ll y a deux catégories de lecteurs de Madame Bovary : ceux qui se passionnent pour l’héroïne, et ceux qui compatissent aux malheurs du pauvre Charles. Berné en premières noces par une femme mal-honnête qui lui a mené la vie dure, il se retrouve à supporter maintenant les crises d’Emma, cette grande fille chimérique et puérile qui lui reproche d’être ce qu’il est, et qui fait des dettes dans son dos. Pauvre homme ! Si bon, si doux, si dévoué, honnête ! Bon père, bon maître et bon docteur ! Comment ne pas être touché par son amour du travail bien fait, par son souci de s’instruire (il songe à reprendre des études), par sa simplicité de mœurs, par son goût des plaisirs répétitifs et modestes ?
Cet homme simple, sédentaire dans l’âme, se méfie de l’aventure ; il s’intéresse au monde, mais par revues de géographie interposées. Son humilité lui donne le dégoût du luxe, de l’ostentation, du faste, de l’orgueil mal placé. La débauche de victuailles au bal du marquis d’Andervilliers le plonge dans le malaise ; il ne songe qu’à rentrer dans ses foyers, tandis que sa femme enfin réjouie virevolte sur la piste et se pâme. Oui, d’une certaine manière, Charles mérite autant qu’elle d’être considéré comme le héros du roman, ou l’anti-héros. Est-ce un hasard si Flaubert l’a fait apparaître en premier dans le récit ? Il était tout naturel, dans ces conditions, de réécrire enfin l’histoire de son point de vue, de lui rendre la vedette : ce ne sera plus Madame Bovary mais Monsieur Bovary ou, en l’occurrence, Un honnête homme. [...]
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