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Alors qu’un mouvement de gronde sociale, largement attisé par certaines organisations syndicales (la CGT et Sud en tête) semble s’enraciner depuis plusieurs semaines, on ne cesse d’entendre parler de convergence des luttes, un peu comme si soixante ans après les faits, l’épopée du joli mois de mai devait recommencer. Les cheminots aussi bien que les pilotes d’Air France, la fonction publique hospitalière au même titre que les électriciens/gaziers, les surveillants pénitentiaires, les retraités et maintenant Geneviève de Fontenay, ont des griefs à adresser à un gouvernement auquel ils reprochent de mener grand train de réforme, d’en oublier la concertation, d’user généreusement d’ordonnances et de procédures accélérées. Auparavant, on criait à l’inertie, on déplorait une France incapable d’évoluer, de se conformer aux impératifs de notre temps. Passons.
Dans ce contexte, les jeunes ont trouvé un prétexte à la mobilisation : la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants (ORE). Pourtant définitivement adopté par le Parlement après réunion de la commission mixte paritaire, le texte paru au Journal officiel le 9 mars, fait l’objet de polémiques sans fin. L’UNEF, la FAGE, Solidaire et consorts ont d’interminables reproches à lui faire, dont les principaux consistent à dénoncer d’illégitimes procédures de sélection lors du passage à l’université. Peut-être est-il regrettable de faire rédiger des lettres de motivation à des lycéens, quoi qu’elles permettent de se poser les bonnes questions, et demeurent objectivement moins arbitraires que les tirages au sort exceptionnels auxquels le texte met un terme définitif. Par toutes ces mesures, l’IEP de Paris est quoi qu’il en soit peu concerné. L’admission s’y fait par concours, elle est donc de facto sélective, les frais de scolarité y sont prohibitifs et ses statuts récemment refondus, toujours dérogatoires au Code de l’éducation. Sa situation ne pouvant en aucun cas être rapprochée de celle des autres universités, il y a lieu de se demander ce qui pousse des étudiants aussi privilégiés à placarder des banderoles sur lesquelles on peut lire « bloquons la fabrique à élites ». Sans doute est-ce là encore une volonté de faire converger certaines luttes, de porter haut et fort des revendications qui, au fond, n’ont rien à voir avec les réformes conduites par le gouvernement d’Édouard Philippe.
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En apparence désireux de soutenir leurs collègues de Tolbiac, Jean Jaurès et Paul Valéry, une centaine d’étudiants a investi, mardi dernier, les étages du 27 rue Saint-Guillaume. Pour marquer l’abolition de l’ordre ancien, les drapeaux pavoisant habituellement la façade (étendards de l’école, français et européen) ont été décrochés et remplacés par un nouveau fanion annonçant la couleur du mouvement : l’école est rebaptisée Institut Clément Méric. Pour ceux qui l’auraient oublié, cet étudiant antifasciste –membre de Solidaire étudiante-e-s- a été tué au cours d’une bagarre ayant opposé sa bande à une bande de skinheads, en marge d’une vente de vêtements. Depuis, il est devenu la figure invoquée par une certaine extrême-gauche, cherchant à mettre en scène sa martyrisation. La puissante organisation de ce collectif d’étudiants les a poussés à s’apercevoir dès le lendemain matin qu’aucun aspect logistique n’avait été envisagé –alors que la perspective d’un blocus était dans les esprits depuis plusieurs jours- et à quémander de la semoule et du café soluble à tout donateur assez empathique pour leur en fournir. Le fait est que l’état de siège a été de courte durée ; suite à une consultation électronique, lancée par l’administration, seuls 24,8% des étudiants ayant répondu se sont prononcés en faveur de l’occupation. Depuis vendredi, l’accès à l’IEP est à nouveau possible, l’armée mexicaine en déroute ayant volontiers renoncé à ses positions contre la mise à disposition de trois salles devant leur permettre de faire vivre le débat. C’est précisément là que le bât blesse, outre la facilité avec laquelle ces révolutionnaires de carnaval ont cédé, le planning d’activités qu’ils proposent laisse songeur. Si un atelier est dédié à faire la critique de la loi ORE, des initiatives plus déplacées ont vu le jour. En plus des réunions « non-mixtes (sans mecs cisgenre) » et «non-mixtes racisées », la convocation d’une assemblée générale dans un amphithéâtre rebaptisé « Adama Traoré », traduit une forte coloration idéologique du mouvement. Des délires qui rappellent le hijab day d’avril 2016.
Epousant béatement les thèses soutenues par les Indigènes de la République, vouant un culte irréfléchi à Houria Bouteldja, les discours de ces jeunes gens auraient de quoi faire pâlir tous ceux qui se sont battus pour que la République française devienne un exemple d’unicité
De toute évidence, la loi Vidal n’est pas au centre de l’attention, elle sert seulement de prétexte à la mise en place d’une campagne de prosélytisme raciste, discriminatoire et antirépublicaine. Epousant béatement les thèses soutenues par les Indigènes de la République, vouant un culte irréfléchi à Houria Bouteldja, les discours de ces jeunes gens auraient de quoi faire pâlir tous ceux qui se sont battus pour que la République française devienne un exemple d’unicité. En mettant en place des réunions non-mixtes, ils considèrent que tous les étudiants de l’établissement, a fortiori que tous les citoyens de ce pays ne sont pas égaux. C’est à un régime d’apartheid, à un système profondément ségrégationniste et raciste qu’appellent ceux qui pensent que rassembler Noirs, Indiens, Arabes et Blancs dans une même pièce présente un danger, un espace non « safe » pour les « racisés », selon leur propre vocable.
C’est aussi considérer que les hommes et les femmes n’ont rien à partager et que les premiers constituent nécessairement une menace pour les secondes. Ces grands prédicateurs de l’antifascisme, de l’antiracisme et du respect des minorités en ont oublié qu’il n’est pas dans la culture républicaine d’instiller la peur en montant des communautés, créées de toutes pièces, les unes contre les autres. En séparant aussi artificiellement les individus, c’est au débat public qu’ils se refusent, lui préférant le confort doucereux de l’absence de confrontation. S’il est vrai que la vie publique est parfois violente et l’opposition souvent éprouvante, elles sont les seuls vecteurs de la démocratie républicaine telle que nous la connaissons, et la chérissons. Ainsi, le débat n’a de sens que s’il oppose des opinions contradictoires provenant d’individus divers appartenant à la même communauté nationale.
Une dernière remarque encore, inspirée par l’absurdité de ce programme abscons : ce à quoi vont aboutir les tenants de l’Institut Clément Méric, c’est à un renversement du système d’oppression qu’ils prétendent combattre. Alors que la « non-mixité » est supposée favoriser la parole des femmes, des « racisés » des « non-cis », elle ne parviendra à terme qu’à marginaliser ceux qui ne sont pas assez bafoués pour être les détenteurs d’une parole légitime et digne de considération. Mais cette concurrence effrénée à la victimisation maximale ne fera aucun gagnant, elle ne conduira qu’à raidir les positions et accroître les tensions qui animent déjà notre société. Plus dangereux encore que l’occupation à laquelle il vient mettre un terme, le programme des activités proposées par l’Institut Clément Méric, approuvé –au moins implicitement- par la direction de Sciences Po est un scandale. Alors que ses rédacteurs prétendent –en s’opposant à la loi ORE- rejeter l’élitisme, ils en sont le plus pur produit, et c’est justement ce paradoxe qui leur permet de faire se propager une doxa aussi bassement insultante pour les valeurs communes.
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