Qu’est-ce que le roman vous permet que l’essai philosophique ne permettrait pas aussi bien ?
Votre question est délicate, dans la mesure où je n’ai jamais eu le sentiment d’écrire des romans pour pallier une insuffisance que porterait en soi la catégorie très vaste et très vague de l’essai philosophique. Disons donc pour commencer qu’il y a toujours, dans l’écriture d’un livre de philosophie, au sens obvie où l’on peut entendre cette dénomination, il y a toujours une visée et un impératif de pédagogie : si l’on écrit sur Descartes, ou sur Platon, c’est normalement que l’on estime pouvoir apporter sur leurs œuvres un éclairage nouveau, utile à une compréhension plus exacte et plus complète de leurs pensées. Le travail formel est là guidé par l’exigence de transmission d’un contenu qui n’est pas entièrement nôtre.
Ce que, d’abord, le roman permet, ou bien plutôt ce qu’il exige, c’est la création d’une forme neuve à chaque fois, dont la finalité n’est pas strictement didactique, mais expressive, démonstrative et musicale. Et pour moi, fondamentalement, ce qui fait le roman, ce sont les personnages. Non que ce soit la seule détermination. Mais c’est à mes yeux celle autour de quoi toutes les autres gravitent. Ainsi la langue du roman, du moins tel que je tente de le pratiquer, doit-elle être au service non pas de l’exposition pédagogique de thèses ou d’idées, mais au service de la présence vivante de personnages qui pensent certaines idées, et qui les incarnent. Banalité, mais qu’il fait bon rappeler parfois : le roman, ce sont des idées, plus la chair. J’insiste : pas la chair sans les idées, non plus que les idées sans la chair. C’est de la pensée en situation. [...]
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