Sur Cnews, vendredi 28 janvier au petit matin, Marine Le Pen faisait part de l’immense émotion qui l’étreignait devant la décision de sa chère nièce, Marion Maréchal, de ne pas soutenir sa campagne. Avec un art consommé de la tragédie, la candidate d’extrême droite à la présidentielle rappelait, une fois encore, comment elle avait accouché sa soeur et élevé durant ses premières années l’enfant sans père. Ça commençait avec Cosette et finissait par les Atrides : « C’est violent, c’est brutal, c’est difficile pour moi. On ne s’y attend jamais vraiment ». Jamais vraiment ?
Si l’on se penche sur les cinq années d’engagement politique de Marion Maréchal et les cinq années postérieures, on a pourtant du mal à y déceler l’expression de l’amour avunculaire tant vanté par Marine Le Pen.
Quand, en 2012, Marion Maréchal est élue haut la main dans la 3e circonscription de Vaucluse grâce à une triangulaire, Marine Le Pen, qui a réalisé presque 18% aux présidentielles, échoue, elle, pour 120 voix à Hénin-Beaumont. Le choc est rude pour l’aînée. Jean-Marie Le Pen, qui a lancé sa petite-fille en politique, est à Carpentras et non dans le Nord, et c’est la jeune femme de 22 ans que la France découvre qui siègera au Palais-Bourbon avec Gilbert Collard, et non la présidente du parti. Aussitôt la plus jeune députée de l’histoire devient l’égérie de la droite nationale et ses interventions musclées à l’Assemblée la changent rapidement en porte-voix d’une population presque orpheline.
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Si elle fait vœu de fidélité à sa tante et à la ligne du parti, on la voit pourtant défiler avec la « Manif pour tous » quand Marine refuse de prêter attention à ce mouvement de catholiques conservateurs qui parvient tout de même à jeter près d’un million de personnes dans la rue. Quand nous la rencontrons fin 2013, Marion qui se dit « catholique solaire » est l’étoile montante de la galaxie et prédit déjà que sans « l’union des droites » son camp ne gagnera jamais. Elle en a fait la preuve dans le Vaucluse en prenant pour suppléant Hervé de Lépinau venu de la Ligue du Sud de Jacques Bompard, jumeau local maléfique du FN.
Mais déjà une menace se profile. Marine Le Pen s’est remise entre les mains de Florian Philippot et de sa coterie populisto-souverainiste, qui s’oppose au conservatisme catholique de la députée. Une concurrence attisée des deux côtés par des hommes de l’ombre qui jouissent parfois secrètement du conflit. C’est au Congrès du Front National de Lyon en décembre 2014 que la rivalité éclate au grand jour : à Marion Maréchal qui est arrivée loin en tête dans le vote des militants pour le Comité central, Marine Le Pen refuse cependant toute vice-présidence significative, lui concédant à grand peine une humiliante délégation à la jeunesse que sa nièce refuse. En coulisses, le breuvage est amer : la députée dépitée comprend que la guerre est déclarée et qu’entre jalousies, divergences idéologiques et manœuvres d’appareil, elle devra se garder de tous côtés. Elle se retire dans son bastion fortifié de l’Assemblée et ne met plus que rarement les pieds à Nanterre, où siège le parti. Elle multiplie les prises de position de rupture avec la doxa frontiste, en se revendiquant par exemple « française de souche », et défendant l’existence d’un « grand remplacement ».
Marine Le Pen, toute à son « ni droite ni gauche » (slogan ironiquement popularisé sans les années 90 par Samuel Maréchal, le père de Marion) et à son ivresse sondagière, en route vers la présidentielle 2017, ne voit pas arriver la prochaine tuile : les régionales de 2015.
