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Columbine, Sandy Hook, Virginia Tech, Las Vegas, Aurora, et Parkland dernièrement. Les tueries de masse sont un phénomène particulier des sociétés modernes, spécifiquement aux États-Unis et en milieu scolaire. Depuis le 1erjanvier 2018, l’Amérique de Trump a connu une trentaine de « mass shootings » au total, selon certains organismes indépendants tels que Gun Violence Archive ou Mass Shooting Tracker (note). En à peine un peu plus d’un an à compter de ce mois de février, 95 Américains ont perdu la vie dans une fusillade de masse, pour 1926 blessés. Qu’est-ce qu’un tueur de masse ? Quoi de commun entre Adam Lanza, Nikolas Cruz, James Heagan Holmes, Seung-Hui Cho, ou bien encore le duo formé d’Eric Harris et de Dylan Klebold ?
Commençons par définir précisément la nature des actes dont se rendent coupables ces individus. Un tueur de masse tue en moins de 24 heures, sur un lieu déterminé duquel il ne sort pas, dans l’objectif d’éliminer un maximum de personnes en un minimum de temps. Les meurtres de masse ne sont donc pas des crimes à caractère sexuel, comme c’est souvent le cas pour les tueurs en série, ni, évidemment, des crimes crapuleux. Précisément, les personnes assassinées par un tueur de masse sont ciblées pour leur appartenance à un groupe, une entreprise, une église ou un établissement scolaire, voire à la société toute entière. Aux États-Unis, ces massacres sont récurrents, plus nombreux que partout ailleurs dans le monde, mais aussi souvent plus violents, les assassins s’équipant d’armes automatiques ou semi-automatiques. Lors des fusillades de Parkland, Las Vegas ou Sutherland Springs, les tueurs ont utilisé l’AR-15, fusil semi-automatique le plus vendu aux États-Unis.
Complexe, sinon impossible, d’anticiper un futur passage à l’acte
Bien évidemment, les tueries de masse ne sont pas le propre de l’Amérique, l’Europe ou l’Asie ayant déjà eu à affronter ce type de massacres. À ce stade, il conviendra d’ailleurs de distinguer l’acte terroriste, commis par un individu animé par des motifs idéologiques, généralement appuyé par une cellule de soutien, ou formé en amont, du meurtre de masse individuel, parfois sans motif apparent, pour lequel le tueur peut ne pas avoir motivé son geste. Du reste, si le meurtrier de masse individuel répand la terreur, il ne cherche pas à inscrire son geste dans une démarche de longue durée. Autre différence, le « mass killer » aura tendance à se suicider ou à chercher à se faire tuer, ce qui n’a longtemps pas été le cas des terroristes, avant l’apparition des attentats-suicides commis par des islamistes. Une personnalité comme Anders Behring Breivik se trouve ainsi à mi-chemin entre le « tueur de masse » et le terroriste, car il a revendiqué politiquement son acte, nonobstant son état mental instable et son narcissisme.
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De manière générale, le « tueur de masse » est un outcast, nourrissant une rancœur importante contre la société, qu’un événement aura fait sombrer dans l’ultra-violence (rupture amoureuse, moquerie de trop dans le cadre scolaire, etc). Dépressifs et paranoïaques, ils n’en restent pas moins responsables pénalement, car leurs actes sont prémédités et réalisés en pleine conscience. Certains d’entre eux peuvent aussi être influencés par des prédécesseurs, carrément « fans » d’autres assassins qu’ils admirent. Il est d’ailleurs extrêmement complexe, sinon impossible, d’anticiper un futur passage à l’acte, hormis en repérant, parfois par hasard, des messages inquiétants lancés sur les réseaux sociaux ou une fascination morbide pour la violence.
Une moyenne d’âge de 16 ans
Auteur de Dangerous Instincts, l’ancienne profileuse du FBI Mary O’Toole estimait néanmoins, dans les colonnes de Libération en 2014, qu’« On ne devient pas tueur de masse du jour au lendemain. C’est un long processus évolutif qui peut débuter très tôt. Quand je demande aux enseignants à partir de quel âge un enfant peut développer des pensées suicidaires ou homicidaires, ils me répondent : dès 5, 6 ou 7 ans ». On notera, en outre, que ces tueries se produisent généralement au sein d’Etats modernes, compétitifs, « valorisant les winners », selon le mot très juste d’Olivier Hassid, auteur du livre « Tueur de masse » aux éditions Eyrolles. Est-ce à dire que ces crimes, apparemment irrationnels, seraient des symptômes révélant les failles de nos sociétés modernes, dans lesquelles la violence, canalisée par les conventions sociales, peut exploser de manière imprévisible ?
