un sourire extatique sur les lèvres en portant son cœur en bandoulière.
C’est à cela en fait qu’on nous appelle en nous souhaitant une « belle journée » ou une « belle année ». À cette conversion vers le cul-cul érigé en dogme absolu de la Foi nouvelle. Car une journée ne doit pas seulement être bonne, elle doit aussi être belle, sans quoi elle ne serait rien. Bonne, oh mon Dieu, que cela est tristement matérialiste. Belle, elle doit nous transfigurer, nous faire parvenir à la connaissance de l’indicible.
Non pas parce que nous aurons fait quelque chose pour cela d’ailleurs, à cause de notre travail sur le monde ou nous-mêmes, non, juste parce que la conjonction des planètes ou le souffle de l’esprit au dessus des eaux – dont on peut par ailleurs apprécier le si merveilleux chant – nous amènera à ouvrir notre cœur. Ce n’est plus un vœu ou un souhait que l’on nous adresse au début de la journée ou de l’année, c’est une bénédiction que l’on déverse sur nous comme l’eau lustrale.
Belle journée ? Une belle connerie, oui.
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