Si les connaissances harmoniques de Thomas Julienne lui permettent d’orchestrer idéalement ses compositions, celles-ci tirent avant tout leur remarquable puissance de son génie de la mélodie ! Disciple de Tchaïkovski et Prokofiev, prodigue en arpèges à la Radiohead ou Nick Drake, Julienne nous offre avec L’Hiver un second album littéralement sensationnel. La direction musicale y met en valeur la mélodie (son étirement, ses rebonds, sa résolution), quand la direction artistique plonge dans l’espace intérieur de l’artiste et nous mène à « des contrées mystérieuses aveuglantes de clarté ». Entretien avec un fin stratège du solfège.
Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
Je suis le seul musicien de ma famille, et j’ai commencé d’être un guitariste autodidacte à l’âge de 15 ans, avec mes premières expériences de jeu en collectif et une recherche d’identité artistique par des compositions originales. Mon éducation savante a été tardive, puisque je n’ai été au conservatoire qu’à 22 ans. Le spectre des premières musiques qui m’ont touchées allait de la vivacité de Vivaldi à Simon & Garfunkel, Neil Young, The Doors, jusqu’à la libanaise Fairuz. Puis il y eut cette rencontre avec Rija Randrianivosoa, musicien et professeur malgache qui m’a initié aux bases du jazz et à un sens de l’improvisation particulièrement libre. De mon master de sociologie, j’ai gardé dans ma musique un certain regard analytique, et puis un réflexe de questionnement métaphysique. J’ai également fondé le collectif Déluge, un label de musicien pour les musiciens. Ça nous permet d’être indépendants en auto et cogestion. Je pense qu’il est important pour les artistes de se réapproprier leurs outils de production et de respecter une éthique concernant l’économie de la musique.
Vous êtes multi-instrumentiste dans bon nombre d’autres projets, mais dans celui-ci, vous vous concentrez sur la contrebasse : pourquoi ?
J’ai toujours un peu de réserve à avouer que j’ai choisi arbitrairement ce magnifique instrument ! Autour de moi, il y avait trop de guitares dans les groupes, j’ai pensé que quelqu’un devait s’emparer de la basse et j’ai tout de suite eu des affinités avec cet instrument, sentant les possibilités immenses qu’il recelait dans chaque style de musique abordé. J’ai développé le travail à l’archer en étudiant les suites de Bach afin d’accéder à un territoire mélodique plus riche et pouvoir augmenter ma liberté vis-à-vis de l’instrument. L’archer joué se rapproche plus du chant ou d’un instrument soufflé et cette expressivité est touchante. Dans le jeu à main nue, l’attaque de la note, des doigts sur la corde vont plus se rapprocher d’un geste de percussionniste ou de batteur en pleine conscience rythmique. Vous n’entendez plus seulement la ligne de basse, mais vous percevez l’ensemble de l’orchestre ! On peut même aller plus loin dans l’expérience rythmique en « préparant » la contrebasse avec des feuilles métalliques, du verre, des pinces à linge ou la frapper avec des baguettes. Dans tous les cas, la fonction de cet instrument est la même : poser les fondements du groupe. La précision de l’attaque, l’émission du son de la note, son caractère, tout cela doit demeurer compréhensible pour l’auditoire. La contrebasse a cette responsabilité de placement qui se définit en accord avec le batteur.(...)
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