L’art spéculatif est le cancer de l’art. Dévoiement d’une profonde perversité de la passion de la collection d’œuvres, la spéculation permanente qui ronge le marché de l’art détruit la créativité. Il n’y a plus de sacré. Le profane est vandalisé, souillé par les imposteurs et les falsificateurs. Au moins reconnaitra-t-on à Koons, Hirst et les plus grands noms de l’art assimilé à un placement financier, l’intelligence acide du cynisme assumé : ils créent sur mesure des vanités pour grandes fortunes persuadées que leur aisance financière leur octroie l’immortalité, à l’image du rutilant et vulgaire crâne de diamant conçu par l’artiste britannique.
Ces super-prédateurs des portefeuilles des milliardaires désirant décorer leurs résidences secondaires de tableaux et statues pensées pour en mettre plein la vue aux barmaids de Mar-a-Lago et aux derniers yuppies de Wall Street ont aussi leur lumpenprolétariat provincial, médiocres suiveurs et faussaires qui reproduisent en plus petit et plus minable les concepts des stars du genre afin que les moins riches parmi les riches puissent eux-aussi épater … leurs comptables et leurs dentistes en visite.
Un « collectionneur » souhaitant garder l’anonymat le confessait : « Si j’ai choisi d’investir dans l’art c’est avant tout pour 2 choses : tout d’abord disposer d’une décoration unique, signée par l’artiste et qui m’assure que, via le prix payé, ceci est justifié. Et la deuxième raison : croire en le succès de celui-ci et qui un jour peut-être, permettra à ce pari d’être fructueux. »
Ainsi, en 2012, le jeune Léo Caillard faisait grand bruit avec son exposition « Hispters in Stone », dont l’idée était de rhabiller le statuaire antique à la façon des hipsters – petite sous-culture urbaine déjà ringarde -. De bon goût ou pas, telle n’est pas ici la question puisque cette exposition de 2012 était déjà sortie … en 2009 sous le nom de « Ganymede », création du duo scandinave formé par Michael Elmgreen et Ingar Dragset. Les deux hommes avaient alors eux-aussi rhabillés des statues classiques de marbres, les affublant de slips, chaussettes ou tee-shirts…
« Hipsters in Stone » lança la carrière de Léo Caillard sur les chapeaux de roue. Probablement enhardi par ce succès indu, le jeune espoir de l’art français multiplia les expositions inspirées par l’œuvre d’autres artistes. Reproduisant sans grâce les « Putti twisted » du belge Wim Delvoye avec son « Aphrodite Sine » ou la superbe série Purity du Californien Barry X Ball- semble-t-il sincèrement et ingénument obsédé par les vierges voilées à la romaine -, Léo Caillard alla même jusqu’à s’inspirer d’une impression 3D chinoise pour concevoir le Superman de son exposition Age Of Classics qui fut l’objet d’une campagne de six mois du musée d’antiquités Saint-Raymond de Toulouse…
Emre Yusufi, Orlinsky ou Salustiano sont aussi du nombre des artistes qui ont « inspiré » le Français. On nous rétorquera que c’est le propre de ce nouveau siècle, époque d’emprunts où les esthétiques issues du passé récent reviennent régulièrement sur le devant de la scène. Au cinéma, le style des studios Amblin a notamment fait la carrière de JJ Abrams avant d’être cloné partout, à commencer par Stranger Things sur Netflix. Dans la musique électronique, l’apparition des scènes Flashwave et Synthwave est aussi l’un des surgeons de cette grande partouze stylistique qu’est le XXIème siècle. Mais il y a des artistes inspirés rendant hommage et d’autres plus paresseux qui capitalisent sur l’inculture de leurs contemporains.
Existent ainsi toujours des artistes pour qui le geste signifie encore quelque chose, des artistes réellement subversifs qui ne se contentent pas de produire à la chaîne des concepts bidons qu’un diplômé d’école de commerce trouverait après quelques brainstormings. Notre amie Stéphanie-Lucie Mathern tend un miroir à ses contemporains à la galerie Pascal Gabert. Oui, son « crépuscule est grandiose », comme le promet le nom de son exposition. Il convoque autant les figures de style pop que le geste magnifié, montrant que la laideur est fascinante, aussi monstrueuse que la beauté pure. Le critique d’art Jean-Luc Chalumeau le dit très clairement. Chez Stéphanie-Lucie Mathern, il n’y a pas de « mauvais goût » mais il n’y pas de « bon goût non plus » puisqu’elle nous apprend « qu’avoir du goût c’est être capable de jugement au-delà des préjugés et des partis pris ».
Et si le « mauvais goût » d’aujourd’hui était le mensonge ? Les œuvres des suiveurs ne choquent personne, ne dérangent pas. Elles sont pensées pour décorer des intérieurs, pour qu’on les oublie dans un salon dont les meubles n’auraient rien à envier à ceux d’une salle d’attente de clinique ou d’expert-comptable, façon maison-témoin démontrant le savoir-faire en homestaging des agences immobilières Stéphane Plaza : sans âme, sans aspérités, sans histoire. Point de fantômes venant nous hanter dans ces sculptures, ces toiles et ces meubles, on les a passés au karcher commercial pour qu’ils ne déplaisent à personne. Vous passez devant sans vous arrêter. Vous avez au mieux, un léger sourire en pensant au concept qui aura permis à l’artiste de dépouiller quelques milliers d’euros à quelques individus désireux de rencontrer l’Art.
Mais d’Art, il n’est plus question dans ces productions sorties d’usine. Pas même d’honnête artisanat. Ne parlons pas de mythes… Rhabiller Hercule d’un tee-shirt de « hipster » ne désacralise pas le demi-dieu grec. Il rend notre époque sacrilège. C’est très différent. Christophe Charbonnel l’a lui bien compris, donnant forme dans son atelier aux grands mythes de notre imaginaire collectif, qu’ils soient chrétiens, classiques ou celto-germaniques. Ses « super-héros » sont bien réels, ils sont sous nos yeux ébahis ressuscités, ramenés à la vie par le génie d’un maître de la matière.
Rendons au commerce ce qui appartient au commerce. Comme Pierre Bourdieu le pensait, « Toute une partie de l’art contemporain n’a pas d’autre objet que l’art lui-même ». Valable pour Jeff Koons, pas pour ses imitateurs dont l’art n’a pour objet que le commerce de l’art lui-même. La boucle est bouclée, la parodie parodiée. Après avoir rabaissé Dieu à la condition d’Homme, l’art du siècle fait de l’homme un mort en sursis, un mort-vivant dont l’unique finalité serait d’accumuler des biens, de les vendre parce qu’il ne leur survit pas.
Un « collectionneur » souhaitant garder l’anonymat le confessait : « Si j’ai choisi d’investir dans l’art c’est avant tout pour 2 choses : tout d’abord disposer d’une décoration unique, signée par l’artiste et qui m’assure que, via le prix payé, ceci est justifié. Et la deuxième raison : croire en le succès de celui-ci et qui un jour peut-être, permettra à ce pari d’être fructueux. »