Doublement opposées malgré elles, entre nord et sud, entre populisme et conservatisme, les deux femmes vont livrer un match à distance. Et à la fin c’est Marion qui gagne, même si elle échoue à prendre la région PACA
Doublement opposées malgré elles, entre nord et sud, entre populisme et conservatisme, les deux femmes vont livrer un match à distance. Et à la fin c’est Marion qui gagne, même si elle échoue à prendre la région PACA. Confrontées à la même équation – le retrait du candidat socialiste au profit du candidat LR – et sur la même ligne de départ (40% au premier tour) elles font la preuve pour l’une qu’elle est incapable d’engranger des voix nouvelles, pour l’autre qu’elle peut gagner 5%. Pourtant Marion Maréchal a été tancée pour s’être aventurée en terrain glissant, en annonçant que présidente de région elle supprimerait les subventions aux plannings familiaux. Fausse analyse : c’est ainsi qu’elle progresse, mettant en œuvre son projet d’unir des droites, en allant chercher les voix des cathos conservateurs. L’été précédent, elle avait déjà pris le parti d’intervenir à « l’Observatoire socio-politique » de l’influent évêque de Toulon, Mgr Rey. Elle fait encore la preuve de sa farouche indépendance pendant les régionales, en étant l’une des seules à échapper à l’emprise du conglomérat de communication politique Jeanne-Riwal d’Axel Loustau et Frédéric Châtillon.
Pendant les présidentielles, elle reste fidèle à Marine Le Pen bien que le clan Philippot la pousse sur la touche, et bien que la candidate pilonne son idée d’union des droites, et attend la fin des opérations pour annoncer son retrait de la vie politique, retrait qui fait balancer Marine Le Pen et son entourage entre dépit et soulagement. Soulagement de n’avoir plus à composer avec cette nièce encombrante et ses nombreux partisans ; dépit de la voir se lancer dans l’entreprise « métapolitique » et intellectuelle qu’elle souhaitait de longtemps : « Si je fais des études, ce n’est pas pour m’enfermer dans un carcan politique. J’ai aussi envie d’avoir un métier qui ne me déconnecte pas de la réalité », expliquait déjà Marion Maréchal en 2010, après sa première campagne politique, et son premier échec, aux régionales en Île-de-France.
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Devenue directrice de l’Issep, c’est comme si elle reprenait ses études tout en apprenant à gérer une entreprise, et l’occasion d’approfondir sa pensée sans quitter entièrement la vie politique puisqu’on la voit au congrès conservateur américain, à Oxford, à Rome ou encore à Budapest chez Viktor Orban. L’occasion de passes d’armes à distance avec sa tante, comme lors de l’affaire George Floyd : « Je n’ai pas à m’excuser en tant que blanche et en tant que française », déclaration qui lui vaut les foudres de la patronne du RN. Ou quand celle-ci traite en 2018 sa nièce de « conservatrice et ultralibérale ».
Plus généralement, Marion Maréchal reproche à sa tante ses constants revirements, sur des sujets aussi divers que l’interdiction des manifestations contre la loi travail pendant l’état d’urgence en 2016, sur la peine de mort, sur le mariage homosexuel ; mais aussi son renoncement au Frexit, son refus de quitter la CEDH, son absence lors du vote de la loi de bioéthique, ou son déni du risque de guerre civile après l’avoir évoqué. Ce qui lui fait dire qu’elle n’a décidément pas « de vision politique ».
Si pendant la Convention de la droite, elle pâtit de l’ombre portée par le discours d’Éric Zemmour, qui faisait là en réalité le premier pas vers sa candidature présidentielle, elle peut se targuer d’avoir imposé dans le nom même de cette Convention sa conviction inamovible de « l’union des droites » – contre l’avis de certains qui aujourd’hui s’en revendiquent.
Cible des quolibets d’une partie du camp national – jusqu’à son grand-père qui demande un jour à Éric Zemmour si elle reviendra « du Bois de Boulogne » – ses cinq ans de retrait de la vie politique n’ont apparemment pas émoussé l’adulation des autres, si l’on en juge à l’émoi des adhérents de Reconquête au moindre signe de son ralliement.