Devant l’établi de son l’atelier qu’elle partage avec deux restauratrices de tableau rue Letellier, elle retrouve la suprême concentration qui est le privilège de l’enfant, celle qui fait tendre toute l’attention vers un but, confer l’animation des mains au subconscient, calfeutré dans une bulle hermétique que rien ne semble pouvoir crever. La restauration nécessite de s’intéresser avec sincérité au livre, pour en connaître les secrets avant d’opérer. Avec de l’expérience, il est possible de dater un livre à une décennie près, ce qui permet de pronostiquer quelle technique a été utilisée pour la structure du livre, et s’y adapter. Pas question d’utiliser de la colle industrielle sur un livre du XVIe par exemple : pour qu’il puisse être rafraîchi à l’avenir, un artisan consciencieux utilise de la farine et de l’eau. Ceteris paribus, c’est un état d’esprit comparable à celui qui plante une charmille, pour ombrager le siècle suivant. Parfois, au détour d’une tranche, Ségolène découvre le stigmate d’une restauration passée, et c’est comme un dialogue au futur antérieur avec son prédécesseur.
Il y a une dimension sensorielle dans le travail des matières nobles et vivantes comme le papier ou le cuir. Mais une part palpable du plaisir que savoure Ségolène réside dans l’écosystème d’artisans improbables avec lesquels il faut travailler : le pareur de peaux pour une greffe de cuir par exemple, ou un spécialiste des dorures. Rien n’est plus satisfaisant que des lettrines brillantes, si bien que jamais Ségolène d’or n’est lasse. [...]
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