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Éditorial culture de Romaric Sangars : 2025, à la hussarde

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Publié le

1 janvier 2025

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« 2025 s’annonce une année fatigante ; au moins, rendons-la baroque. » Éditorial culture du numéro 82.
© Barbora Dostalova – Unsplash

On fête cette année le centenaire de la naissance de Roger Nimier et on aimerait la démarrer sous son signe sans pour autant percuter un pylône sur l’autoroute de l’Ouest. Les publications d’un Quarto ainsi que la réédition en poche de Perfide, l’un des premiers romans du James Dean des lettres françaises, devenu introuvable, sont prévues par Gallimard. De bonnes nouvelles en lisière de 2025, donc, notamment pour une maison qui, réputée au-dessus des partis, a, depuis quelques années, à peu près perdu son aile droite.

Cette aristocratie de l’esprit, voilà bien la seule minorité qui n’ait aucune association pour la défendre

Ce qui nous manque le plus, parmi les vertus des Hussards, c’est certes leur désinvolture tragique, quoi qu’elle ait souvent mué, chez certains de leurs épigones, en hédonisme primaire et irresponsable, ce qui n’était pas exactement l’idée d’origine, mais non, ce qui nous manque surtout, c’est leur insolence, leur type d’insolence, plus précisément. Elle n’avait rien à voir avec la morgue des comiques de France Inter ou de Quotidien, cette arrogance d’un entre-soi triomphal ricanant des ploucs depuis les hauteurs de leur podium dérisoire. Elle se distinguait aussi de l’insolence 70’s, échevelée, naïve puis finalement héroïque ou suicidaire, qui caractérisa Charlie Hebdo. Non, c’était une insolence artistocrate. Pas au sens du « poudré » se gaussant sans voir que le vaisseau brûle, évidemment, mais « aristocrate » au sens essentiel, non-sociologique, au sens où chacun peut l’être quand il ne se soumet pas à la foule, qu’il prend de la hauteur et qu’il assume les réalités tragiques dont la foule ne cesse de vouloir se divertir. Cette aristocratie de l’esprit, voilà bien la seule minorité qui n’ait aucune association pour la défendre.

L’idée n’est pas de cultiver un élitisme sectaire, l’insolence des hussards n’était pas un retranchement hautain, mais encore une forme de séduction, justement, une manière de charmer en chacun ce qui résiste à la tendance grégaire. Conserver une personnalité propre, avec un minimum de relief, n’a jamais été aussi compliqué à une époque où chacun est poussé à imiter compulsivement la bizarrerie tendance de son prochain. Plus on singe la singularité, plus le formatage est profond. Les médias visuels de masse sont en grande partie responsables de cette sorte de contrefaçon industrielle de l’homme. Il vaut mieux stimuler un réflexe de résistance, de l’intérieur, privilège de la vraie littérature, si l’on veut varier un peu les types humains.

Lire aussi : Éditorial de Romaric Sangars : Angles morts

Les personnes, les propos et les œuvres mises en avant n’ont jamais été aussi prévisibles que depuis une dizaine d’années. Tout le monde se veut insolite mais de la même manière et sans aspérités et surtout dans un climat de « bienveillance » qui anesthésie toute distinction véritable, une «bienveillance» au nom de laquelle, d’ailleurs, on exclut d’avance quiconque aurait l’audace d’avoir une idée insolite. Si bien que les émissions littéraires, au lieu de la saine arène qu’elles auraient dû perpétuer où se livrent les batailles du goût et de l’esprit, sont devenues des groupes de parole : « Bonjour, moi, c’est machine, mon pronom c’est «il» et j’ai été violé par mon oncle » – « J’ai lu ton témoignage, machine, et il m’a vachement touché, moi-même qui ai rapporté dans mon roman le parcours de transfuge de ma grand-mère, j’emploie dans mon livre la première personne… » Mais non, ces greffiers du trauma rentable n’écrivent pas à la première personne, justement, leur « je » est un « on » qui se donne de l’importance.

Quiconque dit vraiment «je» pose un défi au monde. Plutôt que la bienveillance obligatoire, ce somnifère spirituel, préférons donc la belle insolence des hussards, l’insolence de l’imprévu, de la singularité réelle, de tout ce qui fouette l’âme et ranime le sang.

2025 s’annonce une année fatigante ; au moins, rendons-la baroque.


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