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Nous pensions avoir touché le fond avec Claude Askolovitch. Nous sommes-nous trompés ? En tout cas, nous attendions a priori mieux de Jean-François Kahn, journaliste et essayiste de talent, esprit indépendant, créateur en 1984 de L’Événement du jeudi puis, en 1997, de l’hebdomadaire d’information Marianne — il en est le directeur jusqu’en 2007. Nous pouvions espérer que s’il s’exprimait sur l’ « affaire Maurras », ce ne serait pas pour se complaire dans la facilité ou le conformisme. Assurément, nous étions dans l’erreur et nous le regrettons.
Libération du 28 mars dernier a publié quelques « bonnes feuilles » — c’est l’expression consacrée — d’un livre à paraître de JFK, M la maudite. La lettre qui permet de tout dire. Nous ne nous permettrons pas de juger le titre, à partir du moment où nous sommes assurés que M n’est pas, ici, l’initiale de Maurras. Car, justement, l’extrait publié par Libération, quotidien spécialisé, notamment depuis février, dans la résistance héroïque à la republication des « mots bruns » — on a le courage qu’on peut —, porte sur Maurras. Et c’est là que JFK nous déçoit.
Il nous déçoit parce que, comme Claude Askolovitch, il est vrai la vulgarité en moins, ses propos ne sont qu’un condensé de citations recuites et de jugements de valeur dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils manquent d’originalité, comme sur la surdité de Maurras. On pense à ce mot de Gérard de Nerval « Le premier qui compara la femme à une rose était un poète, le second un imbécile. » Le trait d’esprit sur Maurras sourd au propre comme au figuré, indépendamment de son injustice, peut prêter à sourire la première fois qu’on le lit (sous la plume de Claudel, je crois), ensuite, cela devient lassant. Malheureusement, c’est avec ce trait d’originalité que commence la « bonne feuille » de JFK. Après tant d’autres.
Ses propos ne sont qu’un condensé de citations recuites et de jugements de valeur dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils manquent d’originalité, comme sur la surdité de Maurras.
Peu importe, du reste : cette « bonne feuille » n’a d’intérêt qu’en ce qu’elle donne une leçon magistrale d’amalgame, « l’idéologie maurrassienne » (sic) étant définie comme « cet agnosticisme ultraclérical mis au service d’un absolutisme réactionnaire radicalement xénophobe, donc raciste, au dogmatisme en béton armé. » Ultraclérical, Maurras ? Je ne sache pas que le nationalisme intégral ait jamais visé à donner le pouvoir aux curés !
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N’étant pas davantage que Philippe Muray un adepte de la cage aux phobes, je ne me prononcerai pas sur la xénophobie d’un homme qui était capable de citer dans le texte non seulement des auteurs latins et grecs qui, par définition, ne sont pas étrangers, mais également Dante, Shakespeare ou Poe. Mais faire du prétendu xénophobe Maurras, en raison de cela même, un raciste ne manque pas de piquant, quand on sait qu’il méprisa et combattit toute sa vie explicitement le racisme, constitué de « basses sottises », comme il aimait à le définir et qu’il désigna toujours comme son « vieil ennemi intellectuel ». Les textes sont si nombreux qu’il serait bien étonnant que JFK ne soit pas tombé sur l’un d’entre eux en faisant ses recherches pour écrire ces pages définitives sur Maurras, dont l’opposition au germanisme s’explique par cet antiracisme foncier, tout autant que son approbation de l’Encyclique de Pie XI Mit brennender Sorge contre le nazisme : « On sait maintenant ce qui est interdit, c’est l’hitlérisme, c’est le germanisme d’Hitler, c’est la métaphysique religieuse du sol et du sang », écrit-il dans L’AF du 25 mars 1937.
Faire du prétendu xénophobe Maurras, en raison de cela même, un raciste ne manque pas de piquant, quand on sait qu’il méprisa et combattit toute sa vie explicitement le racisme.
Penser par amalgame est plus commode, car cela permet de ne pas avoir à justifier ses assertions. Ou de ne pas avoir à rendre compte de ses préjugés. Cela permet surtout de ne pas s’interroger sur ce qu’on présente comme des paradoxes — JFK rejoignant en cela Askolovitch ou les intellectuels du nouvel ordre moral regroupés autour de Libération. Ainsi s’étonner de l’influence de Maurras sur son siècle. Pour Askolovitch, « Maurras était un idiot complotiste qui, pour des raisons propres à son époque (sic), a pu être lu » (resic) (Le Point). Toute l’intelligence de son époque, excusez du peu !
