Quelle est cette « proposition chrétienne » que vous prêtez à Pascal ?
Cette proposition c’est... le christianisme ! Le christianisme n’est pas une idée, un idéal, un ensemble de « valeurs ». La proposition chrétienne, cela veut dire que Dieu se propose aux hommes, et que les hommes doivent répondre oui ou non. Vous voyez la différence. Un « idéal », une « valeur », c’est vous qui êtes à la manœuvre, vous avez, vous choisissez, vous chérissez votre idéal, ou pas. Avec la proposition chrétienne, vous n’avez pas le choix de la question mais vous avez le choix de la réponse. Vous avez le choix de la réponse mais l’obligation de répondre.
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Aujourd’hui l’Église ne sait plus très bien quoi proposer aux hommes ni comment se proposer aux hommes. Alors elle tend à se cacher dans la foule, je veux dire à « parler comme les autres », à se fondre dans cette « religion de l’autre homme » qui est devenue la religion officielle de l’Occident. Pascal peut nous aider à ressaisir le propre du christianisme. D’une part, il est étranger à nos disputes, mais d’autre part il a affronté ces deux grandes nouveautés qui définissent la modernité, à savoir l’État souverain et la science moderne, mathématique et expérimentale. Et il a lui aussi voulu répondre à un affadissement de la foi chrétienne à son époque. Étranger à nos disputes mais très averti de nos défis, il a fait un effort d’une acuité et d’une intensité uniques pour mettre devant nos yeux le « Dieu de Jésus-Christ ». Je n’ai pas dédaigné son aide.
La théorie des « trois ordres » de Pascal peut-elle être considérée comme une « menace » ou une remise en cause de l’ordre politique classique, et si oui comment s’en accommoder ?
Si on entend par « ordre classique » l’ordre grec et romain, l’ordre de la cité, l’ordre fondé sur la primauté du politique, alors en effet la théorie pascalienne des trois ordres semble une remise en cause de l’ordre classique. Mais notez bien que Pascal ne fait qu’éclairer une situation objective, à savoir la transformation imposée au monde classique par l’advenue du christianisme, et ensuite par l’irruption de la science mathématique moderne. Donc, lorsque Pascal distingue l’ordre de la chair, l’ordre de l’esprit, l’ordre de la charité, il distingue simplement l’ordre politique et social, la science moderne et le christianisme. Ce qui lui est propre, c’est de souligner à quel point ces ordres s’ignorent réciproquement : chacun a son principe et ses critères qui n’ont rien à voir avec le principe et les critères des deux autres ordres. Chacun a son « éclat » propre, ce qui signifie que celui qui vit dans l’un des ordres ne voit tout simplement pas ce qui relève des autres ordres. [...]
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