Il est certains sujets plus risqués que d’autres. En proposant de parler ce mois-ci, dans ces colonnes, des albums de Noël, je me doutais bien qu’en plus de n’être pas forcément aisé, le thème était, chez les gens de goût (mais qui sont-ils ?) depuis longtemps source d’ironie et de rires moqueurs. Il faut bien le dire, l’adolescent que j’étais a eu lui aussi envie de casser mille fois la chaîne hi-fi familiale à coups de marteau en entendant ces titres ronflants. La mode commence vraisemblablement juste après-guerre (comme quoi, les victoires militaires n’ont pas que du bon). Auparavant, le mal était moindre : on laissait chanter les enfants à côté du sapin enguirlandé ou l’oncle ivrogne debout sur la table à la fin du repas, mais on n’allait pas jusqu’à imprimer sur des disques de pareilles chansons. On savait se tenir. Après le Débarquement, le Plan Marshall, les Lucky Strike à Paname et l’arrivée des chewing-gums à Châteauroux, il fallait que l’Amérique aille jusqu’à nous imposer des disques de Noël.
Trenet et Presley sous le sapin
Les pionniers du genre se nomment Frank Sinatra, Nat King Cole ou Bing Crosby. Les crooners chantent Jésus, Santa Claus, la neige blanche qui tombe du ciel et la petite ville de Bethléem. Les orchestrations sont souvent élégantes (« The Christmas Song » de Nat King Cole en est un bon exemple), mais, comme avec les bons sentiments en littérature, elles n’en font pas pour autant de grandes chansons. Il faut beaucoup de talent pour chanter la joie. En France, nous avions un spécialiste : Charles Trenet. Si ce n’est certainement pas ce qu’il a fait de mieux, ses chansons de Noël (« Le Petit Noël », « Chanson pour Noël », « C’est la plus belle nuit ») ont le mérite d’être chantées par cet être magique. Au même moment, Sinatra (mille fois trop vanté par des gens aux oreilles bouchées) fait le malin en chantant comme on fait les yeux doux aux jeunes filles : avec superficialité et orgueil. [...]
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