« On sait maintenant ce qui est interdit, c’est l’hitlérisme, c’est le germanisme d’Hitler, c’est la métaphysique religieuse du sol et du sang », Charles Maurras dans l’AF du 25 mars 1937.
Mais JFK réussit à aller encore plus loin dans la non-explication : « on a du mal à concevoir que cette sous-idéologie paranoïaque » — le maurrassisme est descendu d’un cran, devenu, d’ « idéologie » qu’il était encore quelques lignes plus haut, une « sous-idéologie » —, on a donc « du mal à concevoir que cette sous-idéologie paranoïaque eut, en particulier dans l’entre-deux-guerres, une influence aussi considérable qu’elle imprégna profondément la pensée de droite (Maurras était généralement vénéré par les médias conservateurs), qu’elle fut majoritaire à l’Académie française et qu’on ne compte pas les intellectuels de l’époque, des plus médiocres aux plus prestigieux, qui, brièvement ou durablement, lui sacrifièrent. » Et, comme pour se faire mal, justement, JFK de citer les noms des plus grands !
Le plus intéressant ici est le sort fait à l’étonnement. Alors que celui-ci est la première attitude philosophique — qui n’est pas capable d’étonnement ne s’interrogera jamais sur l’être —, il devient au contraire, sous la plume d’Asko ou de JFK, un simple refus de comprendre. On le réduit à un simple constat, celui d’un paradoxe ou d’une incohérence : Maurras lu par les plus grands et influençant l’élite de son temps sur au moins deux générations, alors qu’il n’est qu’un sous-idéologue raciste, complotiste et paranoïaque , sans qu’on s’interroge sur un tel phénomène, au sens propre inouï. C’est le contraire de ce que les Latins appelaient la dispositio discendi, cette disposition à apprendre, qui, elle, ne s’apprend pas.
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Par antimaurrassisme primaire, JFK préfère ne pas s’interroger sur ce qu’il croit être un paradoxe, précisément parce que cela le conduirait à découvrir qu’il ne s’agit pas d’un paradoxe. Mais que c’est le jugement des intellectuels de notre époque, à la fois anachronique et empreint de bushisme mental — le camp du Bien contre celui du Mal —, qui les conduit à voir dans Maurras un « sous-idéologue raciste, complotiste et paranoïaque », à le réduire à son antisémitisme, qui n’est pas essentiel à sa pensée — ce qu’avait compris Bainville, qui n’a jamais été antisémite mais déclarait devoir tout à Maurras, sauf la vie —, et à en faire un réactionnaire en béton armé — il est vrai que le progressisme est, lui, plutôt du genre liquide, comme aurait dit le regretté Zygmunt Bauman.
Nos intellectuels bien-pensants refusent d’être dérangés dans leurs certitudes. Leurs œillères leur servent de garantie morale, voire intellectuelle. Surtout ne pas se remettre en cause. Ne pas se confronter à toute l’intelligence d’une époque, dans sa richesse et ses contradictions. La prose de JFK nous renseigne moins sur Maurras que sur l’état de l’intelligence française en ce début du XXIe siècle. Le moins qu’on puisse dire est qu’une partie d’entre elle semble, pour son malheur, correspondre à l’avenir que lui avait prédit Maurras en 1905.
NB : Nous n’avons pas commenté les contre-vérités que JFK assènent sur Maurras, non seulement parce que ce sont toujours les mêmes qui le sont (entre fausses attributions ou fausses interprétations), mais parce que Les Faux Maurras de Roger Joseph suffit à y répondre. Citons seulement pêle-mêle : le faux patriotique, Blum à fusiller dans le dos (mais Le Populaire de Blum avait lui le droit, à la même époque, en 1935, d’appeler à abattre Béraud et Maurras « comme des chiens »…), le couteau de cuisine, la divine surprise, un Vichy maurrassien, ou la revanche de Dreyfus. La liste est aussi fastidieuse qu’elle manque, là encore, d’originalité.
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