Âgés en moyenne de 16 ans, les tireurs en milieu scolaire sont de plus en plus nombreux à remplir les pages des faits divers. Or, si le mal-être adolescent est un phénomène qui irrigue une grande partie de l’imaginaire américain depuis le milieu des années 1970, traité à de multiples reprises au cinéma (voir Eléphant de Gus Van Sant), inspirant le rock grunge ou l’indie, donnant lieu à des séries télévisées, ou récemment l’excellente 13 Reasons Why qui narrait le suicide d’une jeune lycéenne victime de harcèlement, il n’est toujours pas traité correctement. Face à une pression sociale constante, à l’obligation de réussite, ou aux diktats véhiculés par la tyrannie du spectacle, les adolescents à problèmes fuient la réalité à travers les paradis artificiels de la drogue, en rejoignant une contre-culture, ou en développant leur créativité artistique. Une étude statistique menée par Ramin Motjabai de l’Université John Hopkins à partir des dossiers de 350.000 jeunes américains, publiée en 2016, révélait que le risque qu’un adolescent reçoive durant une année donnée un diagnostic de dépression majeure était passé de 8,7 % en 2005 à 11,3 % en 2014. État dépressif que connurent Kurt Cobain, Chris Cornell (Soundgarden) et Layne Staley (Alice In Chains), emblèmes de cette génération X désormais archétypale de l’adolescence de l’ère de la culture de masse en Occident. Les trois rockeurs se sont finalement suicidés à l’âge adulte, en dépit d’un succès incroyable, de l’argent et de l’admiration du public, qui ne sont pas des remèdes à un profond mal-être.
Des chiffres édifiants
À l’image d’une majorité des tueurs de masse, ces artistes ont été des enfants et des adolescents suivis par des spécialistes, psychologues ou psychiatres. Les chiffres sont édifiants mais réels : 12 % des adolescents américains sont traités pour des problèmes d’anxiété, de dépression ou d’hyperactivité. Les États-Unis ont un vrai problème avec l’adolescence, vue telle une pathologie à combattre, quand il s’agit pourtant d’une permanence strictement biologique, et, c’était au moins le cas auparavant, d’un sas permettant à l’enfant de devenir un adulte. Pis, même des bébés de deux ans se voient prescrire des antipsychotiques et des antidépresseurs (http://www.slate.fr/story/111395/bebes-antipsychotiques-antidepresseurs) ! L’inconscience de ces praticiens qui donnent du Prozac à des enfants en bas âge est sidérante, participant d’une banalisation de l’usage de la drogue qui se poursuit tout au long de la vie, dans des proportions de plus en plus importantes : 174 morts par jour dues à des overdoses en 2017, soit un triplement par rapport à 1999 !
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Pareil contexte, mêlant l’usage massif de drogues et de médicaments, la rigidité parfois dure de la morale protestante, le culte de la réussite sociale, la présence d’arsenaux militaires dans les foyers de monsieur et madame tout le monde, la fascination pour la célébrité si bien décrite par Andy Warhol, et une culture de la violence jamais démentie, explique mieux pourquoi les États-Unis sont régulièrement ensanglantés par leurs propres citoyens. Armer les professeurs n’y changera rien. Les États-Unis doivent faire leur examen de conscience. Évidemment, il serait malhonnête et injuste de faire porter la responsabilité des actes de psychopathes sur un pays tout entier, car les tueurs de Parkland ou d’Aurora auraient pu passer à l’acte n’importe où et sous n’importe quel régime. Oui, c’est malheureux mais l’humanité sécrète toujours en son sein des individus monstrueux, incapables de faire preuve d’empathie. Toutefois, il semble indéniable que les travers d’une certaine modernité, parfois cruelle, couplés à un accès facilité à des armes d’une grande dangerosité, n’aident pas à se prémunir contre ces personnalités aussi fragiles que prédatrices. Bien plus que de simples faits divers, les « mass shootings » nous renvoient un reflet morbide de notre présent, tel le portrait de Dorian Gray d’un monde plus sombre qu’il n’y paraît.
Note : sont considérés comme des « mass shootings », les fusillades durant lesquelles trois personnes au moins ont été tuées, selon le FBI. Les organismes indépendants comme Gun Violence Archive ont une vision plus extensive de ce type de crimes, incluant notamment les fusillades ayant fait un grand nombre de blessés.
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